Chapitre 7
- Tâchez de ne pas- Merde. Trop tard...
Lara s'était proposée pour être mes yeux, étant donné que j'avais toutes
les misères du monde à grimper et à voir où je posais les pattes à la fois. Aussi
avait-elle obstinément arraché la torche d'entre mes dents et la tendait-elle
devant moi en m'indiquant où se trouvaient les prises, quels obstacles se
présentaient lors de l'ascension... et quels mauvaises surprises pouvaient
arriver.
- Bordel...
Je secouai nerveusement ma main que je venais de déposer sur une racine pourrie. La
substance végétale s'était insinuée entre mes doigts avec un bruit juteux.
Un pied ancré dans un trou du tronc en face de moi, l'autre stabilisé dans une
seconde ouverture derrière moi, les mains agrippées à des racines ayant transpercé le
bois pourri, j'en étais à près de 5 mètres d'altitude. Lara ne perdait pas
prise, et prenait sa tâche au sérieux.
- Orth... C'est vous qui ne sentez pas très bon ou c'est l'arbre qui-
- Les deux, les deux...
Tout pour qu'elle se la ferme...
- Vous êtes bien tendu tout à coup... Ne me dites pas que vous êtes devenu
susceptible! ricana-t-elle.
- C'est que je suis suspendu à des racines pourries, que j'ai un poids
inconfortable et profondément lourd - dans tous les sens du terme - sur les
épaules, et que j'ai une terrible envie de pisser.
- Allez-y, ne vous gênez pas...
- Vous devriez y penser à deux fois avant de dire des choses pareilles, Croft...
- Oui, je sais, mais je suis certaine que vous n'êtes pas trop moche.
- C'est pas ce que je voulais dire...
- Oui, je sais.
- Réservez vos excès de perversité à d'autres, Miss Croft. Pour le moment,
j'ai besoin de vous pour autre chose que d'analyser mon anatomie. Ça vous
ennuierait de m'éclairer un peu la voie, étant donné que vous ne m'aidez pas
à grand chose d'autre?
- Avec une attitude comme celle-ci, jeune homme, j'en ai pas très envie.
- Je peux très bien vous laisser tomber.
- Je peux très bien vous menacer d'un pistolet à la tempe.
Je gardai le silence quelques instants, ravalant ma trop grande frustration.
- Miss Croft, daigneriez-vous m'éclairer la voie?
- On devient sage... bon garçon.
Sur ce, elle tendit la torche vers le haut, révélant quelques prises praticables. Tout
en m'étirant pour en saisir une, je pris un air décontracté.
- Dites, Croft, vous avez jamais pensé vous mettre au régime? Vous devriez
peut-être...
Elle me saisit fermement la mâchoire, m'empêchant de parler, et enfonça ses ongles
dans mes joues.
- Encore un commentaire du genre, Orth, et vous allez finir l'ascension du pommier
avec un pistolet entre les dents.
Je marmonnai un « C'est d'accord » suivit d'un « Pourriez-vous me
lâchez » pratiquement incompréhensibles vu la poigne handicapante de Lara. Elle retira
sa main sauvagement et sans ménagement. Une envie de vengeance me traversant
l'esprit, je basculai vers l'arrière et plaquai Lara contre le tronc poisseux
de l'arbre.
- Oups, désolé, j'ai trébuché, lançai-je d'un ton sarcastique.
- Dégagez, j'étouffe!
- Hey! C'est la meilleure nouvelle que j'ai entendue depuis... hum... un
mois!
Accompagné d'un « Espèce de couillon! » rageur, elle m'assena un coup de
poing dans les côtes, ce qui eu pour effet de me faire perdre prise. Mon pied droit
glissa de son emplacement, et l'une des racines à laquelle j'étais agrippé
céda suite au mouvement brusque de ma chute. Lara, toujours étampée contre le tronc, ne
pu résister à la secousse et perdit prise. Elle tomba dans le tronc, se déchirant le
dos sur l'écorce et les racines.
Son cri, poussé par l'émotion soudaine que produisait cette chute relativement
imprévue, fut sèchement stoppé alors que je lui agrippais l'avant-bras. Elle
observa le sol sous elle, éclairé par sa torche qui y était tombée. Puis elle leva un
regard effaré vers moi.
- Sauvée par l'intello... ricana-t-elle.
- Bon. Miss Croft, je crois que dorénavant, on s'entend pour dire qu'on ne se
chamaillera plus dans les hauteurs...
- Je suis d'accord... Joli sauvetage.
- Merci, répondis-je avec un sourire rayonnant.
