Chapitre 1
Depuis trois jours, il pleuvait sans
discontinuer sur Londres, hormis de brèves accalmies. Habitués à ce climat,
les anglais n'étaient jamais affectés moralement par la météo. C'était même
souvent l'inverse, la pluie ayant tendance à libérer leur bonne humeur.
Mais ce n'était pas le cas de Lara Croft. Protégée sous un immense
parapluie, elle regardait, debout à côté de sa voiture, un homme, courant
sous la pluie pour ranger du matériel dans la cour de son centre pour
enfants défavorisés. L'éducateur. Un homme formidable, qui se donnait à
fond
dans sa nouvelle vie. Surtout parce qu'il n'avait aucun souvenir de
l'ancienne. Cet homme, Lara l'aimait. Encore aujourd'hui. Toujours. Bien que
ce ne soit plus réciproque. Car Alex West n'avait aucune idée de qui elle
était. Et ça la déchirait. Six mois auparavant, lorsque Indy l'avait amenée
ici pour lui montrer qu'Alex était vivant, elle avait presque sauté de joie.
Maintenant, le voir la torturait plus que de raison. Mais c'était de la
torture volontaire, car elle continuait à venir à intervalles réguliers.
Sans lui parler. De loin. Juste pour le voir. Chaque fois, elle restait
debout près d'une heure, à le regarder évoluer. Chaque fois, elle avait le
secret espoir de le voir se tourner vers elle, de voir son visage
s'illuminer et de lui foncer dessus. Chaque fois, elle voulait qu'il la
prenne dans ses bras en lui disant quelques idioties. Et chaque fois, elle
repartait déçue, en se promettant de ne plus revenir. Mais elle revenait,
toujours.
Elle rentra à l'abri dans sa Jaguar et mit le contact. Soudain, la portière
côté passager s'ouvrit. Lara dégaina son arme, avant de la lâcher
précipitamment par terre et de la cacher d'un coup de talon sous son siège.
Alex s'installa à côté d'elle et referma.
- Miss Croft, c'est ça ? demanda-t-il.
- Euh... Oui, bafouilla-t-elle, abasourdie.
- Puis-je vous offrir un thé ? Si vous avez le temps, bien entendu.
Après un bref silence, la jeune femme se remit de sa surprise.
- Pourquoi donc ? demanda-t-elle avec suspicion.
- Et bien, d'abord pour me faire plaisir, ensuite pour discuter.
Lara le regarda. Six mois qu'elle ne l'avait pas vu de près, et elle le
trouva incroyablement beau. Son visage buriné par son ancienne vie était
adouci par la joie procurée par sa nouvelle. Sans sourire, toujours
circonspecte, elle accepta sa proposition et démarra.
Ils entrèrent dans un pub non loin de là, Alex céda galamment le pas à la
jeune femme. Ils s'installèrent à une table et commandèrent leurs thés.
- Je suis ravi que vous ayez accepté, miss Croft, commença Alex.
- Lara.
- Merci. Vous pouvez m'appeler Alex.
- Je sais.
- Pardon ?
- Alors, de quoi vouliez-vous me parler ? fit-elle pour changer de sujet.
- Et bien, de vous, principalement.
- De moi ?
- Oui. De votre étonnant comportement. Des dons généreux que vous faites en
mon nom pour une association de recherche sur l'étude des pathos
post-traumatiques. Des visites régulières au centre, comme aujourd'hui.
- On dirait que vous avez mené une enquête...
- Pratiquement, oui. Et ces éléments, combinés à d'autres, m'ont amené à une
conclusion.
- Qui est ?
- Que nous sommes mariés. Ou plutôt, que vous étiez mariée à l'homme que
j'étais avant.
L'intensité et la fixité du regard que lui jeta alors la jeune femme lui
firent plonger le nez dans sa tasse, attendant une réaction violente à sa
conclusion. Mais Lara resta immobile et silencieuse.
- Nous n'étions pas mariés, finit-elle par dire. Vous ne vous souvenez plus
de rien ?
- Non, rien du tout. Les médecins disent que ça prouve que c'est définitif.
Dans les cas d'amnésies réversibles, la victime est sujette à des flashs
répétés de son ancienne vie. Ce n'est pas mon cas.
Lara soupira, afin de refouler les larmes qui lui montaient aux yeux.
- Mais ils disent aussi qu'un choc violent en rapport à mon ancienne vie
pourrait déclencher une vague de souvenirs.
Il parlait avec une touche de mélancolie dans la voix, comme s'il regrettait
cette ancienne vie qu'il ne connaissait pourtant pas. Regardant autour pour
vérifier qu'on ne la voyait pas, Lara fit lentement descendre la fermeture
éclair de sa combinaison, dévoilant lentement un décolleté de plus en plus
plongeant.
- J'ai une idée de choc qui pourrait ramener l'ancien Alex West, dit-elle
pour attirer son attention.
Il se tourna vers elle, la regarda dans les yeux, avant de plonger sur ses
seins dénudés. Il s'en détourna vivement, rouge comme une pivoine.
- Qu'est-ce qu'il vous prend ? demanda-t-il en toussant de gêne.
- Rien, pardon.
Lara remonta la fermeture : elle se sentait parfaitement ridicule.
- Ecoutez, je dois y aller, dit-elle en se levant précipitamment.
Toujours embarrassé, Alex ne la retint pas. Elle en fut quelque peu déçue,
mais cette réaction termina de la convaincre.
- Je vous embêterais plus, West, dit-elle. J'ai compris que je me
raccrochais à des chimères.
Alex soupira en hochant la tête.
- Je crois bien, hélas. Je suis désolé de ne plus être celui que vous...
connaissiez.
- Vous n'y êtes pour rien. Bonne continuation, et merci pour le thé.
