Chapitre 4
Nous étions revenus sur nos pas, et n'avions pas
rencontré d'autres poursuivants désirant notre peau. Nos pas nous conduisirent donc
vers l'emplacement du temple, au coeur de la forêt amazonienne. Évidemment,
j'avais raison depuis le début.
- Il n'existe pas votre foutu temple, Miss l'archéologue-qui-crache-
des-douilles! Je vous l'avais dit! Ça fait bientôt trois jours que nous tournons en
rond pour trouver ce monastère fantôme, et nous n'avons même pas vu l'ombre
d'une brique sculptée.
- Fermez-la, Orth. Je réfléchi...
- Il était temps que vous commenciez à le faire, merde! En réalité, Croft, vous êtes
ici seulement pour votre propre compte. L'individualisme pourrait vous étouffer si
vous n'aviez pas une tête enflée par l'incompétence. Tout ce que vous voulez,
c'est ce trésor merdique que nous ne sommes même pas en mesure d'identifier.
Vous voulez ce trésor pour vous, comme tous les petits bijoux que vous avez rapporté de
vos dernières expéditions. Je ne suis pas innocent. J'ai lu des articles sur vous :
« Lara Croft revient de tel endroit avec telle merveille! », ou alors « La talentueuse
aventurière ramène ses fesses en Grande-Bretagne avec un artefact valant quelques
millions de pièces sonnantes ». Vous êtes comme une vermine qui cherche des miettes de
biscuit sur le sol. Les trésors, ça vous attire. Alors vous vous êtes dit, un soir,
comme ça « Je vais allez chez Cody Nixon Orth, je vais l'obliger à venir avec moi
étant donné qu'il possède le tatouage, et je vais m'emparer de ce trésor. »
Vous n'êtes qu'une charogne. Vous me dégoûtez. J'exige que vous
m'indiquiez comment sortir de cette jungle afin que-
Son attitude calme et concentrée qui l'habitait depuis le début de mes jérémiades
ne s'estompa nullement. Néanmoins, alors qu'elle me faisait finalement face,
elle me décrocha un solide crochet du droit à la mâchoire. Je titubai légèrement, les
mains plaquées sur le menton, un regard assassin rivé sur elle.
- Du calme, Orth. Vous commencez à délirer, dit-elle posément. Je ne suis pas
névrosée avec mes pistolets. Ne le soyez pas avec votre langue.
- Je ne vois pas le rapport...
- À chacun son arme.
Elle reporta son attention sur la carte qu'elle observait depuis bientôt quinze
minutes. La lèvre inférieure en sang, je maintins le silence quelques secondes.
- Mes opinions et arguments sont mon gagne pain. Pas des armes...
- Et pourtant... À vous entendre, vous êtes mortel, ricana-t-elle.
Je marmonnai quelques remerciements bougons et m'éloignai tranquillement en
m'essuyant la bouche. Ça faisait près d'un mois que je n'avais pour
unique compagnie qu'une aventurière téméraire et mes nerfs étaient donc plus
tendus que jamais. J'entrepris donc de la laisser réfléchir toute seule afin
qu'elle trouve au plus vite ce temple invisible, ou qu'elle baisse les bras et
me raccompagne en Grande-Bretagne. Il est évident que la seconde situation me plaisait
davantage que la première, mais n'ayant pas vraiment envie de recevoir un deuxième
coup de poing, je préférais ravaler mes injures.
J'allais m'asseoir contre le tronc d'un immense arbre fruitier quand mon
pied s'enfonça dans le sol pourri, entre deux racines. Je repris mon équilibre de
justesse en m'appuyant sur l'arbre, puis tentai de désembourber mon pied. Alors
que la faille relâchait finalement ma botte, je perçu un bruit étouffé provenant de
l'interstice que je venais de créer. M'agenouillant au sol, je tendis
l'oreille. Je saisis une brindille qui traînait juste à côté et la laissai tomber
dans l'ouverture.
- Un... Deux...
Un minuscule clapotis parvint à mes oreilles après deux secondes. La branches devait
s'être écrasée dans l'eau en contre-bas. J'entrepris donc
d'agrandir l'ouverture en grattant le sol avec mes ongles, et chaque fois
qu'une parcelle de terre tombait dans le trou, le bruit de son impact montait
jusqu'à moi. Après un instant, ce bruit, qui n'avait pas vraiment de
cohérence avec l'endroit où nous nous trouvions, attira l'attention de Lara.
Elle s'approcha de moi et jeta un regard par dessus mon épaule.
À ce moment, mes doigts butèrent contre une paroi solide, m'empêchant
d'agrandir l'ouverture d'un côté. Lara s'agenouilla à mes côtés
sans un mot, sorti de son sac sa lampe de poche, et la pointa vers la surface dure et
froide.
- Les voilà, vos briques sculptées, dit-elle en souriant.
Oubliant ma haine, je l'aidai à repousser encore la terre de l'autre côté
afin de libérer un passage assez large. Lara y braqua le faisceau de sa lampe de poche.
