Chapitre 11
Alex et Lara s'étaient vêtus comme de vrais
commandos, donnant l'impression extérieure de partir en guerre, même si,
bien entendu, leurs armes n'étaient pas visibles. Lara portait sa solide
combinaison de cuir noir et avait attaché ses cheveux en une queue de cheval
tressée. Une fois prêts, ils entrèrent de concert dans la chambre occupée
par Bryce.
- Alors, mon chou, donne-moi des nouvelles ! fit Lara en se jetant sur le
lit.
- Ben ça avance, répondit le jeune homme. Grâce au GPS et aux images
satellite, j'ai pu avoir une topographie précise du lac d'Hermannstadt.
- Parfait, nous t'écoutons.
- Ben en fait, le lac est dans une sorte de cuvette, entouré par des
montagnes plus ou moins hautes.
Il appuya sur une touche de son ordinateur et une carte vue du ciel apparue
sur la télé de la chambre.
- Ici, y'a la ville d'Hermannstadt, au bord du lac, dans un coin
relativement aplani, continua Bryce. Mais le truc intéressant, c'est à
l'opposé du lac qu'on le trouve. Ici...
- Y'a des tâches plus noires, remarqua Alex.
- Oui. Un ensemble de grottes.
- Ben voilà, c'est là !
- C'est évident, confirma Lara. C'est une route, ce truc ?
- Oui, ça y mène, reprit Bryce. La présence d'une route est plutôt gênante,
non ? Ca prouve que ces grottes sont connues et visitées.
- Ca ne veut rien dire, mon chou. Nous allons avoir à faire avec des entités
surnaturelles, donc bon... Le principal n'est pas où, mais quand.
- Bref, cette route doit être plus gardée que Fort Knox, non ? demanda Alex.
- Y'a des chances. Une autre voie d'accès, mon chou ?
- Ouais, ici.
Il désigna un minuscule point sur l'écran, d'où partait un petit trait qui
serpentait.
- Mais c'est dans le lac ! s'exclama Alex.
- Ben oui. Apparemment, y'a un petit tunnel qui commence dans le lac et qui
rejoint l'ensemble de grottes. Mais je sais pas si c'est assez large pour
qu'un homme passe.
- Ca se tente quand même, fit Lara.
- Ok, on est donc bon pour de la plongée !
- D'abord de la moto, West. D'abord de la moto.
***
- Surprenant, non ?
- Bucolique, confirma Alex. C'est un genre, quoi...
Les deux amis - amants - se trouvaient en pleine montagne, au bord d'une
falaise haute d'une centaine de mètres, sur un site qui surplombait le lac
d'Hermannstadt. Ils avaient ainsi une vue panoramique assez angoissante :
l'eau était noire, des forêts sombres et denses recouvraient tout, jusqu'aux
berges et des animaux hurlaient à la mort. La pénombre et le froid rendaient
tout cela d'autant plus sinistre.
- Vraiment sympa... affirma Alex en frissonnant. Quelle heure il est ?
- Bientôt midi, répondit Lara en regardant sa montre.
- Un peu tôt pour qu'il fasse nuit, non ?
Lara acquiesça de la tête.
- Faut se dépêcher, fit-elle. On voudrait pas rater le début du cours !
- Tu m'étonnes... Pour une fois qu'un cours pourrait être intéressant.
Il se tut un moment, avant de reprendre.
- Lara, faut que tu saches quelque chose...
- Quoi ?
- Après ta... mort, comme je voulais tuer Banks, Indy m'a dit que ce serait la
pire chose à faire. Bien sûr, maintenant qu'on sait que les Jones sont
contre nous, ça n'a pas la même signification, mais je tenais à ce que tu le
saches quand même.
- Tu as bien fait. Mais ne t'inquiète pas. On y va pour tuer Banks et
empêcher la venue du Diable.
- Parfait, on est d'accord. Et... si les Jones tentent de nous arrêter ?
Lara resta silencieuse. Elle se mordit la lèvre inférieure, machinalement.
Puis haussa les épaules.
- On verra bien... fit-elle, énigmatique.
- Bon, faut se dépêcher, donc. T'as une idée pour rejoindre le tunnel ?
Parce que je me vois pas piquer une tête d'ici...
Elle lui fit un clin d'oeil et sortit l'équipement de plongée de son sac. Ils
s'habillèrent rapidement, puis Lara sortit une toile bien pliée, ornée de
quelques fils.
- Un parapente ? s'étonna Alex. Tu veux nous tuer ?
- Mais non, j'ai confiance en toi, mon chéri.
- Comment ça, « en moi » ?
- Tu es plus costaud que moi, c'est toi qui pilote !
- Super...
Il s'harnacha rapidement, aidée par la jeune femme. Une fois la toile bien
étalée par terre, Lara se colla à son ami.
- On fait un remake de la descente en parachute de la dernière fois,
fit-elle.
