Chapitre 9
Toute la devanture de la demeure, ainsi que les
premières pièces, avaient été dévastées. Le soleil venait de se lever, et un
horrible petit crachin froid tombait sur la campagne anglaise et rendait l'aube
particulièrement grise et triste.
Tristes. Tristes et abattus. Voire désespérés. Voilà ce que ressentaient Indiana Jones
et Alex West. Ainsi que Bryce, en pleurs, et Winston, qui servait des remontants. Tous les
quatre s'étaient retranchés dans un salon, où ils ruminaient des idées noires.
- J'en reviens pas que Lara soit morte, finit par dire Alex.
- Elle n'est peut-être pas morte, fit Indy après un moment. Après tout, on
n'a vu qu'une forme sur un brancard. Il reste un espoir.
- Faible. Très faible.
- Mais on doit s'y raccrocher ! Il le faut, si on veut la motivation nécessaire
pour aller sauver mon père et empêcher la venue du Diable sur Terre.
- Ton père ! La famille Jones ! Y'en a marre ! Ton vieux n'est
pas au courant de toute l'histoire. Il ne risque rien !
Alex avait haussé le ton, et commençait à s'énerver grandement. Le comprenant, et
compatissant, Indy préféra ne pas surenchérir et se tut. Après quelques minutes, quand
il sentit qu'Alex se détendait, il se pencha vers lui.
- Mon père n'est pas dans l'histoire depuis le début, c'est vrai, dit-il
d'une voix calme. Mais il représente une source inépuisable de connaissances
diverses et variées. Lui n'a pas besoin de voler des livres. Il a une culture
réellement impressionnante. Une mine d'informations. Un atout exceptionnel.
- Comment pouvaient-ils savoir qu'il serait là ? s'étonna Alex.
- Justement ! Ils ne le savaient pas ! Ils étaient venus pour Lara, mais, se
rendant compte de la présence de mon père, ils ont modifié leur plan. Henry Jones
était plus utile que Lara Croft, pour plusieurs raisons.
- Plus intelligent, je suppose ?
- Pas seulement ! Mon père est aussi un vieil homme, un archéologue de la vieille
école. Il ne sait pas se battre, c'est un gratte-papier. Entre un vieillard docile
et une jeune femme connue pour sa... détermination, le choix a été facile.
- Alors ils ont tué Lara, devenue inutile, continua Alex.
Indy soupira et attrapa sa tasse. Il but quelques gorgées de tisane chaude, perdu dans
ses pensées.
- Par contre, dit-il, je ne sais pas comment on va les retrouver... J'ai bien peur
qu'il faille attendre un signe d'eux...
- Hors de question d'attendre sans rien faire ! explosa Alex en se levant.
- Tu as une idée ?
- Oui, au moins une !
- Laquelle ?
- Je vais à Sydney. Stevenson Banks va ramasser ses dents sur sa belle moquette.
Une lumière blanche. Aveuglante. Des sons confus. Une sensation de mouvements autour
d'elle. Puis le noir. Plus rien.
Grâce à quelques unes de ses relations, Indiana Jones avait mobilisé une équipe de
travaux publics pour restaurer le manoir Croft à moindres frais. Il avait également
convaincu Alex de ne pas agir impulsivement, et l'aventurier s'était rangé de
mauvaise grâce à son avis.
Cela faisait trois jours que le pire était arrivé. Alex rejoignit Indy, qui regardait
les ouvriers s'activer dans le parc, installant matériel et matériaux.
- Jones, j'en ai marre !
- Je sais, Alex, je sais. Moi aussi, l'inactivité me pèse.
- Alors faisons quelque chose !
- Et quoi ? Aller tuer Banks ne résoudra rien. Il faut continuer notre enquête
comme si de rien n'était.
- Comme si de rien n'était ? Tu te fous de ma gueule ?
Alex attrapa Indiana par le col et le secoua, de plus en plus violemment.
- Lara est morte pour trois pauvres bouquins de merde ! Pour une histoire débile de
vampires et de diables ! hurla-t-il.
Indy posa ses mains sur les poignets de son ami, le forçant à lâcher son col.
- Ton père est immortel, lui ! continua Alex sur le même ton. D'ailleurs, toi
aussi ! Alors qu'est-ce que ça peut vous foutre ? La vie, la mort...
