Chapitre 12 : ... et conséquences
- Mister Sheridan prendra une vodka-tonic et moi un
Sauternes frais, je vous prie.
Le serveur disparut sur un hochement de tête. Sheridan haussa un sourcil.
Il commence à se douter de quelque chose, se dit Jane.
- Vodka-tonic ? Ça fait longtemps que je n'aime plus ceci, miss Croft... tu sais
je me demande si tu étais née la dernière fois que j'en ai touché une.
- Moscou, 1996 ? J'étais née, Terry.
Elle vit la stupeur se peindre sur ses traits, sûre de graver à tout jamais cet instant
dans sa mémoire.
- Bien sûr je n'étais pas bien bien grande, mais j'étais née...
Il balaya la salle du regard, semblant chercher quelqu'un. D'arrogant et
assuré, son regard s'était fait soupçonneux.
- Que savez-vous ?
- Tiens, on abandonne les familiarités, maintenant ?
Le garçon apporta leurs boissons. Sheridan et Jane se regardèrent un instant en
silence, puis elle saisit son verre de la main gauche et but une gorgée en prenant soin
de garder sa cible en joue.
- Je sais tout Terry. Que vous avez servi dans les forces spéciales en Irak en 1991,
alors que vous aviez 25 ans à peine. Que vous avez disparu au cours de l'opération
Tempête du Désert. Que vous avez rejoint des troupes mercenaires, que vous vous êtes
grandement enrichi. Je sais que vous êtes recherché par Interpol, le FBI et le MI-6 à
propos de liens que vous auriez entretenu avec la mafia russe et chinoise. Qu'à la
demande du chef d'une triade chinoise, vous vous êtes rendu à Moscou pour
réceptionner un colis d'une haute importance et le convoyer jusqu'à Pékin,
mais que le rendez-vous était un piège. Moscou, « Hôtel des Tsars », 1996.
L'ex-KGB vous a gardé emprisonné, afin de vous conserver comme monnaie
d'échange contre les plans d'un nouveau satellite qui les intéressait
grandement. Mais vous avez réussi à vous échapper en janvier 1997 et vous avez disparu
de la circulation. Et vous avez sans doute un jour ou l'autre croisé le chemin de
Lara...
A son regard, elle sut qu'elle avait tapé juste. Elle sortit la chemise cartonnée
de Winston de son sac et la lui tendit. Sheridan sortit une à une les photocopies
estampillées « MI-6 file A ».
- Je ne pouvais décemment pas vous croire sur parole. Un parfait inconnu débarquant de
nulle part pour m'éclairer sur le sort de Lara... Je sais qu'O'Donnell
est votre patron. Je sais que vous vous faites appeler l'Eclaireur. Je sais que vous
êtes venu à Croft Manor pour récupérer le vase et éliminer les obstacles potentiels,
à savoir...
Elle se tut une seconde pour empêcher sa voix de vaciller.
-...Lara. Mais Lara Croft est morte, vous avez rassuré votre patron quand à son sort
en envoyant un fax, un simple fax qui disait « CD », Croft Dead, je suppose.
Le silence de Sheridan était suffisamment éloquent. Jane ne pouvait se représenter
l'effet que ça faisait, de voir toute sa vie résumée dans un simple dossier, de se
rendre compte que le moindre geste n'avait pu échapper à ses suiveurs.
Sheridan leva les yeux et lui décocha un véritable regard rempli de haine.
- Vous avez prévenu le MI-6 ?
- Je n'ai prévenu personne. Ils vous pistaient depuis un certain temps déjà quand
vous avez fait irruption à Croft Manor.
Je suis la mort. Très bien. C'est rassurant, dans
l'obscurité totale et le vide sidéral qui m'environnent, vraiment le pied. Je
tendis la main vers mon dos.
- Et merde.
J'avais encore oublié. Oublié que je n'avais plus mon sac. Que j'avais
perdu l'amulette. Oublié dans quel pétrin je me trouve. Aucune idée d'où je
suis... Sous le sol africain, oui, plus ou moins près de l'Egypte, mais je ne
suis plus sûre de rien. Je fais ce que j'ai toujours fait quand je suis contrariée.