Des parois lisses et gravées de pictogrammes formaient un couloir haut de plusieurs
mètres et large d'à peine un. Le couloir était entièrement rempli d'eau.
Aucun courant n'agitait la surface limpide, et une odeur de plantes et de bois
pourris s'échappait de l'ouverture que nous avions pratiqué.
- Je vous avais bien dit qu'il existait, ce temple.
- Qui nous dit que c'est vraiment celui que nous cherchons? demandai-je d'un air
suspicieux.
- Qui nous dit que ça ne l'est pas? De toute manière, nous devrons bien
l'explorer pour en être certains. Nous ne perdons rien à aller voir. À moins que
vous préféreriez rester dans les parages avec ces mercenaires à nos trousses...
- Ça serait déjà plus accueillant.
Lara plongea un regard froid dans le mien. Envers quelqu'un d'autre, ses yeux
troublants auraient pu embarrasser, mais elle avait fait l'erreur de confronter
quelqu'un de la même trempe qu'elle.
- Je ne vous ai jamais apprécié, Orth, j'espère que vous le savez. Ne restez pas
dans mes pattes, mais suivez au pas, car sinon, ça ne risque pas de s'améliorer.
- Ce sont des sentiments de haine réciproques, ma chère... D'ailleurs, votre
mascara vous barbouille le visage depuis plusieurs jours, et je me délectais à ne pas
vous le dire.
Nous restâmes ainsi, accroupis l'un en face de l'autre, à nous observer.
Après de longues secondes, je fis un léger sourire.
- C'est pas dans ces moments tendus que les deux héros s'embrassent,
normalement? demandai-je innocemment.
- Vous n'êtres qu'un con, grogna-t-elle en me poussant dans l'ouverture
que nous venions de pratiquer.
- Hey! Du calme! Pourquoi moi? Vous devriez y aller en premier, pour vous laver le visage,
vous ressemblez à un stupide raton-laveur. Lara, merde, c'est haut, arrêtez!
Elle m'assena un coup sur le poignet, tout en poussant mon pied droit dans le trou,
et je perdis prise. Je perçai la surface limpide quelques mètres plus bas dans un rideau
d'éclaboussures. Alors que je refaisais surface, de l'eau jusqu'aux
épaules, Lara entreprenait déjà de descendre par l'ouverture.
- Je ne vous ai jamais permis de m'appeler par mon prénom, Orth. Et le raton-laveur
n'a pas arrangé les choses. Ça vous apprendra. Et maintenant, bougez votre popotin
de là, je descend.
Elle s'élança dans l'ouverture et atterri à mes côtés en produisant une
simple vague. Elle émergea de l'eau et attacha ses cheveux plus solidement. Je
l'observai avec un regard en coin, et émis un soupir plaintif.
- Qu'est-ce que je donnerais pour un verre d'eau saine et une galette au
riz...
- Vous ne voyez pas grand...
- C'est déjà mieux qu'une feuille en guise de repas.
Depuis le début de notre périple, je n'avais de cesse d'implorer Lara de
chasser des singes ou des petites vermines afin que nous puissions les faire cuire et
ainsi manger de la viande. Mais elle protestait en disant qu'elle n'avait pas de
silencieux sur ses armes, et que la détonation pourrait alerter nos poursuivants.
C'était là une des nombreuses sources de querelle entre elle et moi.
- Alors? demanda-t-elle tout en allumant une torche incandescente. De quel côté
allons-nous?
- Vous me laissez le choix?
Elle me jeta un oeil surmonté d'un sourcil froncé.
- Vous avez raison, il ne vaudrait mieux pas.
- Je m'en doutais... marmonnai-je.
- Allons de ce côté.
Lara s'engagea vers la droite, caressant le mur du bout des doigts. La suivant de
près pour ne pas me retrouver dans la pénombre ou dans la noirceur, j'observai
nonchalamment les parois gravées de signes et de traits semblables à ceux de mon
tatouage. Mais n'ayant jamais eu l'âme d'un chercheur, je m'embêtais
plus que je n'étais captivé.
Après une quinzaine de minutes de marche en eaux peu profondes, je commençais
sérieusement à manquer de distraction. Aussi me mis-je à jacasser.
- J'ai froid.
- Je m'en fout.
- J'ai faim.
- Je m'en balance.
- Je veux rentrer.
- J'en ai strictement rien à cirer...
- Je veux du savon.
- Orth...
- Et un rasoir.
- Orth...
- Et j'aimerais bien-
- Orth!
- Oui?
Lara s'était retournée, la respiration saccadée, et plaqua la torche contre son
visage. Des ombres effrayantes se dessinèrent au dessus de son nez et dans ses orbites.
Elle approcha et frôla mon nez avec le sien.
- J'en ai marre de vous, Orth.
- Moi aussi, vous savez, j'en ai-
- Fermez-la!
Son hurlement me déséquilibra un peu, à peine, mais l'écho sembla énormément
plus menaçant. Il s'enfuit dans le couloir, des deux côtés, et alla mourir
beaucoup plus loin. Je ne vous cacherez donc pas que je me suis tu. Seule la respiration
de Lara troublait maintenant le silence. Elle calla la torche sous l'eau, de manière
à cacher qu'elle serrait les poings, et nous fûmes plongés dans une pénombre
teintée de jaune. Elle m'observa longuement, les dents serrées. Je décidai que
l'attitude à adopter dans une situation comme celle-ci était de paraître innocent.