T'en as connu combien des Lara, depuis un demi-siècle ? Une de plus ou une de
moins... Alors que moi, des Lara, j'en ai qu'une ! Une seule Lara
Croft ! Et je l'ai perdu parce que t'es venu foutre ta merde avec ton
histoire de livres volés !
Soudain, Indy envoya son poing dans le visage d'Alex. Le violent coup fit
s'écrouler le jeune aventurier. Un silence pesant s'installa soudain. Indy
avait le poing encore serré et tremblant, et regarda Alex se relever lentement. Une fois
debout de nouveau, il essuya le filet de sang qui coulait de sa lèvre sur son menton. Il
regarda enfin Indy, et lui fit un petit sourire en coin.
- Jones, ça fait longtemps que j'attendais ça...
Et il lui rendit son coup de poing, si précipitamment qu'Indy le reçut de plein
fouet, en plein menton. Il s'écroula à son tour.
- Allez, Junior, ricana Alex. Debout !
Cette fois, la lumière n'était plus blanche. Elle voyait des formes de différentes
couleurs. Les sons se précisaient. Des voix humaines. Des gens qui parlaient. Et qui
bougeaient. Peut-être les formes ? Elle n'en savait rien. Elle ne comprenait
pas. Elle n'arrivait pas à comprendre. Soudain, le noir. Puis plus rien.
La plupart des ouvriers, du moins ceux qui étaient les plus proches, s'arrêtèrent
un moment de travailler pour regarder le spectacle qu'offraient les maîtres des
lieux. Indy et Alex se battaient comme des chiffonniers. Ils roulaient par terre dans la
boue, se relevaient, se frappaient des deux poings. Quand l'un tombait à terre,
l'autre se jetait sur lui, et les roulades reprenaient. Les coups pleuvaient à une
cadence infernale, à tel point que les ouvriers, outre les paris qu'ils se
lançaient sur l'issue du combat, se demandaient comment l'un des deux
n'était pas encore tombé K.O. Petit à petit, les deux belligérants se
fatiguèrent. Les coups devenaient lents. Enfin, lors d'un ultime coup de poing
lancé par Alex, ils s'écroulèrent tous les deux dans la boue, épuisés et en
sang.
- Tu te sens mieux, West ? demanda Indy en soufflant comme un boeuf.
- Non, pas du tout, répondit-il. Ca ne change rien.
Au prix d'efforts surhumains vu son état, Alex se releva et rentra en titubant dans
le manoir. Indy l'imita, encore plus difficilement. Après tout, il était moins fort
que son jeune ami, et les coups qu'ils avaient reçus l'avaient plus secoué
qu'il l'aurait cru. D'ailleurs, il n'atteignit pas le manoir. Il
s'écroula avant, complètement K.O.
Indy reprit ses moyens deux heures plus tard. Il était allongé dans le canapé, un sac
de glace sur le front. Dire qu'il avait reçu une grosse déculottée de la part
d'Alex était un euphémisme. Il tenta de bouger, mais sa migraine le rappela
aussitôt à l'ordre. L'entendant gémir, Winston s'approcha.
- N'essayez pas de trop bouger, professeur Jones, dit le vieux majordome. Vous êtes
encore groggy.
- La vache ! gémit Indy. Il tape fort !
- Je n'ai personnellement jamais voulu le vérifier, monsieur.
- Excellente précaution... Où est-il ?
- Il est parti, monsieur. Il a fait ses bagages rapidement et est parti.
- Où ?
- Je l'ignore. Il est resté muet.
Indy soupira longuement. Comment tout avait pu s'écrouler aussi rapidement ?
Les formes étaient bien des gens qui gravitaient autour d'elle. Elle les voyait
presque distinctement, surtout lorsque l'une de ses personnes se rapprochait
d'elle. Elle pouvait presque distinguer les traits du visage, dans ces cas-là. Elle
voyait même les lèvres bouger, mais sans comprendre les sons qui en sortaient. Tout se
remit à tournoyer devant ses yeux, et elle repartit dans le noir.