Sans se retourner, elle sortit du pub et fonça jusqu'à sa voiture en
pleurant.
***
- Me voler, moi ! Vous êtes aussi fou que téméraire, docteur Jones !
Indy sourit, ce qui lui valut aussitôt un nouveau coup de poing au visage.
- Je tiens cet objet de mon grand-père, docteur Jones ! Il a une valeur
sentimentale ! Vous n'auriez pas dû...
- Sa place est dans un musée, et j'en ai marre de courir après !
Il reçut un nouveau coup qui le laissa chancelant entre les mains des deux
gorilles qui le maintenaient. L'homme en face de lui portait un costume sous
un grand manteau, ainsi qu'un chapeau Panama. Ils se trouvaient au Pérou,
dans les Andes, au-dessus d'un ravin impressionnant, et sous une pluie
battante. Bien entendu, la nuit tombait. Une ambiance idéale, pensa Indy. Il
tenta de se dégager, mais les gorilles tenaient bon. L'homme au Panama
sourit en regardant l'objet doré.
- La croix de Coronado... souffla-t-il. Quelle beauté... Tellement chargée
d'histoire...
- Ben voyons, ironisa Indy. Vous ne voyez que la somme que vous pourriez en
tirer. Comme votre père. Ça doit être de famille...
Il reçut un nouveau coup de poing.
- Peu m'importe ce que vous pensez, docteur Jones. La croix est à moi, et
vous, vous allez mourir.
- Si vous saviez le nombre de fois où j'ai entendu ça !
Soudain, Indy fit un mouvement violent pour s'échapper. Mais au lieu de le
faire vers la forêt, comme n'importe qui en ces circonstances, il se jeta
vers le précipice, entraînant avec lui les deux gorilles. Ils le lâchèrent,
ne pensant qu'à sauver leur vie, en vain. Pris au dépourvu, ils disparurent
en hurlant dans les profondeurs sombres du ravin. Pendant ce temps, Indy
avait dégainé son fouet et donné un violent coup pour tenter de se rattraper
également. La fine lanière s'enroula autour de la cheville de l'homme de
Panama, qui fut ainsi entraîné par le poids d'Indy. En quelques dixièmes de
secondes, l'homme se retrouva suspendu d'une main à une liane. Il devait
lutter pour tenir, car en plus de son propre poids, il soutenait
involontairement Indy, accroché à lui par son fouet.
- Lâchez-moi, Jones ! hurla l'homme au Panama. On va mourir tous les deux !
- Laissez tomber la croix et je me débrouille sans vous ! répondit Indy.
- Jamais !
- Vous ne tiendrez pas longtemps à une main !
- Cette croix m'appartient !
- Non, sa place est dans un musée !
Ils glissèrent soudain d'un bon mètre : l'homme commençait à lâcher prise.
- Dépêchez-vous...
- Très bien, Jones, très bien !
A contre-coeur, il laissa tomber la croix. Sa main droite tenant le fouet,
Indy la réceptionna avec la gauche, puis la glissa dans son blouson de cuir.
Il s'agrippa ensuite à la paroi, dénoua son fouet et entreprit de remonter.
Il doubla l'homme au Panama qui, bien que soulagé du poids d'un autre, n'en
était pas moins en grande difficulté. Indy s'activa et une fois en haut,
s'allongea par terre, dans la boue, pour tendre les bras.
- Attrapez ! cria-t-il.
L'homme ne se fit pas prier. Indy tenta de le hisser à la force des bras.
Soudain, l'homme fit contre-poids, attirant Indy à lui. Celui-ci s'accrocha
à une liane grâce à ses réflexes, et ils se retrouvèrent de nouveau contre
la paroi, en situation précaire.
- Bravo, très intelligent... ironisa Indy en tentant de remonter une nouvelle
fois.
- Je veux cette croix, Jones ! Je la veux !!!
Il lâcha soudain prise et s'enfonça en hurlant dans les ténèbres. Indy
escalada la liane et revint sur le sol boueux, où il s'écroula, épuisé et à
bout de souffle. Il se releva après un long moment en gémissant et ramassa
son Stetson.
- J'en ai marre de cette croix ! souffla-t-il en montant dans la jeep non
loin de là. J'en ai vraiment marre !
***
L'écran digital haute définition afficha « Indiana Jones ». Sans hésiter,
Lara décrocha.
- Croft, fit-elle par réflexe.
- C'est Indy, tu vas bien ?
- Impec' et toi ?
- Au mieux de ma forme... Tu es où ?
- Dans la rue, je fais les boutiques, et je profite de la moindre accalmie
pour sortir.
- Il pleut aussi chez vous ?
- Oui, un temps de cochon. Mois de Juillet pourri.
- Bon, ça te dirait de déprimer sur le temps ensemble ?
- Pourquoi ? demanda-t-elle, folle d'espoir.
- J'arrive demain matin à Londres. J'ai besoin de vacances, et un manoir
anglais en pleine cambrousse me semblait tout indiqué.
- Génial, Indy ! Je demanderais à Winston de te préparer une chambre ! Je
suis super contente !
- Tant mieux. A demain, alors ?
- Oh oui ! Je viendrais te chercher à Heathrow. Bisous !
Elle raccrocha et rangea son portable. En se retournant, elle se retrouva
soudain nez à nez avec un homme en train de courir dans sa direction. Tous
les deux surpris, ils n'eurent pas le temps de réagir : l'homme percuta Lara
en pleine course, la plaquant littéralement au sol. Le souffle coupé, la
jeune femme le vit se relever et reprendre sa course effrénée. Deux hommes
galants l'aidèrent à se relever. Elle les remercia, puis pesta contre la
brute qui avait déjà disparu. Elle retourna à sa Jaguar et démarra en
trombe.
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