Chapitre 8
Nous glissions paisiblement le long de la rivière depuis
bientôt trois heures. Alejandro, le jeune homme nous ayant repêché, nous a servit
nourriture, eau potable et nous a invités à demeurer avec lui. Nous lui avons expliqué,
en détails, les moindres étapes de notre périple, ce qui suffit à le captiver. Tout
dans son allure solitaire trahissait son adoration pour ma profession et pour le physique
de Lara. L'adolescent parlait parfaitement anglais, étant le fils d'un
américain et d'une brésilienne. Il était maintenant orphelin, et survivait grâce
à ce que la jungle lui apportait. Ne voyant que très rarement des gens, notamment afin
de vendre ce qu'il récoltait sur la rivière, il était profondément empli de joie
à l'idée de voyager avec des compagnons. Surtout des anglais. Combien de fois nous
a-t-il répété qu'il adorait notre accent...
Il nous révéla ensuite la provenance de son propre tatouage, qui s'avérait être
la réplique exacte de celui peinturé sur le plancher du temple enseveli. Il nous raconta
que c'était un rite d'initiation à la vie. Des âneries que les gens non
civilisés s'inventent, bref. Néanmoins, un immense soulagement nous habitaient
maintenant, Lara et moi, suite à la découverte de la troisième clé révélant
l'emplacement du trésor.
Nous expliquâmes à Alejandro en quoi son tatouage, ces pictogrammes à la con qu'il
n'avait, tout comme moi, même pas décidé d'avoir sur la peau, formaient
l'unique route qui nous mènerait à un trésor. Un trésor, une récompense, un
billet d'avion pour l'Angleterre, appelez ça comme vous voulez. Alec était
totalement enjoué à l'idée de trouver un trésor, surtout en notre compagnie, et
ce ne fut donc pas difficile de le convaincre de nous suivre dans cet enfer.
Peu après notre embarquement sur le radeau d'Alejandro, celui-ci observa la blessure
de Lara. Il semblait bien s'y connaître en médecine improvisée, et je ne doutais
pas de ses capacités vu l'endroit où il vivait jours et nuits. Il avait du
développer certaines connaissances en la matière. Aussi fus-je profondément captivé
alors qu'il replaçait froidement la rotule à sa place en ne prêtant pas attention
aux hurlements de rage et de douleur de Lara. Et bien qu'elle l'envoya paître
à maintes occasions, il s'appliqua néanmoins à bien refermer la plaie avec un
bandage serré et à hydrater la peau avec un onguent de sa fabrication. Dix minutes
après l'opération, Lara semblait déjà moins maladive et reprenait un peu de
couleur tandis que la douleur s'estompait.
La journée tirait à sa fin, et nous nous sommes séparés, chacun de notre côté du
radeau, afin de vaquer à nos occupations ou de songer paisiblement aux événements
récents. Je fredonnais un petit air tout en observant le soleil se cacher sous
l'horizon. Lara se traîna vers moi et prit place à mes côtés.
- Je ne vous croyais pas capable de chanter si bien.
- C'est une berceuse que ma mère me chantait quand j'étais jeune.
- Vous ne m'aviez pas dit que vous étiez orphelin?
- Ma mère adoptive, si vous préférez... Elle aussi est morte.
Lara trempa son doigt dans l'eau limpide de la rivière et le déposa sous ma
paupière. Une goutte s'en détacha et glissa le long de ma joue. Elle me sourit
d'un air malin.
- Il ne faut pas pleurer son décès, Sir. Il faut néanmoins la remercier d'avoir
pris soin d'une relique vivante.
J'abaissai la tête vers les flots, embarrassé par les propos de Lara. Elle me
tendit alors un bout de tissu.
- Tenez... Pour vous laver si vous en avez envie.
Je murmurai quelques remerciements tout en prenant la serviette qu'elle me tendait.
Elle roula sur le côté afin de retourner s'appuyer contre une caisse de nourriture,
un peu plus loin.