- Yep, accroche-toi bien, ma poule !
Lara dans ses bras, Alex se mit à courir vers la falaise. La distance de
lancement étant bien plus courte que nécessaire, il se jeta dans le vide
avant que la voile ne se soit complètement gonflée. Ils chutèrent
légèrement, avant que la toile, dans un choc, ne les retiennent. Ils se
mirent donc à planer au-dessus des eaux noires du lac roumain. Sur les
indications de Lara, Alex tenta d'approcher au plus près de la position
supposée de l'entrée du tunnel. Il manoeuvra avec dextérité afin de leur
épargner une entrée dans l'eau trop vive, avec succès. Leurs combinaisons en
néoprène leur évitèrent de gros désagréments, car l'eau était glaciale. En
surnageant, Alex se débarrassa du parapente au profit du détendeur et de la
bouteille d'air comprimé. A peine le temps de souffler, et ils plongèrent
dans les eaux noires.
***
- Docteur Jones ! On ne fait que se
croiser, en ce moment !
Banks avait l'air ravi. Poussé par son assistante chinoise, il venait à la
rencontre d'Indy, qui s'était laissé prendre par les gardes. Depuis la ville
d'Hermannstadt, il avait pris une route secondaire qui menait vers un
ensemble de grottes, et était tombé sur une véritable base militaire. Bien
entendu, il comptait se laisser prendre, mais il ne s'attendait pas à ça.
Les gardes, armes au poing, l'avait amené à l'intérieur, et il avançait,
mains levées, regardant autour de lui, quand le milliardaire paraplégique
était venu à sa rencontre.
- Je constate avec plaisir que, comme votre père, vous êtes revenu à une
attitude plus raisonnable.
- Détrompez-vous, Banks, répondit Indy. Je ne suis pas là pour vous aider.
- Oh, mais je sais bien, docteur Jones, je sais bien ! Il n'empêche que vous
avez une double utilité. La première, c'est que vous avoir à mes côtés me
permet de vous surveiller.
- Bien entendu. Et l'autre ?
- Je vais vous expliquer ça tout de suite, si vous voulez bien me suivre.
Il fit pivoter son fauteuil et, avec l'aide de Ling Li, se dirigea vers le
fond de la grotte. Indy le suivit, de son plein gré puisque débarrassé de
ses gardes. Banks le savait raisonnable, et suffisamment intelligent pour
comprendre où se situait son intérêt : en cela il n'avait pas tort. Ils
arrivèrent à une ouverture menant à une grotte plus petite et légèrement en
contre-bas. Banks avait fait installer une rampe pour pouvoir y accéder. Ils
avancèrent ainsi pendant de longues minutes, enchaînant grotte sur grotte.
Elles étaient visiblement naturelles, mais Indy ne put s'empêcher de les
voir comme autant de sas menant à la salle la plus dangereuse. Quand ils
arrivèrent dans la dernière grotte, il sut qu'il n'était pas tombé loin,
dans son analyse. La caverne était colossale : cylindrique, elle faisait une
bon demi-kilomètre de diamètre, pour une bonne centaine de hauteur. Le
regard fuyait en vain à la recherche du plafond de la grotte. Celle-ci était
intensément éclairée : aucune zone ne restait dans la pénombre. Ils
s'avancèrent à l'intérieur. Indy se sentait écrasé par les dimensions du
lieu, évidemment, mais surtout par la zone diamétralement opposée à
l'entrée. Le regard d'Indy y avait rapidement accroché l'encadrement d'une
sorte de porte, en forme d'ogive, dont l'arc se trouvait à dix mètres du
sol. Ce passage était immense, mais ce n'était pas ce qui choquait le plus
Indy. L'ornementation des montants inspirait l'horreur, donnait la nausée ou
l'envie de fuir à toutes jambes. Visiblement en pierre, la porte était
sculptée sous la forme d'une collection de visages humains, exprimant tous
la folie, la mort et l'indicible horreur. Tous ces visages avaient les yeux
fous, la bouche ouverte sur un cri muet de terreur. L'effet était saisissant
et Indy se sentait de plus en plus mal à l'aise.
- Etonnant, n'est-ce pas ? ironisa Banks, conscient des sentiments de son
invité.
Indy ne releva pas la provocation. Totalement subjugué par le lieu, il
secoua lentement la tête.
- Qu'avez-vous fait, Banks ? souffla-t-il, la voix rauque.
- Rien encore, docteur Jones. Mais ça ne saurait tarder.
- Vous êtes fou. Ca va vous dépasser.
- Vous me décevez. Je vous prie de croire que j'ai tout prévu. Voilà quinze
ans que j'attends ce moment. Tout est sous contrôle !
- On ne contrôle pas l'Ange Déchu, Banks.
Le milliardaire haussa les épaules.
- Peu importe que vous me compreniez ou non, docteur Jones. Avez-vous
remarqué, devant le portail ?