J'avance... mais là, je vois à peine où je pose les pieds. La Chamane a
disparu, en me laissant sur ma faim. Je suis donc chargée d'une mission : fermer la
Porte du Nord. Je me souviens en avoir entendu parler, dans une autre vie. La Porte du
Nord ou Porte des Enfers, un thème iconographique rare chez les peintres de vases grecs.
Assez rares pour que les quelques vases qui représentent la Porte valent des millions à
l'heure actuelle. Je peux me vanter de posséder l'un d'entre eux.
D'avoir possédé ? Je ne sais plus... Tout en avançant à pas prudents, je
récapitule : Jane est chez moi, sur la piste de la Porte. Lui ai-je vraiment fourni une
piste ? Ai-je vraiment fait un voyage jusqu'au Surrey ? Il faudra que je pense à
remercier cet homme, Koza... si je le revois un jour. Sa tribu ayant été éliminée,
que deviendra-t-il ? Il faudra que je le retrouve. Mais d'abord, trouver Jane...
pour cela, sortir d'ici. Ce qui n'est pas gagné. Dans la pénombre surgit
devant moi une masse énorme, encombre plus sombre que le vide. Le seul bruit est celui de
mes pas. Il s'agit d'une paroi, à l'intérieur de laquelle pénètre le
chemin. Au premier pasque je fais à l'intérieur, je suis éblouie par la lueur de
torches, en contrebas. J'ai pénétré dans une sorte de grotte, et le chemin se
poursuit en marches inégales qui descendent dans le boyau. La lumière étant revenue, je
peux reprendre mon rythme habituel. A petits pas rapides, je dévale l'escalier. Peu
importe ce que je trouverai en contrebas, je suis prête.
Il ferma la chemise cartonnée et la jeta sur la table,
empoigna le verre de vodka dont il vida la moitié d'une gorgée. Il reposa le verre
en le faisant claquer. Son regard était toujours furieux, mais moins assuré. Il balaya
à nouveau la salle du regard.
- Le propre du MI-6 est de passer inaperçu, grogna-t-il. Ca pourrait être ce jeune
couple, là-bas. Ou bien les deux hommes qui discutent juste devant la baie vitrée, à
nos genoux. C'est d'eux que vous tenez tout ça ?
Elle tira la chemise vers elle.
- Peu importe, Terry. J'ai mes sources...
- Elles sont meilleures que les miennes. On m'avait dit que vous ne buviez pas...
Elle prit une nouvelle gorgée de vin.
- Je vous ai dit ce que je sais, c'est à votre tour d'être plus clair. Ma
patience a des limites, et pour l'instant elles se rétrécissent TRES rapidement.
Alors accouchez ! Que savez-vous sur le Dr O'Donnell ?
- Ce que je vous en ai dit : O'Donnell est un ex-psychiatre traitant de la
thanatophobie.
- Mais encore ? Que savez-vous de l'Ordre ?
Il pâlit.
- Qui vous en a parlé ?
- C'est moi qui pose les questions, Terry.
Elle avait fait cette remarque d'une voix douce. Pour peu, il en aurait oublié
qu'elle braquait à l'instant un pistolet vers lui.
- Levez-vous, Chemiski, je vais vous présenter.
Le professeur Chemiski faisait pâle figure, tremblant, affalé sur le sofa, la
respiration haletante, il s'attendait à voir sa mort venir. Il eut quelque mal à
obéir à l'ordre de l'Excellence, mais obtempéra tant bien que mal.
- Je vous présente David et Goliath.
Debout sur les pointes de pieds, Chemiski n'arrivait pas à la poitrine des Gardes.
Il leva les yeux. Les Gardes était absolument identiques, des vrais jumeaux. Ou des
clones. Impressionnant de taille et de carrure. Des armoires à glace.
- Ils sont muets. Leurs parents les ont abandonné à la naissance, ils ont vécu
d'orphelinat en centre d'éducation, jusqu'à ce que l'Ordre les
recrute. Ils me sont très précieux.