Je trempai la serviette à l'eau et me frottai le visage, l'esprit confus, mais
ne songeant à rien en particulier. Alejandro vint s'asseoir à mes côtés et
plongea ses jambes à l'eau.
- Vous n'avez pas peur de vous faire croquer par une bestiole, lançai-je en le
voyant faire.
- Je suis plus rapide qu'elles, faut pas s'en faire, me répondit-il en me
frappant faiblement l'épaule.
Je retrempai la serviette à l'eau et nettoyai de multiples égratignures sur mon
mollet. Le sang, séché depuis près d'une semaine, révéla quelques cicatrices
qu'il dissimulait.
- C'est votre femme? me demanda Alejandro.
- Hey, pas si fort, ricanai-je. Pourquoi allez-vous vous imaginer des histoires pareilles?
- Je ne sais pas, vous semblez bien proches.
- Après un mois dans la jungle avec quelqu'un, il est un peu normal que l'on
compte sur l'autre pour survivre. Mais vraiment, Alec, c'est de la foutaise vos
soupçons. Moi, être le mari de ça? Vous voulez rire.
- Enfoiré! gueula Lara derrière nous.
Alejandro et moi échangeâmes un sourire. Lara croisa les bras, se retourna et
s'installa pour dormir. Alejandro se releva, me souhaita une bonne nuit et se dirigea
vers son hamac, suspendu entre deux billots cloués au radeau. Le silence retomba sur
notre petit groupe. La lune prit place dans les cieux, me semblant plus grosse et plus
lumineuse que le soleil lui-même. J'étais conscient que mes comparses ne dormaient
pas encore. Néanmoins, je ne me gênai pas pour fredonner la berceuse de ma mère dans
l'air frais de la nuit, admirant l'astre nocturne qui me baignait d'une
lueur morbide.
J'ai chanté tout bas près d'une dizaine de minutes. Alejandro somnolait
déjà, marmonnant des paroles en espagnol dans son sommeil. Il semblait dormir
profondément, mais tout de même alerte et prêt à toutes éventualités. Je me relevai
afin d'aller me chercher une couverture sur laquelle m'étendre quand je croisai
le regard de Lara, qui m'observait silencieusement.
- Vous ne dormez pas encore?
- Vous faisiez un tel boucan, me sourit-elle.
Je lui rendis son sourire alors que j'empoignais une couverture. N'ayant pas la
moindre envie de me réveiller à l'eau suite à un rêve un peu trop mouvementé, je
préférais dormir au milieu du bateau. Aussi m'approchai-je de Lara, dépliai-je ma
couverture et m'installai-je à ses côtés. Couché sur le dos, j'observai les
étoiles en silence. Au bout de quelques instants, je fermai les yeux en souriant.
- Je ne réussirai jamais à m'endormir si vous me fixez comme ça, Croft...
Aucune réponse. Je tournai la tête dans sa direction. Un sourire paisible se dessinait
sur ses lèvres.
- Qu'est-ce qui se passe?
Aucune réponse. Toujours ce sourire. Je perdais patience.
- Y a un problème, Croft? S'il y avait un problème, vous me le diriez, hein? Vous
ne me laisseriez pas dans l'ignorance. Qu'est-ce qui-
- Vous ne vous arrêtez jamais de parler, hein?
Et sur ce, elle me pinça le nez. Sans raison apparente, sinon celle de m'énerver.
- Ah ben ça. Moi je suis certain que vous êtes mariés et que vous voulez pas me le
dire.
Nous jetâmes un coup d'oeil à Alejandro qui s'était redressé dans son
hamac, cheveux ébouriffés et yeux mi-clos. Observant successivement l'un et
l'autre de mes compagnons, je perdis finalement patience.
- Vous allez arrêter de vous scruter et de vous observer mutuellement? Croft : je veux
dormir, alors cessez d'espionner mes moindres battements de paupières. Alejandro :
non, Lara et moi ne sommes pas mariés, je vous la laisse si vous y tenez tant. Bonne nuit
tout le monde.