- Maintenant, est-ce que le secouriste serait assez aimable pour m'expliquer comment
nous allons faire pour bouger de là?
La question me rappela notre fâcheuse posture. Lara était tombée. J'étais tombé
juste après elle. Étonnement, mon pied s'était empêtré dans une racine et
j'étais maintenant à l'envers, lui agrippant le bras d'une main et me
retenant à la paroi de l'autre.
- Ce que je sais, néanmoins, c'est que nous devons opérer rapidement. Il y a
toujours ce besoin naturel qui me tenaille la vessie, et, bon, vous connaissez la suite.
Son visage se figea en une expression de dégoût. Sans attendre, elle tenta de se tirer
vers le haut en grimpant le long de mon bras. Elle s'immobilisa momentanément au
niveau de mon visage, me scrutant d'un air calculateur.
- Vous avez de beaux yeux, Orth. Scintillants, attentifs, profonds. On s'y perdrait
des heures de temps. Verts?
- Bleus. La lumière de la torche est trompeuse.
- Bleus... Ça me rappelle une de mes aventures qui s'était déroulée en
territoires connus. J'étais partie chasser dans un boisé en Angleterre, et
j'étais tombée sur un vilain sanglier qui m'avait pourchassé. C'est
drôle. Le porc avait les yeux exactement de la couleur des vôtres.
Et sur ce, elle continua à grimper en ricanant machiavéliquement.
- Eh bien, Croft, je n'ai peut-être pas vécu une aventure extraordinaire comme la
vôtre, mais dites-vous bien qu'il y avait un charmant éléphant au zoo, quand
j'étais petit, et non seulement il avait les yeux de la couleur des vôtres, mais il
avait aussi votre silhouette.
Elle m'assena un coup de genou sur la mâchoire avant d'y prendre appui pour
grimper plus haut.
- Tenez votre langue, Orth. Je pourrais très bien grimper en prenant pour appui votre
entre-jambes. Et de toute manière, n'aviez-vous pas dit que nous cessions de nous
chamailler en hauteurs?
- C'est vous qui avez commencé.
- C'était un simple réflexe... vous omettez que je vous ai offert des
compliments juste avant.
- Ça ne compte pas si vous vous êtes forcée.
- Je ne me suis pas forcée. Vos yeux sont magnifiques.
Je redressai la tête afin de voir où elle en était dans son escalade. Elle
s'était agrippée à des racines qui semblaient être sûres et avait son pied
valide bien enfoncé dans une fissure du tronc. N'ayant donc plus besoin de moi comme
support, je pouvais dorénavant me redresser.
- Vous vous débrouillez bien, Miss Croft. Pourquoi ne continueriez-vous pas
l'ascension toute seule, comme la grande fille que vous êtes?
J'arrivais alors à son niveau, et avais posé cette question sans m'attendre à
un résultat positif. J'étais conscient qu'elle peinerait à escalader ce tronc
d'arbre, et je n'avais pas l'intention de la laisser grimper seule. Je lui
souris, prouvant l'inutilité de ma demande. Je ne fus aucunement surpris
qu'elle s'agrippe à nouveau à mon dos en clamant comme une gamine qu'elle
« n'en a tout simplement pas envie ».
Les quelques mètres perdus lors de notre chute et les autres qui restaient à gravir
furent rapidement de l'histoire ancienne. Près de quinze minutes après le début de
l'ascension, nous débouchions finalement sur ce qui s'avérait être une
seconde poche d'air sous la terre. Celle-ci, contrairement à celle d'où nous
venions précédemment, était minuscule.
Lara roula sur le côté afin de soulager mes épaules de son poids et je grimpai à sa
suite dans la petite galerie souterraine. Nous avions à peine assez d'espace pour
être accroupis. Lara s'étendit, soupirant avec une grimasse de douleur.
- Puis-je faire quelque chose pour-
- Je n'ai rien apporté pour soulager la douleur. Non, vous n'y pouvez rien,
Orth.
- Mais on a des-
- Ça ne soulage pas la douleur.
- Non, mais ça-
- Le problème, c'est la douleur. Pas l'hémorragie, pas le handicape, pas le
manque d'esthétique, la douleur, compris!?
Je murmurai un inaudible « Désolé » et commençai à fouiner aux alentours. Le plafond
me semblait humide à la différence des murs, et des pousses, semblables à des algues
huileuses, se détachaient de celui-ci.
- On ne doit pas être bien loin de la surface si les sols boivent l'eau
jusqu'ici, marmonna Lara en me regardant faire.