L'Excellence ne mentionna pas le troisième frère, celui qui avait disparu au cours
d'une opération sans importance dans le Surrey, Angleterre. Cette demi-défaite lui
laissait un souvenir cuisant. Il se vengerait. Il se tourna vers Chemisky.
- Je vous écoute.
Chemiski rajusta ses lunettes, remit sa chemise dans son pantalon, réajusta un bouton, se
donnant le temps de réfléchir à ce dont le Maître voulait parler. Il croisa les yeux
sombres. La Crimée.
- Euh... eh bien, ce en quoi mon collègue français se trompe... il pense que le
site a été abandonné il y a longtemps, qu'il n'a jamais fait l'objet de
construction quelconque suite à l'Antiquité. Or les textes de Odus nous le
confirment : le monument était toujours en place et utilisé au Moyen-Age. Je pense
donc...
L'Excellence se rapprocha d'un pas. Chemiski n'avait plus d'autre
choix, il lui fallait le regarder dans les yeux. Il plongea donc dans l'abîme de
folie, et, comme hypnotisé, continua d'un ton monocorde.
-...je pense que notre Ordre devrait chercher en priorité un monument, une chapelle
voire une église, qui aurait été bâtie au Haut Moyen-Age et abandonnée depuis. Il
serait possible de localiser ceci en hélicoptère, je pense que ceci devrait faciliter
les recherches...
L'Excellence se tourna vers le feu. Il plissa les yeux, puis se tourna vers Chemiski,
une expression impénétrable sur le visage. Puis, chose incroyable, ses yeux se
plissèrent et les commissures de ses lèvres remontèrent. Chemiski mit quelques secondes
avant de comprendre que le Maître souriait.
- Chemiski, je viens d'apprendre ce soir que j'ai été délaissé par un de mes
membres les plus fidèles. Il a trahi l'Ordre. Je vous propose de le remplacer et
d'officier à mes côtés.
- O'Donnell est plus qu'un médecin. Il y a plusieurs années, il a donné de
nombreuses conférences sur le thème de la mort, de la résurrection et des mythes qui y
sont liés. Il a circulé dans plusieurs universités et dans des nombreux
établissements, militant pour une organisation assez ancienne appelée l'Ordre.
Celle-ci avait pour but d'analyser et de décrypter les mythes liés à la mort. Ses
capacités d'orateur et la qualité de ses travaux ont convaincu de nombreux
scientifiques, qui ont suivi la mouvance...
- Je me souviens avoir entendu mon père en parler. Ca a dégénéré, non ?
Il acquiesça.
- Au départ, la réputation de l'Ordre était excellente : axe de recherches
nouveau, équipes internationales, résultats probants. On a entendu parler de l'un
de leurs expériences : des souris mortes et congelées seraient revenues à la vie après
24 heures de congélation. Ca a déchaîné les médias, à l'époque. Puis un
incident, le suicide du vice-directeur a tout remis en question : du jour au lendemain, de
nombreux membres de l'Ordre ont jeté l'éponge.
- Parlez-moi de cette équipe qui a disparu en Chine.
- Ca s'est passé en 1997, alors que j'étais là-bas. Une mission de
l'Ordre avait été envoyée dans le but de découvrir un monument ancien qui selon
certains textes était lié de très près à un rituel mortel. L'entièreté de
l'équipe a disparu, excepté O'Donnel, qui dirigeait personnellement la
mission. On n'a jamais su ce qui leur était réellement arrivé.
- Revenons au suicide du vice-directeur.
- Là encore, c'est le noir complet, personne ne sait rien. Il n'était pas
marié, pas d'enfant, un mystère quasi-complet. Toujours est-il que des rumeurs se
sont mises à circuler sur le compte de O'Donnell, trop mystique au goût de certains
membres. Les mêmes rumeurs ont circulé au sein d'actes commis lors des réunions de
l'Ordre. Des membres en sont partis et ont été retrouvés morts. On n'a jamais
rien pu prouver, et comme il s'agissait d'universitaires renommés, Interpol a
fait profil bas. Peu à peu les activités de l'Ordre se sont restreintes.
Aujourd'hui on n'en entend plus du tout parler.
- Alors comment savez-vous qu'ils continuent à agir ?
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