Chapitre 25
Lara faisait les cent pas comme une lionne
en cage depuis plus d'une heure. En l'absence de tous les êtres qui lui
étaient chers, elle laissait libre court à sa frustration et à sa colère :
Winston à l'hôpital, Indy et Alex disparus, Bryce... Bref, elle n'avait sous
la main que la dernière personne pouvant l'aider : Kurtis Trent. L'agent
secret était revenu des îles du Pacifique avec le Souffle du Poisson et
attendait la suite au manoir. Son calme et son silence finirent d'exaspérer
Lara.
- Ca te dirait de bouger un peu ton cul ? hurla-t-elle.
Il leva un sourcil étonné.
- Pour faire quoi ? fit-il d'un ton neutre. Rien n'est envisageable sans la
pépite d'or de Jones.
- M'en fous ! Fais quelque chose ! Rends-toi utile, je sais pas !
Evitant la confrontation directe, il se leva, prêt à s'occuper pour
satisfaire la jeune femme. Son absence de résistance termina de plonger Lara
dans une colère noire.
- Tu le fais exprès de m'énerver ? grinça-t-elle.
- Quoi ? Je n'ai rien fait, là !
- Ben justement ! Trouve !
Elle se remit à faire les cent pas pour évacuer son stress, sous les yeux
désabusés de Kurtis.
- Ca ne te ramènera pas Bryce, fit-il soudain.
Lara pivota aussitôt sur elle-même et lança son poing fermé. Le coup, porté
au visage, fit reculer Kurtis, qui, déséquilibré, retomba lourdement sur le
canapé. Il la regarda droit dans les yeux, sans broncher, se contentant de
frotter sa mâchoire endolorie.
- Je ne suis pas non plus Tête de Fouine, Lara.
- Non, mais tu es peut-être dans son camp.
- Tu sais bien que non.
- Je ne sais rien du tout. Je ne te connais pas. Et je ne te fais pas
confiance. Tu mens comme tu respires. Après tout, qui es-tu, Kurtis Trent ?
- Un de tes alliés, qui veut sauver le monde de la dévastation.
- Que dalle ! Après tout, pourquoi tout merde depuis que tu es apparu dans
l'affaire ?
- Tu n'es plus rationnelle. Tu te laisses emporter par...
- Mais oui, bien sûr, tu es dans son camp depuis le début !
Soudain, Lara dégaina son magnum et le pointa sur la tête de Kurtis. Mais
celui-ci avait visiblement anticipé la manoeuvre et avait fait de même, si
bien qu'ils se trouvaient maintenant face à face, Lara debout, Kurtis assis,
à se menacer directement d'une arme.
- T'as de sacrés réflexes, remarqua Lara, sans baisser son revolver.
- Merci. Mais je ne tiens pas à recevoir une balle dans la tête parce que tu
es énervée...
- Alors tu comptes m'en mettre une avant ?
- S'il le faut...
- T'es en train de me prouver que j'avais raison sur ton compte.
- Je croyais que tu ne me connaissais pas ?
- Peut-être pas, mais je vois maintenant clair dans ton jeu.
Un crissement de gravier se fit alors entendre dans l'allée, devant le
manoir. Sans cesser de se menacer, Kurtis et Lara jetèrent un coup d'oeil en
même temps, constatant l'arrivée d'une ambulance.
- Ton majordome... fit Kurtis.
- Je veux que tu aies disparu à mon retour. Je ne veux plus te voir chez
moi, je ne veux plus te voir tout court. Si ça devait arriver, je te
tuerais, tout comme je tuerais Tête de Fouine.
- Ca me parait clair.
- Parfait.
Soudain, Lara rompit l'engagement, rangea son arme et partit à la rencontre
de Winston. Le vieux majordome, encore faible, était installé sur une chaise
roulante par deux infirmiers. Elle se jeta aussitôt à son cou et l'embrassa
tendrement sur ses deux joues ridées. Il prit un air navré, regardant en
biais les deux infirmiers.
