Chapitre 7
Lara retira ses talons aiguilles avec un
soupir de soulagement et les jeta au loin. Pieds nus, elle enleva le veston
qu'Indy avait posé sur ses épaules nues et s'écroula sur le canapé, épuisée
par la soirée qu'ils venaient de passer. Elle consulta l'heure sur l'écran
digital de son portable : deux heures du matin.
- Dix mille dollars pour apprendre que le problème vient du pôle nord, fit
Indy en soupirant.
Il dégrafa son noeud papillon, ouvrit sa chemise à moitié et se dirigea vers
le bar.
- C'est toujours ça, non ? Ca se précise, remarqua Lara.
- Certes, mais ça me paraît plus que léger pour monter une expédition dans
le grand nord. D'autant que les scientifiques ont déjà prévu de le faire,
c'est garanti.
- Mais ce sont des scientifiques. Et si le problème était plus... spirituel ?
- Faudrait une piste, une idée, un début de preuve que ce n'est pas
météorologique !
Indy se servit une bonne rasade de whisky écossais et l'avala d'une traite.
- Enfin, soupira-t-il. On verra ça demain.
- Attends, on va se détendre un peu avant d'aller dormir.
Lara prit le téléphone portable de son ami, qu'elle venait de trouver dans
la poche de son veston. Elle mit le haut-parleur et appuya sur quelques
touches.
- Bonjour, fit une voix féminine. Vous avez... dix nouveaux
messages. Premier message, reçu...
- Pauvre Marcus, fit Indy en riant. Il a dû devenir fou en voyant son
bureau.
- Chut ! Ca commence !
- Indy, c'est Marcus. J'ai adoré ta petite blague, vraiment. C'était
hilarant. Rappelle-moi, s'il te plait.
- Indy, c'est Marcus. Vraiment, je sais que tu dois être mort de honte,
mais réponds, s'il te plait. J'ai besoin de ton aide pour faire le tri.
Rappelle-moi.
- C'est encore Marcus. Tu te rends compte du rangement que je dois faire
? Pleins de dossiers sont éventrés, j'ai besoin de ton aide !
Indy et Lara riaient à gorge déployée. Derrière la voix de Marcus, ils
entendaient clairement qu'il bougeait des papiers.
- Ca continue ! fit Lara entre deux éclats de rire.
- Sérieusement, Indy, tu n'es pas sympa. Je ne m'en sors pas ! J'ai bien
avancé, mais il me reste encore des documents orphelins. Tiens, ça, par
exemple... (ils l'entendirent prendre une feuille) Qu'est-ce que c'est
que ça ! Tiens, tu vois, Indy, c'est un excellent exemple : comment veux-tu
que je retrouve le dossier auquel appartient cette photo d'une pointe de
lance ? Ca peut aller n'importe où ! Rappelle-moi !
Plutôt que de s'étouffer, Indy préféra cracher la gorgée de whisky qu'il
était en train de boire.
- Qu'est-ce qu'il a dit, là ? s'écria-t-il.
- Tu as bien entendu. Une pointe de lance.
Elle décrocha son téléphone, et tout en tapotant le dos de son ami pour lui
faire passer le hoquet, elle commanda deux billets pour New York pour le
lendemain.
***
Indy avait le regard fixé sur l'extérieur,
dans le vague, comme ils survolaient l'Atlantique. Une nouvelle fois. Lara
s'était plainte du décalage horaire, au départ, puis s'était endormie. Lui
n'arrivait pas à trouver le sommeil. Quelque chose le tracassait. Quelque
chose d'important. Mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce qui
n'était finalement guère étonnant : hier il cherchait à comprendre la
situation météo du Royaume-Uni, et aujourd'hui, il revenait à l'enquête sur
le meurtre de Robson. Bref, il se dispersait. Comment bien se concentrer
quand on travaille sur deux cas différents ? Une hôtesse le tira de sa
rêverie en lui proposant à boire.
- Un scotch, merci, fit-il.
- Glaçons ? demanda-t-elle.