Indy prépara lui aussi ses bagages en maugréant. Il portait un pansement sur le front,
seule séquelle de sa " dispute " avec Alex. De toute façon, il
n'y pensait presque plus. L'enquête initiale, sur le vol de livres anciens,
s'était transformée en véritable désastre. Lara était morte, son père avait
été enlevé et Alex était parti Dieu seul sait où, prêt à commettre des erreurs
irrémédiables, poussé par son impulsivité. Bref, tout allait mal.
- Bon, Winston, je vous laisse gérer la demeure et sa reconstruction, prévint Indy au
moment de partir.
- Bien sûr, monsieur. En échange, retrouvez Lara. Elle est vivante.
Indy le regarda. Le vieil homme avait un regard dur et déterminé. Aucune tristesse ne
transparaissait, convaincu qu'il était que sa jeune patronne ne pouvait être morte.
Jones lui sourit.
- Je sais, Winston. Elle est forcément vivante. Et je vous la ramènerais.
- Merci, monsieur.
Prenant une des nombreuses voitures de Lara, Indy partit vers Londres, puis vers Heathrow.
Il rangea le véhicule dans un parking privé et se présenta au terminal
d'embarquement.
- Bonjour, monsieur, dit la jeune hôtesse quand Indy fut face à elle. Vous désirez.
- Un billet, répondit-il en souriant.
- Certes. Quelle destination ?
- Bucarest. En Roumanie.
- Miss Croft ? Lara Croft ?
Cette fois, elle en était sûre. Quelqu'un lui parlait, et elle distinguait
vaguement un visage devant elle. Une femme, certainement. La voix était déformée. Elle
se sentait nauséeuse. Tout se remit à tourner autour d'elle, et le noir commençait
à l'envahir de nouveau, quand elle sentit qu'on la secouait violemment.
- Non, restez avec moi ! Ne vous évanouissez pas ! fit la voix.
Lara lutta contre l'obscurité qui l'envahissait. Elle réussit à rester
consciente, mais au prix d'un violent accès de nausée. Comme dans un rêve, elle se
vit, se sentit vomir du sang. Elle entendit les cris de la personne. Mais elle se sentait
mieux. Sa vision devint plus claire, et elle put enfin distinguer correctement
l'environnement. Elle était dans une chambre d'hôpital. La personne était
bien une femme. Une infirmière. Bientôt rejointe par un infirmier de stature imposante.
Celui-ci vint sur le côté du lit et souleva Lara, pendant que l'infirmière
changeait les draps. Puis il la reposa. Lara, immobile, continua son tour d'horizon.
Elle portait un pantalon de pyjama, mais rien au-dessus, hormis un épais bandage autour
de la poitrine. Elle avait également une perfusion dans le bras et une aide respiratoire
dans le nez.
- Où suis-je ? demanda-t-elle faiblement.
Surprise, l'infirmière se tourna vers elle, puis la gratifia d'un sourire.
- Enfin vous revoilà parmi nous, Miss ! dit-elle.
- Bien aimable à vous, répondit Lara. Où suis-je ?
- Dans une clinique privée. Une des meilleurs de Camberra !
- Camberra ? En Australie ?
- Oui, en effet. Cela fait près de dix jours que vous êtes dans le coma !
- Que s'est-il passé ? Comment suis-je arrivée ?
- Vous avez été victime d'une arme. La balle vous a traversé la poitrine,
perforant votre poumon gauche. Mais je laisse les explications au chirurgien qui
s'est occupée de vous.
- Dites-moi juste quand je pourrais sortir.
L'infirmière, à la porte, s'immobilisa. Elle se retourna vers Lara d'un
air attristé.
- Etes-vous réellement en état d'entendre ce genre de nouvelles ?
demanda-t-elle.
- J'ai connu pas mal de galères dans ma vie, répondit Lara. Allez-y.
- La balle a touché votre moelle épinière. Vous devez rester ici encore quelques mois,
histoire de récupérer des forces et de vous rééduquer. C'est la procédure après
un long coma. Et puis...
L'infirmière sembla hésiter.
- Et ? l'encouragea Lara.
- La moelle épinière est le noyau central de l'organisme. Elle contrôle beaucoup
de choses, et...
- Au faite ! l'interrompit Lara.
- Vous êtes paraplégique. Vous ne re-marcherez plus jamais, Miss Croft.
|