Puisqu'elle venait d'approuver mon hypothèse, j'entrepris de gratter le
plafond avec mes doigts, ne portant aucune attention à toute la terre qui me tombait sur
le visage. D'ailleurs, je crois bien avoir entendu Lara ricaner vu la teinte
brunâtre que je prenais avec le temps, mais mon envie de sortir de cet endroit surpassait
de loin mon besoin de répliquer sarcastiquement. Et ce n'est pas peu dire.
J'avais creusé près de trente centimètres lorsque je me suis effondré sur le dos,
incapable de soulever mes bras à nouveau. Le sol était solidement entassé, et donc
difficile à détacher et à faire tomber. De nombreuses pierres ralentissaient également
ma progression. Lara, sans un mot, se pencha par dessus moi, observa mon travail et roula
à nouveau dans son coin.
- Ce sera long, déplora-t-elle.
Sur ce, une goutte d'eau se détacha du plafond et s'écrasa sur mon front. Je
soupirai, puis, après quelques secondes de réflexion, souris.
- Je n'ai jamais eu aussi piètre allure.
Lara me regarda, sourcils froncés.
- Le gentleman que vous étiez en a prit un coup côté apparence, je vous le concède.
- Vous n'êtes pas bien mieux, Croft... dis-je en m'essuyant le front du
revers de la manche.
- Vous êtes maigre.
- Vous puez.
- La barbe vous va horriblement mal.
- Vous avez une tête d'épouvantail.
- Vous avez des yeux de sanglier.
- Et vous la grâce d'un pachyderme.
Et alors qu'elle levait sa jambe valide pour me frapper au bas ventre, le plafond
céda. Pas énormément, au début. Un petit débit de glaise et de boue vint me couvrir
le crâne. Je m'éloignai sur le dos, appuyé sur mes coudes, pour fuir le jet qui se
mêlait progressivement à la terre pour créer un mélange brun visqueux. Le débit
augmenta précipitamment lorsqu'un rocher céda. Je m'éloignai hâtivement et
arrivai aux côtés de Lara. Celle-ci m'agrippa le bras.
Puis il y eu une sorte d'implosion, et la totalité du plafond, entremêlée de
plusieurs litres d'eau, s'écroula sur nous en tourbillons. L'air
s'échappa avant même que nous prenions conscience de l'affaissement de notre
habitacle. Nous nous retrouvâmes au milieu de nuages de terre ballottés par le courant
venant tout juste de s'engouffrer dans l'espace nouvellement acquis.
Je tirai Lara vers moi, passai mon bras sous ses épaules et l'aidai à retourner à
la surface. Nous émergeâmes au milieu d'une rivière, large de près de vingt-cinq
mètres. L'éclat du soleil, à son zénith, nous fouetta plus durement que toutes
les émotions accumulées depuis le début de notre périple. J'immergeai ma tête à
nouveau sous l'eau tout en fermant les yeux, la lueur étant trop vive pour être
supportable. Lara se contenta de placer sa main en visière et de tourner le dos au
rayons.
Lorsque nos yeux furent davantage habitués à la luminosité ambiante, nous observâmes
les alentours. Je maintenais Lara à la surface en entourant sa taille d'un bras,
afin qu'elle ménage son genou blessé.
- Holà, holà! Qué passa?!
Nous pivotâmes prestement vers le jeune homme qui venait de nous interpeller. Lara, qui
se trouvait derrière moi, dégaina instinctivement son pistolet, joignit les mains devant
moi et visa. J'agrippai l'arme et l'enfonçai dans l'eau rageusement.
- Idiote... C'est notre chance de survie et vous voulez la bousiller?
Je reportai mon attention sur le jeune homme, qui approchait en manoeuvrant doucement
son radeau à l'aide d'une perche. Je me raclai la gorge.
- Hum... Habla... Euh... Lara, c'est quoi « parler » en-
- Ustedes hablan ingles? me devança le jeune homme.
- Hum... Sì! Oui! Voilà!
Le jeune homme ricana légèrement et, tandis que son radeau approchait dangereusement de
nous, planta sa perche devant et le fit freiner. Les billots de bois, liés avec des
cordages serrés, stoppèrent devant nous. L'adolescent s'approcha du bord, se
pencha et me tendit une main bronzée. Reconnaissant de son aide, je lui saisis
l'avant-bras tandis qu'il en faisait de même avec le mien. Nous figeâmes tous
trois en observant notre poigne.
Mon tatouage, sur lequel perlait des gouttelettes d'eau, semblait se compléter avec
celui qui était dessiné à son avant-bras.
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