Mais Indy n'écoutait déjà plus. Le mot « différent » avait résonné
bizarrement dans son esprit. Comme si... Comme si ça ne l'était pas !
- Les deux affaires sont liées ! s'écria-t-il soudain, faisant sursauter
l'hôtesse qui lui servait son alcool.
Il s'excusa platement en prenant le verre. Son excitation était au comble.
Il n'avait aucune idée du lien qui unissait le meurtre de Robson à la météo
détraquée, mais il était intimement convaincu que ce lien existait. Il
voulut réveiller Lara, mais constata qu'elle ne dormait pas. Bien qu'ayant
les yeux clos et le visage impassible, elle dodelinait lentement de la tête,
en rythme. Indy la secoua. La jeune femme ouvrit les yeux et se redressa.
Elle retira alors les écouteurs de ses oreilles. Un vacarme épouvantable en
jaillit, mélange informe et cacophonique de batteries, de guitares et de
voix stridentes, que pratiquement tout l'avion entendit avec un air
horrifié. Même Indy bondit sur son siège, le coeur battant la chamade. Lara
arrêta son lecteur MP3 et le silence retomba dans l'habitacle.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?? s'écria Indy, abasourdi.
- Sepultura, tu veux écouter ?
- Non, merci, je n'aime que la musique.
- Très drôle. Ils sont très bons, tu sais ?
- Ah parce que ces barbares sont humains ?
- Pfff, inculte ! On est arrivé ?
- Non, dans deux heures.
- Pourquoi tu m'as dérangée ? Tu voulais me dire quelque chose ?
- Oui, mais finalement, ça attendra le calme de la fac.
Elle hocha les épaules et remit ses écouteurs. Elle relança son lecteur MP3
tandis qu'Indy s'excusait par petits gestes auprès des autres voyageurs.
***
Marcus Brody, prévenu par téléphone par
Indy, les attendait dans son bureau. Il était la personnification même de la
désapprobation : tout son être irradiait de vexation contenue et de mépris.
Lara l'aurait volontiers giflé tout l'après-midi, mais ils avaient d'autres
choses à faire.
- J'ai remis les dossiers que tu as jeté dans le bureau de ton père, Indy,
dit-il d'un air pincé. J'ai mis d'un côté les dossiers intacts, de l'autre
ceux qui étaient éventrés, et au centre, les feuilles volantes. Voilà, bon
courage !
- Merci, Marcus, et arrête de bouder !
Indy céda le pas à son amie et ils retournèrent tous les deux au bureau
d'Henry Jones.
- Ce type est insupportable, commenta-t-elle.
- Qui, Marcus ? Il a des côtés un peu pénibles, c'est vrai.
Ils entrèrent dans le bureau. Sans attendre, Indy ramassa la photo jaunie et
racornie de la pointe de lance, et la compara avec celle, plus récente, que
lui avait donné Jacobi : les deux objets étaient bien identiques. Lara
regarda à son tour et soupira.
- Bien, il faut donc trouver d'où vient cette photo...
- Eh oui... Ca va être long, mais grâce à Brody, on n'a que les dossiers
éventrés à vérifier.
- Oui, merci Marcus !
- Arrête tes sarcasmes, Lara. C'est mon plus vieil ami. Tu veux quelque
chose à boire avant de s'attaquer à la pile ?
- Un Diet Coke, s'il te plait.
Pendant que son ami courrait après des boissons, Lara regarda les dossiers.
Et comme par hasard, elle retrouva celui de son mentor, Von Croy, au somment
des dossiers intacts. Elle ouvrit la pochette et eut le temps de lire un mot
avant qu'Indy ne revienne : Asgard.
- Bon, y'a plus qu'à, alors ! s'écria Indy.
Il posa les boissons, prit une chaise et attrapa le premier dossier de la
pile des « éventrés ». Il le tendit à Lara.
- A toi l'honneur. N'oublie pas, le moindre doute, la moindre petite piste,
et tu isoles le dossier. Ca marche ?
- Oui, monsieur le professeur, dit-elle en zozotant.