- Vous vous oubliez, Lara, fit Winston. Une telle démonstration en public
n'est pas digne d'une Lady, et vous le savez.
- Winston, refaites-moi une frayeur pareille, et je vous vire sans indemnité
! Licenciement direct.
- J'en prends bonne note, milady.
La scène qui se déroulait avait de quoi étonner les deux infirmiers : ils
étaient témoins d'une relation normale entre une patronne et son employé
dans les paroles, et d'une relation toute autre dans les actes et les
regards : une vraie relation entre un père et sa fille. Lara les remercia
chaleureusement et les renvoya. Puis elle se plaça derrière Winston et
poussa le fauteuil jusqu'à l'intérieur du manoir.
- Bienvenue chez vous, Winston, fit-elle.
- Je redoute déjà la somme de travail à effectuer, puisque je ne doute pas
une seconde que vous avez négligé votre manoir, Lara.
Il regarda tout autour de lui, lentement, à la recherche de chaque note
négative. Lara fit de même, mais pour une autre raison : Kurtis Trent avait
disparu.
***
Indy posa la pépite d'or sur la table
basse, à côté des autres artefacts. Puis il s'assit sur le canapé, en
silence.
- Voilà, c'est fait, on a tout, fit Lara.
- Oui... Une pépite d'or, une statuette, une fiole d'eau, un médaillon, un bol
et un coquillage.
- Hétéroclite.
- C'est un fait.
- Et donc, on attend d'être transporté au royaume des nains, comme Thor
l'avait promis ?
- T'as une autre idée ?
Lara fronça les sourcils, et ce mouvement n'augurait jamais rien de bon.
- Si tu as un problème, Indy, n'hésite pas à m'en parler.
- Tu n'aurais pas dû virer Trent, fit-il en réponse.
- On a pas besoin de lui. On a Alex.
- Oh oui ? Et où est-il, Alex ?
- Il va arriver, il me l'a promis.
- Pour l'instant, il n'est pas là.
- Il va venir.
- Tu n'aurais pas dû.
- Ok, si tu me disais vraiment ce qui ne va pas ? Pourquoi tu m'en veux ?
Indy soupira, puis se frotta le visage des deux mains.
- Je ne t'en veux pas, Lara, c'est juste que...
- Que ?
- Je suis épuisé, Lara. Epuisé et écoeuré. On n'y arrivera pas.
- Parce que Tête de Fouine nous a mené en bateau depuis le début ?
- Parce qu'il continue à nous mener en bateau, Lara. Ce n'est parce que nous
savons maintenant qu'il travaille pour Fenryr que nous avons pris le
contrôle de la situation.
- Alors quoi ? On abandonne ?
- C'est certainement l'action qui ennuierait le plus Tête de Fouine, soupira
de nouveau Indy.
- J'arrive pas à croire que tu penses ça !
Indy se contenta de soupirer. Devant une telle résignation, Lara se laissa
gagner à son tour au désespoir et s'assit sur le canapé, en silence. Chacun
d'eux broyait du noir dans leur coin. Au bout d'une heure de morosité et de
silence pesant, Lara se pencha et prit la pépite d'or dans les mains. D'un
bon poids, elle valait certainement une fortune.
- Au pire, on pourra toujours revendre ça ! ironisa-t-elle.
Indy leva les yeux vers son amie, puis reporta son regard sans vie sur la
pépite. D'abord il la regarda sans la voir. Puis ses sourcils se froncèrent,
comme si quelque chose le perturbait. Enfin, la vie sembla revenir à son
visage blafard et un petit sourire en coin fit son apparition.
- Quoi ? fit Lara, troublée par la réaction de son ami.
- Tu as déjà regardé cette pépite ? Je veux dire, réellement ?
