Chapitre 30
Alex accéléra et passa en trombe devant
Fenryr, s'écartant de Lara qui, elle, fonçait vers l'amas rocheux, derrière
le loup. Il freina juste à temps pour éviter l'énorme patte velue qui
s'abattit devant lui. Il la contourna et fit un roulé-boulé afin d'éviter un
coup de griffe latéral. Sa vivacité lui sauva la vie à chaque tentative du
loup.
- Trop gros, Médor ! s'exclama Alex.
Fenryr sembla apporter du crédit à l'insulte car il revint à une taille plus
raisonnable, gagnant en vitesse ce qu'il perdit en volume. Les coups de
pattes se mirent à pleuvoir deux fois plus vite, et Alex commençait à
fatiguer.
- Vexé ? hurla-t-il, essoufflé.
Profitant d'une soudaine ouverture, il fit plusieurs roulades en direction
du loup et se retrouva ainsi suffisamment proche pour tirer. A peine rétabli
sur ses genoux, il arma son fusil et fit feu : la cartouche frappa Fenryr en
pleine face, le faisant reculer.
- Pan ! Dans les dents !
Il n'eut guère le temps de jubiler : les armes à feu humaines ne faisant que
l'agacer, Fenryr repassa à l'attaque aussitôt. Alex rassembla ses dernières
forces et repartit dans un véritable récital de capoeira, évitant chaque
coup par un mouvement à la fois souple et physique. Le Géant semblait de
plus en plus agacé par cet humain bondissant et insaisissable. Mais Alex se
fatiguait vite. Très vite. Ses mouvements d'esquive devenaient plus lents,
moins précis. Puis il commit une erreur. Une seule. Son regard fut attiré
l'espace d'un instant par Lara, qui venait de s'élancer du haut de l'amas
rocheux, juste au-dessus de Fenryr. Cette distraction, infime pour n'importe
quel être humain, fut suffisante pour le loup géant. D'un coup de patte,
toutes griffes dehors, il frappa Alex avec une telle violence qu'il
l'accrocha et l'envoya plusieurs mètres plus loin dans une gerbe de sang. Le
jeune homme roula sur le sol de la caverne, désarticulé, avant de
s'immobiliser définitivement dans une mare de sang, la poitrine déchiquetée
et une jambe et un bras arrachés. Emporté par la douleur, il perdit
connaissance.
***
Lara escalada l'amas rocheux en courant,
tenant son arme d'une main et la corde de l'autre. Une fois arrivée à un
point où elle ne pouvait plus continuer en courant, elle se retourna et,
prenant appui des deux pieds, se propulsa dans les airs, juste au-dessus de
Fenryr. La suite se déroula comme dans un rêve, son esprit refusant
d'assimiler la réalité en tant que telle. Elle vit Alex la regarder, juste
avant d'être violemment fauché par le loup. Dans le centième de seconde qui
suivit, Fenryr la regarda arriver vers lui, la corde à la main. Il se mit à
grossir, de telle sorte que Lara atterrit lourdement sur son dos velu. Elle
n'eut pas le temps de reprendre ses esprits : Fenryr reprenait déjà sa forme
humaine. Profitant de l'occasion, Lara reprit une impulsion et sauta devant
le loup. En l'air, elle lâcha la corde et roula par terre : sa part du plan
était accomplie. Fenryr, maintenant sous forme humaine, se jeta sur elle et
l'attrapa violemment par le cou, la soulevant de terre. Lara commença à
suffoquer, tentant en vain de lui faire lâcher prise.
- Pauvres humains ! hurla Fenryr. Que pensiez-vous accomplir
contre un Géant ? Que pensiez-vous accomplir contre le puissant Fenryr ?
Vous avez échoué !
Au bord de l'inconscience, Lara vit la corde s'agiter toute seule au-dessus
d'eux, avant de plonger autour du cou de Fenryr.
- J'ai... gagné... fit-elle péniblement.
Surpris, Fenryr se rendit enfin compte qu'il possédait une seconde laisse,
toute neuve, qui le reliait à l'amas rocheux. Il poussa un hurlement de
rage.
- Ton sacrifice servait uniquement à me leurrer, humaine ? Folle que tu
es !
Fenryr hurla de nouveau, faisant trembler la caverne. Puis, de sa main
libre, il frappa Lara. Sous le choc, la jeune femme se mit à vomir du sang.