Un clin d'oeil, et ils commencèrent. Ils compulsèrent sans relâche des
dossiers illisibles et poussiéreux pendant des heures, en silence. La pile
de dossiers diminuait petit à petit, sans qu'aucun des deux amis
n'interviennent triomphalement. Après quelques heures laborieuses, Indy
referma le dernier dossier de la pile.
- Niet, nada, que dalle, soupira-t-il.
Lara termina son dernier soda, sans répondre.
- C'est inutile, continua Indy. Autant chercher une aiguille dans une botte
de foin. On y va ?
- C'est pas de refus !
Ils quittèrent enfin le petit bureau et sortirent du bâtiment. Avec délice,
ils purent parcourir le campus arboré, bras dessus, bras dessous.
- Tu sais, Lara, j'ai réfléchi dans l'avion, et une idée saugrenue m'ait
venu.
- Ah ?
- Oui. Disons que j'ai l'intuition qu'un lien direct existe entre le meurtre
de Robson, donc la pointe de lance, et la météo.
Lara en fut abasourdie.
- Là, tu m'épates, fit-elle. Comment tu peux voir un truc pareil ?
- Ben, en fait, c'est vague... L'orage électromagnétique vient du Nord, la
pointe de la lance aussi, donc voilà.
La jeune femme eut un éclat de rire.
- C'est super tiré par les cheveux là ! Tu trouves pas ça un peu léger,
comme argument ?
- Si, tu as raison.
- De plus, ce n'est pas le même nord. Le Pôle, pour l'un, la Scandinavie
pour l'autre ! Franchement, tu...
Lara s'arrêta soudain de marcher, forçant Indy à faire de même. Il remarqua
aussitôt son air figé.
- Oui ? encouragea-t-il.
- La Scandinavie... souffla-t-elle, les yeux dans le vague. La mythologie... Le
royaume des Dieux... Asgard !
- Oui, et ?
- J'ai vu le mot « Asgard » dans un des dossiers !
- Hein ????
Indy partagea soudain l'excitation de la jeune femme.
- On y retourne ! Lequel ?
- Je ne sais plus !
- Quoi ????
- Si, attends... Je me revoie ouvrir le dossier... une écriture manuscrite...
Indy osait à peine respirer, de peur de couper l'inspiration de la jeune
femme. Elle était en pleine concentration, tentant de rassembler ses
souvenirs.
- Une écriture fine... Masculine... VON CROY !!!! hurla-t-elle soudain.
Indy resta interdit, sans comprendre.
- C'est dans le dossier de mon mentor ! Ca m'a troublée parce qu'il se
trouvait dans la pile des intacts, mais c'est dans le dossier de Von Croy
que le mot « Asgard » se trouve !
Sans hésiter, ils se mirent à courir vers le bureau du professeur Jones.
***
A l'aube des Temps, le fourbe Loki, Dieu
des Enfers, eut une relation contre-nature avec la Géante Angrboda, qui
enfanta un Géant par-dessus tous les autres plus terrifiant et plus
puissant, né sous la forme d'un loup monstrueux. Durant la Grande Guerre,
les Dieux, guidés par le terrible Odin, chassèrent et emprisonnèrent les
Géants, afin de prendre leur place au royaume d'Asgard. Ils furent ainsi
débarrassés de tous les Géants, hormis un. Terrifiés par la force sans cesse
croissante de Fenryr le Loup, ils ne purent se résoudre à le tuer sans
perdre leur honneur, mais ne purent non plus l'emprisonner, sa puissance
étant supérieure à toutes les chaînes jamais créées par les mains des Dieux.
Alors ils firent appel au peuple Nain, qui vivait au pays des Elfes Noirs.
