Chapitre 4
Edgar Jacobi, le conservateur adjoint du
British Museum, était un vieil homme voûté et ridé, d'une pâleur
inquiétante. Il avait passé la majeure partie de sa vie dans le musée de
Londres, dont il connaissait par coeur les moindres recoins, sans jamais se
lasser. Il était pourtant d'une humeur sombre lorsque Indy et Lara entrèrent
dans son bureau. Le vieillard réajusta ses lunettes et son visage s'éclaira
enfin.
- Docteur Jones ! s'écria-t-il. Quel grand honneur !
Il se leva et contourna le bureau pour serrer vigoureusement la main d'Indy.
- Tout l'honneur est pour moi, docteur Jacobi. Je vous présente une amie
chère, lady Lara Croft.
- Lady Croft, oui, bien sûr ! La réputation que l'on fait à propos de votre
beauté est loin d'être exagérée, milady.
- Vous me flattez, docteur, répondit Lara en souriant.
Jacobi fit une petite révérence de la tête et retourna à son bureau. Il
reprit un air grave.
- Vous êtes venus pour Robson ?
- Oui, répondit Indy en offrant une chaise à Lara puis en s'asseyant à son
tour.
- Tué en plein jour... Si c'est pas malheureux ! Vous faites une enquête
parallèle à celle du Yard ?
- Pas vraiment. On cherche surtout le mobile. Savoir ce qu'on lui a volé.
Pour cela, nous aurions aimé consulter ses archives, fouiller son bureau,
etc...
- Je vois. Et pourquoi ne me le demandez-vous pas directement, pour gagner
du temps ?
Indy en resta coi l'espace d'un instant, tandis que Lara ricana
discrètement, un sourire aux lèvres.
- Euh, oui, en effet, fit Indy.
- Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer, pas vrai, docteur
Jones ? Vous êtes bien comme votre père. D'ailleurs, que devient Henry ?
- Il est mort.
- Vous m'en voyez désolé. Mes sincères condoléances.
- Merci. Donc, vous savez ce qu'on a volé à Robson ?
Jacobi fit un grand sourire édenté et ouvrit un dossier, duquel il sortit
une grande photo sur papier glacé, puis la tendit à Lara, par pure
galanterie. La jeune femme regarda le cliché, puis le montra en silence à
Indy.
- Une tête de flèche ? s'étonna-t-il.
- Ce n'est pas à l'échelle. Il s'agit en fait d'une pointe de lance.
- Dites-nous en plus.
- Europe du Nord. Scandinavie. Quelques siècles avant Jésus Christ.
- Rare ?
- Pas du tout. Tous les pays visités à l'époque par les vikings en
possèdent. Ca ne vaut pas plus de cent dollars.
- Le désespoir peut conduire à tuer, pour cent dollars, intervint Lara.
- Certes, mais c'est une valeur d'étalonnage. C'est en réalité invendable,
hormis à des collectionneurs.
- Vous en avez une autre ? reprit Indy.
- Non. C'était le seul exemplaire que le musée possédait.
- Pourquoi Robson l'emportait-il ?
- Pour la faire dater au carbone quatorze.
- Et il transportait un tel objet dans une mallette, en pleine rue ?
- Ca vaut cent dollars, docteur Jones...
Indy ne répliqua pas. Silencieux, il affichait clairement sa déception. Puis
il leva la photo pour bien la montrer.
- Je peux ?
- Bien entendu, répondit Jacobi. Si jamais vous trouvez pourquoi on vole un
objet aussi banal, faites-le moi savoir !
- Je n'y manquerais pas.
Indy se leva et salua le conservateur, aussitôt imité par Lara. Jacobi fit
de même, en gémissant.
- Ce temps... grimaça-t-il. Pas bon pour les articulations. Je me souviens pas
d'un mois de Juillet aussi mauvais depuis bien longtemps.
Indy et Lara acquiescèrent puis sortirent du bureau. Indy marchait
rapidement, perdu dans ses pensées. La jeune femme le rattrapa d'un pas
leste et se coula sous son bras.
- Fais pas cette tête, Indy ! fit-elle joyeusement. Toutes les affaires
policières ne conduisent pas forcément à la fin du monde !
Il la regarda sans comprendre, puis finit par sourire.
- Tu as raison, je m'emballe un peu vite. Oublions ça ! Si nous sortions, ce
soir ?
- C'est déjà prévu.
- Soirée mondaine chiante à mourir ?
- Presque... fit-elle avec un sourire mutin.
***
- Et tu viens souvent ? hurla Indy pour se
faire entendre malgré les 60.000 spectateurs qui hurlaient dans le stade de
Highbury.