Indy reconnut sans peine ce que désignait Banks : dix pupitres en pierre
étaient disposés en arc de cercle devant l'ignoble ogive, visiblement
solidaires du sol de la caverne.
- La salle de cours, fit Indy.
Ce n'était pas une question.
- Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai besoin de vous, docteur Jones,
enchaîna Banks.
- Il vous faut neuf autres élèves... Si possible neuf élèves qui ne puissent
pas vous faire de l'ombre. Par exemple neuf personnes qui n'ont pas lu...
- Le traité de magie noire, oui.
- Vous êtes retors, Banks.
- Disons prévoyant, je préfère.
- Hormis mon père et moi, qui sont les autres élèves ?
- Vos deux amis, Ling Li ici présente et quatre... disons collaborateurs.
- Je vois. Quatre pigeons, en somme. Ceci dit, mes deux amis, comme vous
dites, ne sont pas là. Et ils ne risquent pas de venir !
Banks eut un petit ricanement.
- Mais si, ils viendront. Ne vous en faites pas. Je vous ai dit que tout
était sous contrôle.
Un homme arriva alors en courant. Il se pencha vers Banks et lui souffla
quelques mots à l'oreille. Le visage du milliardaire s'éclaira d'un sourire
pervers.
- Et voilà, docteur Jones ! s'écria-t-il. Lara Croft et Alex West sont «
annoncés » dans le tunnel de secours. C'est parfait.
- Je ne suis pas sûr que leur présence soit une vraie bonne nouvelle pour
vous.
- Ca, c'est parce que vous ne savez pas comment je vais les accueillir...
***
Lara et Alex émergèrent en même temps,
lentement. Ils ne firent d'abord dépasser que leur regard, afin de vérifier
les alentours. Rassurés, ils sortirent lentement de l'eau. Ils venaient de
déboucher dans une petite caverne, qui ne servait que de sas dans la
continuation du tunnel. Les deux amis eurent tout juste la place de retirer
leur équipement de plongée.
- Lara ? appela Alex à mi-voix.
- Oui ?
- Que penses-tu de ça ?
- Juste qu'on court à la catastrophe, et que j'en ai marre de morfler.
Depuis le début de cette histoire, j'ai très souvent envie de pleurer,
particulièrement depuis... ce que m'a fait Banks. Je me reconnais plus, Alex...
J'ai tout le temps peur.
- Ouais, pareil, mais je parlais de cette caverne.
- Ah... Alors quoi ?
- Ca me paraît idéal pour faire l'amour une dernière fois, non ?
Lara resta muette, estomaquée par l'audace de son ami. Oser sortir un tel
commentaire dans de telles circonstances ! Il était si imprévisible, si
spontané...
- On va bientôt mourir, renchérit-il. Enfin, voilà, quoi...
Soudain, Lara se pencha vers lui et l'embrassa fougueusement. Leur baiser
fut long et intense. Puis la jeune femme le regarda droit dans les yeux en
lui caressant la joue.
- La fin du monde peut encore attendre cinq minutes... murmura-t-elle.
Et elle se jeta sur lui.
Ils repartirent quinze minutes plus tard, progressant d'abord lentement dans
le tunnel étroit. Après une longue et lente ascension, le passage
s'élargissait au fur et à mesure, jusqu'à ce que Lara puisse marcher debout.
Puis vint le tour d'Alex, plus grand. Ils progressaient maintenant côte à
côte. Au détour d'un tournant, des sons métalliques et des bruits de
conversation leur parvinrent, sans qu'ils puissent clairement les
distinguer. Ils approchaient. Redoublant de prudence et de discrétion, ils
avancèrent encore, et finirent par déboucher sur une grande grotte
entièrement investie par des camions et du matériel divers : ils avaient
trouvé le QG de Banks. Sans hésiter, ils quittèrent leur position surexposée
et se jetèrent à l'abri derrière un camion, accroupis.
- Et maintenant, on fait quoi ? demanda Alex à voix basse.
- Regarde, là-bas !
Alex suivit la direction de son bras : il découvrit Henry Jones assis sur
une chaise, dans un coin, les mains jointes devant lui, tenant son chapeau
mou.
- Et le fiston ? reprit Alex.
- Pas loin, je suis prête à le parier. Tu vois des gardes ?
Alex jeta un rapide coup d'oeil circulaire.
- Non.
- Allons-y !
Ils marchèrent accroupis, les sens aux aguets, vers le vieux professeur
Jones. Une fois assez près, ils attirèrent son attention par un petit
sifflement. Il leur fit un petit signe de la main pour leur dire
d'approcher, ce qu'ils firent.
- Bonjour, jeunes gens, fit-il.
- Vous allez bien, professeur ? demanda aussitôt Lara.
- Oui, ça va, merci.
Henry sortit alors un revolver caché sous son chapeau et le pointa sur les
deux amis.
- Levez les mains en l'air, je vous prie.
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