Son corps et son esprit s'engourdirent, et elle sentit, presque avec
détachement, que Fenryr retirait sa main poisseuse de sang de son ventre. De
rage, le Géant jeta la jeune femme au loin, près du corps d'Alex. Elle se
traîna avec difficulté vers son amour, ignorant les hurlements de rage de
Fenryr. Epuisée, au bord de la mort, elle se colla contre Alex et posa la
tête sur son dos.
- On a réussi, mon amour, fit-elle faiblement. On a emprisonné Fenryr. On a
sauvé la terre...
Elle se laissa aller, prête à mourir. Son esprit embrumé vit alors quelqu'un
s'approcher d'elle. Incapable de la moindre réaction, elle regarda Tête de
Fouine s'accroupir devant elle, un sourire aux lèvres.
- Trop tard... fit-elle. On a réussi... Il ne vous laissera pas... approcher. On
a... gagné.
Tête de Fouine ricana.
- Pas tout à fait, non.
***
Fenryr, sous sa forme humaine, regarda
approcher son frère cadet. Sa colère était immense, et il avait trouvé sur
qui il allait laisser exploser sa frustration.
- Jormungand, bâtard infâme ! hurla-t-il. Serpent !
- Du calme, mon frère. Je suis ici pour toi. J'ajouterais que nous avons les
mêmes parents, ce qui ne fait pas de moi un bâtard.
Fenryr poussa un terrible hurlement de rage, qui fit trembler la caverne.
Sans effet sur Tête de Fouine.
- Inutile de hurler, mon frère.
- Tu as laissé les humains s'approcher de moi, Jormungand. Tu les as
laissé me passer cette nouvelle corde ! Tu as échoué !
- Décidément, c'est une manie, en ce moment... Je n'ai pas échoué, Fenryr.
Bien au contraire. Tout s'est déroulé comme prévu.
- Comme prévu ? Tu étais censé m'amener la corde ! Forcer notre père à
retourner en Asgard pour qu'il convainque Odin de faire fabriquer la corde!
- Corde qui ne pouvait être fabriquée que par des humains, je sais. Et c'est
bien ce qui s'est passé. Je me suis débrouillé pour amener Loki en Asgard,
pour qu'il gagne la confiance d'Odin, pour que les Dieux assignent les
humains à se battre pour fabriquer la corde et pour te l'amener. Tout s'est
donc passé comme prévu, tu en conviendras avec moi. Les humains sont morts,
les Dieux ignorent ce qui se trament depuis le début : nous n'avons plus
qu'à marcher ensemble sur Asgard.
Fenryr écouta avec attention son frère. Après un silence, un sourire
carnassier éclaira le visage du Géant.
- Ta langue est toujours aussi agile, Serpent, fit-il. Pourquoi ne
me retires-tu pas cette corde immédiatement ? Pourquoi ne pas me libére ?
- Fenryr, ton courage est grand, ta force légendaire, ta férocité crainte
par tous les Dieux d'Asgard. Par contre, ton intelligence...
Le hurlement de rage de Fenryr fit de nouveau trembler la caverne. Soudain,
le Géant se transforma en loup et se jeta sans ménagement sur son frère.
Jormungand évita les crocs mortels avec souplesse, se louvoyant avec la
grâce d'un serpent.
- Inutile de t'énerver, mon frère. Tu es attaché, et de plus, tu sais que
j'ai raison. Alors sois tu m'écoutes, sois tu restes ici pour toujours.
Fenryr finit par se calmer et revint à une forme humaine, d'égal à égal avec
son frère.
- Détache-moi, hurla-t-il.
- Contrairement à toi, mon frère, je ne suis pas stupide. Je préfère pour
l'instant te garder en laisse. Quand j'aurais ce que je veux, je te
libérerais.
- Infâme traître ! Je te déchiquetterais et mangerais tes entrailles !
- Je n'en doute pas une seconde. C'est donc bien pour cela que je te tiens...
sous contrôle.
- Parle, immonde serpent ! Que veux-tu ?
- Asgard, évidemment. Mais aussi Midgard.
- Pourquoi ?
- Pour des desseins qui dépassent grandement ta compréhension, Fenryr.
- Ne m'insulte pas, Jormungand. Et surtout, ne me sous-estime pas...