- Non, répondit Lara sur le même ton. Mais j'aime bien venir de temps en
temps pour me détendre.
Elle poussa un cri, imitant en cela tous les autres, comme l'un des joueurs
venait de marquer un but. Indy suivit le mouvement et se leva pour
applaudir.
- J'avoue que je suis étonné, fit-il, une fois l'ambiance un peu retombée.
- Il ne faut pas ! Toutes les aristo' dans mon genre ne passent pas leur vie
au cricket ou au polo !
- Certes, mais...
Il n'eut pas le temps de finir : Lara venait de nouveau de bondir de son
siège pour hurler. Il attendit patiemment qu'elle se rassoit.
- Et encore, reprit-elle une fois assise, il pleut des cordes, les actions
sont moins jolies et c'est moins agréable à regarder.
Indy acquiesça d'un hochement de tête. Soudain, la lumière disparut, et le
stade plongea dans le noir. Le public se mit alors à huer et à siffler les
organisateurs, dans un esprit somme toute bon enfant. Indy fut un peu
surpris qu'une telle foule ne cède pas à la panique. Il entendit l'arbitre
siffler la fin du match, la lumière ne semblant pas revenir.
- Etonnant, fit-il. Ca arrive souvent ? On dirait que le public est habitué.
Lara ?
Il tourna la tête pour constater que sa jeune amie n'était plus à ses côtés.
- Lara ? appela-t-il, plus fort.
- Trois rangées plus bas ! l'entendit-il crier.
Presque à tâtons, il la rejoignit. Elle était, comme d'autres, penchée
au-dessus d'un homme allongé par terre. Un autre homme lui faisait un
massage cardiaque tandis que Lara lui faisait du bouche-à-bouche. L'équipe
médicale du stade arriva alors, avec du matériel adapté. Ils tentèrent de le
ranimer, en vain : le vieil homme était mort. Lara rejoignit son ami, un peu
attristée.
- Bon, on peut rentrer, fit-elle.
Ils suivirent la foule qui quittait calmement le stade. Une fois dehors, ils
constatèrent que tout le quartier était plongé dans le noir. Des dizaines,
voire des centaines de klaxons retentissaient, à côté d'eux comme au loin.
Les policiers chargés d'organiser la sortie du stade procédaient avec calme,
tout en répondant aux questions du public. En passant devant l'un d'eux,
Lara lui posa la question que tout le monde devait poser.
- Un black-out total, répondit le policier. Tout Londres est dans le noir.
Evacuez, s'il vous plait.
Ils ne se firent pas prier et rejoignirent la Jaguar. Lara prit le volant et
commença à manoeuvrer pour sortir de Londres malgré les embouteillages
colossaux qui engorgeaient la capitale. L'obscurité totale, la panique de
beaucoup de gens et la pluie torrentielle rendaient l'opération délicate,
mais la jeune femme était habile au volant. Indy prit son téléphone. Il
appuya sur quelques touches avant de se tourner vers Lara.
- Tu peux me passer ton portable ?
Lara le sortit de sa poche et le lança à Indy, d'un petit mouvement de
poignet.
- Il est éteint, remarqua-t-il.
- Rallume-le. Mon code est le...
- Inutile, il est cassé, l'interrompit-il.
- Quoi, cassé ? Qu'est-ce que tu as fait ?
- Moi, rien. Mon téléphone est dans le même état.
- Tu portes la poisse ?
- Très drôle, Lara. Il se passe des trucs louches, en tout cas...
- Quoi ? Dis, tu rigoles, là ? En quoi un problème de centrale électrique
peut être lié à un opérateur téléphonique ?
- Je ne sais pas. Mais avoue que c'est une drôle de coïncidence !
- Oui, mais c'en est une, de coïncidence !
- Peut-être. (Il marqua une pause) peut-être...
Lara finit par se sortir des embouteillages et put accélérer - modérément,
vues les conditions climatique - jusqu'au manoir. Qui était entièrement
éteint.
- Tu dépends du même réseau électrique ? demanda Indy, avec une pointe
d'ironie.
- Faut croire... Winston ?
- Lara ? fit le majordome, sorti de nulle part.
- Euh... Ca va ?
- Bien, miss, et vous ?
- Bien. Pas de souci à cause du black-out.
- Si. Bryce a eu du mal à trouver les toilettes...
- Ok, je ne veux pas savoir le reste. Il y a un petit quelque chose à manger
?
- A la cuisine, et à la lumière des bougies.
- Ca te dit ? fit Lara en se tournant vers Indy.
- Volontiers. Ce temps, ça creuse !
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