Intriguée, Lara s'exécuta. Elle tourna la pépite dans ses mains, étudiant
chaque recoin. Jusqu'à tomber sur une partie un peu étonnante.
- Ce creux possède des formes assez régulières, remarqua-t-elle à haute
voix.
- Bingo ! fit Indy, soudain souriant. Maintenant, essaye ça !
Il attrapa le bol tibétain et le tendit à Lara. La jeune femme jeta un coup
d'oeil à la base de l'artefact et, en silence, ajusta celui-ci dans l'orifice
présent sur la pépite.
- Alors ? demanda Indy.
- Ca s'ajuste parfaitement...
Le bol, enclenché dans la pépite, tenait parfaitement, sans tomber, quelque
soit la position de l'ensemble.
- Un jeu de construction ? demanda-t-elle.
- Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas construire quelque chose avec les
artefacts en version terrestre, avant de construire une corde avec les mêmes
objets en version mythologique ?
- Ok, poussons la logique jusqu'au bout. Bryce aurait adoré faire ça...
Lara refoula son chagrin et attrapa le coquillage. Sans problème, elle
positionna la pépite à l'intérieur et posa l'ensemble sur la table : le
coquillage, contenant la pépite d'or, elle-même soutenant le bol. Indy
regarda à l'intérieur du bol : au fond se trouvait un creux rectangulaire.
Sans hésiter, il positionna la statuette, qui s'enclencha à son tour sans
effort dans la structure nouvellement créée.
- Ca prend forme, remarqua-t-il en s'éloignant. Plus que deux artefacts.
Lara prit le médaillon et le tata dans tous les sens, tout en étudiant la
structure sous tous les angles.
- Tu trouves ? demanda Indy.
La jeune femme ne répondit pas que par un grand sourire : elle plaça le
médaillon dans la main tendue de la statuette, qui se mit alors à ressembler
à un discobole grec.
- Original...
- C'est super moche, oui ! pouffa Lara.
- Reste donc la fiole d'eau... Le Salive des Oiseaux... Une idée ?
- Non. Il est déjà sûr que la fiole ne fait pas partie de l'artefact, donc
il ne peut y avoir de place pour l'enclencher.
- On est d'accord. Il se trouve que nous avons un bol et de l'eau...
- Remplir le bol ?
Indy acquiesça d'un hochement de tête.
- Bah, si on se trompe, on pourra toujours la récupérer dans le bol, fit
Lara.
Elle déboucha la petite fiole et s'approcha de la structure. Lentement, elle
versa le contenu sur le médaillon. L'eau coula doucement sur le bras de la
statuette, avant de rejoindre le fond du bol.
- Pourquoi comme ça ? demanda Indy.
- Je sais pas... Une intuition.
Elle vida entièrement la fiole et la reposa. Retenant leur souffle, les deux
amis restèrent figés devant la composition d'artefacts. Après cinq minutes,
Indy soupira.
- Bide total, fit Lara. Tu sais que j'ai failli y croire, l'espace d'un
instant ?
- On est forcément sur la bonne piste. Tout concorde !
- Je refuse tout net de faire une incantation toute nue !
- T'as retrouvé ton humour ?
- C'est du cynisme. On fait quoi ?
Indy haussa les épaules, impuissant. Cette idée d'assembler les artefacts
était son dernier baroud d'honneur, avant de rendre définitivement les armes
: le grand docteur Jones était totalement dépassé par les évènements. Lara
se leva en soupirant et s'approcha de la fenêtre, afin de se perdre dans la
contemplation extérieure.
- Quel temps fait-il ? demanda nonchalamment Indy.
- Plutôt beau... Par contre, une forêt a poussé dans mon jardin.
- Pardon ?
Lara se tourna vers son ami, une lueur indéfinissable dans le regard.
- Notre petite construction a fonctionné, fit-elle d'une voix mêlée
d'excitation et de peur. Nous sommes « ailleurs » !
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