Je me retournai sur ma couverture, dos à eux, et tentai de m'assoupir. Je les
entendis ricaner légèrement derrière moi. Je me redressai prestement.
- Bon, ça suffit maintenant! Vous voulez bien vous la-
Mon regard se riva sur ma jambe, où s'engageait justement un serpent. J'émis
un cri angoissé avant de balancer à la bête un solide coup de talon sur sa tête. Le
reptile roula un peu, puis déguerpit dans l'eau en formant des ondes à la surface.
Ma respiration saccadée et mon air terrifié eurent raison du sérieux de mes compagnons.
Il éclatèrent de rire.
- Bon sang, Orth, vous en faites une de ces têtes! Un minuscule serpent!
- Vous voyez, Sir, dit Alec entre deux éclats de rire, vous aussi êtes plus rapide que
les bestioles.
Je me retournai, entourant mes genoux de mes bras pour plus de sécurité, et
m'assoupis en quelques minutes. C'était ma première nuit paisible depuis
plusieurs semaines. La première nuit durant laquelle je ne devais pas marcher, je
n'étais pas traqué par des assassins, je ne baignais pas dans de l'eau
poisseuse, je n'étais pas menacer par de grosses bêtes féroces... La première
durant laquelle je rêvais. Je dormis près de dix heures. Au matin, le soleil plombait
déjà sur la rivière. Néanmoins, la chaleur suffocante n'avait pas suffit à me
réveiller. J'entendais, parfois, à travers le voile du sommeil, les cris de Lara
qui m'ordonnait de me lever. Je n'y prêtais pas attention et me retournais tout
simplement.
Quelques minutes plus tard, Lara s'approcha de moi, déposa un baiser sur ma joue et
murmura à mon oreille :
- Alors, chéri, tu te réveilles?
Je sursautai de stupeur. Lara éclata de rire en me secouant.
- Les insultes et les hurlements vous coulent sur le dos, Orth. Je devais bien trouver un
moyen de piquer votre attention.
- C'est réussi, fis-je en la chassant d'un coup de coude.
- Vous êtes sacrément bougon quand vous vous levez, vous...
- Chez vous, c'est naturel en tout temps. C'est pour ça que nous nous entendons
si bien, vous et moi.
Lara me fit une grimasse, m'agrippa le bras et me traîna vers Alec, qui rangeait
quelques trucs dans une boîte. J'observai Lara qui semblait se mouvoir beaucoup plus
aisément. Alec lui avait fait une atèle, et l'onguent avait du avoir l'effet
escompté.
Nous nous assîmes aux côtés de l'adolescent, en cercle, et Lara ouvrit son sac à
dos. Elle en retira sa boîte métallique, l'ouvrit et en extirpa le bout de tissu
jauni. Elle nous adressa un sourire.
- Prêts à partir à la chasse au trésor, messieurs?
Alejandro tendit fièrement son bras droit vers le milieu. J'entrepris de relever ma
manche et tendis mon bras gauche en l'appuyant sur celui d'Alec. Les traits se
rejoignirent, les cercles se refermèrent, les flèches se complétèrent. Lara leva
ensuite son bout de tissu et le déposa sur nos mains, de manière à faire coïncider les
écritures. Le teint basané d'Alec, le mien, beaucoup plus pâle, et le papier au
grain jaunâtre contrastaient énormément.
Les trois clés étaient réunies sans doute pour la première fois depuis leur création.
Nous observâmes l'assemblage ainsi formé en maintenant un silence tendu et
admiratif. Après quelques temps de réflexion, je me lançai :
- Je ne sais pas pour vous, mais moi, je n'y comprends rien du tout.
Un bref regard vers Alec, qui observait les écritures d'un air débile, puis vers
Lara, qui se mordait la lèvre inférieure sous l'effort de la concentration, suffit
pour me faire prendre conscience que nous n'étions pas près de trouver la
signification de ce tas de lignes incohérentes.
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