Aussi levai-je les sourcils et baissai-je sensiblement la tête en ne quittant pas son
regard des yeux.
C'est alors qu'un minuscule choc, à peine perceptible, ébranla le corridor et
agita l'eau dans laquelle nous baignions. Il se répéta après quelques secondes, à
peine plus puissant.
- C'est quoi? La reconstitution de Jurassic Park? ricanai-je.
- Ouais, c'est ça, le T-Rex s'amène, me souris Lara.
Notre plaisanterie simultanée fut ponctuée par une troisième secousse, encore une fois
plus forte que les premières.
- Euh, sans blague... Qu'est-ce que c'est?
Une autre secousse. Puis une autre. Le choc augmentant à chaque la fois en amplitude et
en intervalle.
- Un T-Rex? hasarda Lara.
Le choc ébranlait maintenant les parois, faisant décoller des petites plaques de
calcaire qui s'enfonçaient dans les eaux sombres. Lara ressorti sa torche de
l'eau et balaya les alentours du regard. Elle me refit face, l'air aussi
effrayée que moi. Nous restâmes ainsi à tenter d'identifier la provenance des
secousses, sans résultat. Puis, mon regard s'ancra d'effroi sur l'origine
du séisme.
- Pas... un T-Rex... Mais un semblant de... Croft, derrière vous...
Lara ne prit même pas la peine de se retourner et plongea sous la surface, évitant de
justesse la lourde massue qui allait justement lui fracasser le crâne, et m'empoigna
à la taille pour m'entraîner avec elle. Je me retournai et me mis à nager à ses
côtés, comprenant que la nage serait plus rapide que la course. Mes muscles semblaient
s'enflammer à cause des efforts que je déployais pour fuir la statue de roc.
D'ailleurs, celle-ci s'engagea derrière nous dans le couloir. Bien que nous
soyons sous l'eau, nous percevions le bruit sourd de sa massue qui
s'entrechoquait contre les parois, le crissement de ses épaules et de sa tête
contre les murs et le plafond de pierre, et le martèlement répétitif de ses immenses
pieds sur le sol. La vision de la statue, immense masse noire sur fond noir, me hanta
alors que je perçais la surface pour respirer. Lara émergea à mes côtés. Elle se
retourna, mais son visage ne trahi aucune émotion alors qu'elle découvrait la
statue.
- Elle vient lentement, mais sûrement, soupira-t-elle.
- Tu n'as pas en ta possession une quelconque bombe pouvant détruire cette chose?
- On va bien voir.
Elle dégaina ses pistolets et fit feu. Des éclats de roche se détachèrent de la
gigantesque statue mouvante, mais les balles ne ralentirent nullement sa progression.
- C'est comme d'insulter un arbre. Aucune réaction, marmonnai-je.
La créature de roche poussa alors un gémissement lugubre et crispa sa main libre sur son
autre bras. Elle arracha un éclat de roche d'une longueur de trente centimètres et
le projeta violemment dans notre direction. L'éclat frappa durement Lara à la
tempe. Par chance, elle fut frappée par le plat de l'arme improvisée, et non le
côté tranchant qui lui aurait facilement scié le crâne. Je la retint alors
qu'elle reprenait ses esprits et que le golem arrachait un nouveau fragment de roc de
son propre corps. Il le jeta vers nous, et j'agrippai le crâne de Lara afin de
l'enfoncer dans l'eau avec moi. Évitant le projectile de justesse, nous
émergeâmes à nouveau.
- Si cette chose est trop imbécile pour respecter l'intimidation, on est mal
barrés, grogna Lara. Fuyons avant que notre cervelle gicle sur les fresques murales.
- Je suis d'accord, mais si on se dit profiteur, autant profiter pleinement, et ne
pas fuir que pour le plaisir de fuir. J'imagine que la loi de la jungle
s'applique aussi dans des catacombes se trouvant sous une jungle, non? Jette ta
torche.
Lara lança sa torche dans le couloir. Lui saisissant le poignet, et prenant une grande
respiration, je l'entraînai sous l'eau. Nous nous dirigeâmes vers la statue,
et nous nous arrêtâmes devant elle. L'ouverture entre les deux blocs de granit lui
faisant office de jambes était trop restreinte pour nous y faufiler. Nous attendîmes
donc qu'elle fasse une enjambée pour nous glisser derrière elle et nous éloigner
dans l'eau sombre. Nous émergeâmes le plus loin possible, à bout de souffle, en
pleine noirceur.
Nous restâmes silencieux quelques secondes. Ne percevant ni crissement de roc, ni
secousse, nous nous détendîmes légèrement.
- Profiter de la stupidité des autres, oui... ricanai-je.
Lara alluma à nouveau une torche, dévoilant cinq autres golems aux poings en cisaille,
inclinés vers nous.
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