Les Nains construisirent une corde magique capable de retenir l'abomination
qu'était Fenryr. Prétextant un jeu, les Dieux attirèrent le Loup à l'écart
du Monde et réussirent à l'enfermer au plus profond de la Terre, grâce à la
corde naine, dans une grotte noire, devant le portail qui retenait les
autres Géants. Afin de ne pas entendre les hurlements de fureur de Fenryr,
ils plantèrent une épée entre ses monstrueuses mâchoires. Puis ils
retournèrent en Asgard et oublièrent cette histoire. Mais la légende dit que
la corde naine perd peu à peu de sa résistance, et que Fenryr finira par se
libérer. Alors sa fureur jusqu'alors contenue entraînera la colère du Ciel
et de la Terre, des Mers et des Profondeurs, et ouvrira le portail. Il
conduira alors l'armée des Géants et déferlera sur la Terre, lançant
Ragnarok sur la création des Dieux...
Indy reposa la feuille qu'il venait de lire et retira ses lunettes en
soupirant.
- Alors ? demanda Lara. Tu en penses quoi ?
- J'ai bien une idée, mais plus je la ressasse, plus je la trouve ridicule.
- Alors j'ai l'impression qu'on a la même...
- Un loup géant, issu de la mythologie viking, est en train de casser sa
laisse et de se préparer à dévaster le monde, à partir du Pôle Nord...
Lara prit la feuille à son tour.
- ... « entraînera la colère du Ciel et de la Terre », lut-elle.
- Formidable. On a l'explication non scientifique de la météo.
- Ca craint...
Indy reprit le dossier de Von Croy et le parcourut rapidement. Il en sortit
une nouvelle feuille jaunie sur laquelle je trouvais un schéma annoté.
- Et voilà la composition de la laisse, fit-il.
- Tu penses sérieusement que c'est à nous de faire une corde magique,
d'aller dans la grotte au Pôle et de rattacher un loup monstrueux et
mythologique ?
- Tu as raison, il vaut mieux prévenir l'armée. Ou le MI-6. La CIA.
- OK, arrête avec tes sarcasmes. Je t'écoute.
- Il nous faut le pas silencieux d'un chat, la barbe d'une femme, la racine
d'une montagne, les tendons d'un ours, le souffle d'un poisson et la salive
d'un oiseau.
- Ainsi que des artisans nains, donc.
- Voilà. Simple, non ?
- Ce sont peut-être des métaphores. Des énigmes...
Indy soupira : il semblait assez abattu. Lara décida de changer de sujet.
- Il nous reste le lien avec la pointe de lance, et avec le meurtre de
Robson.
- A l'instar de Thor et de son marteau, Odin avait toujours avec lui une
lance divine, qui ne ratait jamais sa cible.
- Ce machin est la pointe de la lance divine du chef des Dieux scandinaves ?
fit Lara en montrant la photo.
Indy acquiesça d'un hochement de tête.
- Je voyais ça plus grand et plus beau, continua-t-elle.
Son ami eut un petit rire.
- Il faut se méfier des apparences, sourit-il. Tu sais à quoi ressemble le
vrai Graal ?
- Oui, je sais. Donc, c'est la pointe de la lance d'Odin. Et qu'en dit Von
Croy ?
- J'ai trouvé une note à ce propos : quiconque possède la Lance et est
pourvu d'un coeur pur pourra pénétrer dans le Sanctuaire des Dieux.
- Donc ça sert à entrer en Asgard.
- Oui.
- Pourquoi vouloir absolument y entrer, au point de tuer ? Et quel rapport
avec Fenryr ?
- C'est ce qu'on doit découvrir. Je vais rester là et faire les recherches...
théoriques. Je suis trop vieux pour courir, maintenant.
- Ca va, t'es carrément mignon pour ton âge !
- Merci, c'est vrai que ça m'a permis de voir un tatouage improbable !
- Bon, et moi, je vais où ? enchaîna Lara en rougissant.
- Tu as le choix : tu récupères la pointe de la lance, ou tu trouves la
hampe.
- Et je n'ai qu'une seule piste : le meurtrier de Robson.
- J'allais le dire.
Lara soupira, puis embrassa Indy du bout des lèvres. Elle quitta le bureau,
confortée par l'idée qu'elle avait quelque chose de solide à se mettre sous
la dent : trouver le meurtrier de Robson. Enquêter. A Londres.
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