- Loin de moi cette idée ! Je te tiens en grande estime, et c'est bien pour
cela que j'ai besoin de ton aide. Un seul Géant contre Asgard, cela aurait
été difficile. Mais deux Géants, deux frères, la puissance du Loup et
l'intelligence du Serpent, contre Odin... Imagine cela, mon frère ! Vois comme
j'ai juste !
- Qu'ai-je à y gagner ?
- C'est une plaisanterie ? Voyons, mon frère ! Je t'offre la tête d'Odin sur
un plateau ! La tête de Thor ! La tête de Loki, notre père ! Je t'offre
Freyja pour femme, je t'offre Asgard. Je t'offre le pouvoir absolu, Fenryr !
Les arguments de Tête de Fouine semblèrent faire mouche : le Géant se mit à
réfléchir en silence, un quelque chose d'indéfinissable dans ses yeux
jaunes.
- As-tu réglé le cas de l'humain sans destin ? reprit-il.
Tête de Fouine renifla avec mépris.
- Evidemment ! Pour qui me prends-tu ?
Soudain, un coup de feu claqua, résonnant dans toute la caverne. En fronçant
les sourcils, Tête de Fouine ouvrit son manteau et dévoila une tâche de sang
sur sa poitrine.
- Tu es mortel ? fit Fenryr, avec étonnement.
- Bien sûr que non ! Mais mon enveloppe humaine saigne, pour mieux donner le
change. Question de cohérence.
Il se tourna pour voir l'origine du coup de feu. Sans surprise, il découvrit
Lara Croft, étendue au sol, à l'agonie. Elle avait mis ses dernières forces
en jeu pour soulever son arme et tirer. Tête de Fouine s'approcha d'elle et
donna un violent coup de pied dans sa main, la forçant à lâcher son arme.
- Pathétique ! grinça-t-il. Vous espériez quoi ?
- Vous avez... fait ça... uniquement... pour vous débarrasser d'Indiana Jones...
fit-elle, le souffle court. Bryce... Winston... les artefacts.
- Disons qu'en effet, mon but était de créer une telle confusion dans vos
rangs que Jones décide par lui-même de se sacrifier. Ca a marché, n'est-ce
pas ?
- Je vais... vous... tuer...
- Bien sûr, chère amie, bien sûr... Oh, et Kurtis Trent : c'est aussi de mon
fait. Il me fallait quelqu'un capable d'emprisonner mon cher frère, et qui
soit également capable de rajouter de la confusion. Encore un succès.
- Vous aviez... tout... prévu...
- Absolument tout. Rien n'a été laissé au hasard. Bien entendu, je reconnais
l'esprit brillant de Jones, ainsi que le votre. Mais qu'êtes-vous par
rapport à un Géant ?
Ignorant la question, qui ne nécessitait de toute façon pas de réponse, Lara
se mit à ramper, lentement, vers son arme. Jormungand la regarda faire avec
amusement.
- Je vous reconnais également un courage et une ténacité exemplaires, Croft,
fit-il. Votre haine envers moi est visiblement un puissant moteur.
Jormungand s'accroupit à côté de Lara et la retourna sans ménagement.
Incapable de lutter, Lara se retrouva sur le dos, la gorge obstruée par le
sang. Le Géant posa alors la main sur sa blessure et enfonça les doigts dans
la chair à nue. Lara poussa un déchirant cri de douleur.
- Pardon, ça vous fait mal quand je touche ? demanda-t-il.
Il remua les doigts, faisant hurler et gémir Lara. La jeune femme se tordait
de douleur au sol. Jormungand, satisfait, finit par se redresser après avoir
ramassé le Desert Eagle posé là. Lentement, il visa la tête de Lara.
- Votre échec est maintenant total, fit-il.
Lara releva la tête. Dans les brumes de son agonie, elle regarda celui
qu'elle avait appelé péjorativement « Tête de Fouine ». Elle regarda le
Géant qui les avait tous manipulés, depuis le début. L'air de défi qu'elle
arborait se transforma en air de résignation : Tête de Fouine était beaucoup
trop fort, et il avait gagné. Lentement, elle ferma les yeux, attendant
qu'il mette fin à ses souffrances, physiques comme morales. Jormungand
apprécia l'acte de soumission à sa juste valeur et l'accueillit avec un
sourire triomphal, avant d'armer le revolver. Puis il tira.
Et Lara s'écroula.
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