Chapitre 15
Sans attendre de réponse, Indy entra dans
la chambre et posa le plateau sur une table. Il attrapa une pomme énorme et
alla se jeter sur le lit, là où se trouvait... l'autre Jones. Lara s'approcha
de lui et le frappa sur le front, avec la paume de la main.
- Ça t'arrive souvent ? demanda Indy en se frottant.
- Seulement en Asgard... murmura-t-elle, à peine audible.
- T'as l'air un peu perdu... Ça va ?
- Non... Je veux dire, oui, ça va. C'est juste... étrange.
- Je te l'accorde. Nous sommes dans un royaume qui n'existe pas,
scientifiquement parlant. Et pourtant les pommes sont bonnes !
Il croqua dans le fruit, à pleines dents.
- Suggestion mentale, je suppose, fit-il en regardant la pomme.
- Tu es vraiment toi ? demanda soudain Lara.
- Hein ?
- Indiana Jones ?
- Euh... Oui ?
Lara haussa les épaules et était prête à oublier son délire lorsqu'on frappa
de nouveau à la porte de la chambre. Elle eut aussitôt un petit sourire
narquois.
- Tu ne vas pas ouvrir ? s'étonna Indy, comme son amie ne bougeait pas.
- Vas-y. Je me doute que c'est le troisième Indiana Jones... Vu que le premier
est parti lorsque le deuxième, c'est-à-dire toi, est arrivé, je me doute que
tu vas t'envoler quand j'ouvrirais la porte. Alors je suggère que tu
l'ouvres toi-même, juste pour voir ce que ça donne.
- Lara, tu as besoin de repos, je pense.
- T'inquiète, je parie mon manoir que je suis en fait dedans, en train de
dormir, et que Winston va venir me réveiller.
Dubitatif, Indy se leva et alla ouvrir la porte. Lara le suivit du regard,
appréhendant la situation suivante. Mais ce fut une femme qui entra dans la
chambre. Et Lara eut aussitôt un réflexe de rejet, motivé par une énorme
bouffée de jalousie qui empourpra ses joues. La femme qui venait d'entrer
était la plus belle que Lara ait jamais vu. D'environ vingt-cinq ans, guère
plus, elle avait des traits extrêmement fins entourant un regard à la fois
doux et profond, d'un bleu troublant. Elle était grande, bien plus que Lara,
parfaitement proportionnée, des formes féminines équilibrées et pas un seul
gramme de trop dans l'ensemble. Ses cheveux étaient blonds, réellement
blonds. Pas d'un jaune pisseux ou inégal tel que Lara en voyait sur la tête
des bourgeoises anglaises. Mais d'un blond éclatant, naturel, se diffusant
grâce à une chevelure tombant harmonieusement en cascade sur ses épaules
dénudées. Lara cacha sa réaction instinctive, se contentant de marmonner
discrètement son complexe face à une telle beauté. Et qui plus est, elle
n'était pas la seule à être admirative : Indy était totalement subjugué. Il
avait pris délicatement la main de la femme et la baisa cérémonieusement.
- Miss, je suis le docteur Jones, fit-il d'une voix mièvre. Indiana Jones.
- Frigge, répondit la femme, offrant de surcroît un sourire éclatant de
blancheur.
- Ce nom est un pur ravissement, et il est tellement bien porté. Il restera
gravé dans mon coeur à jamais, ainsi que votre image.
Lara s'approcha, malgré la répulsion que lui inspirait la jeune blonde.
- Vous êtes la vierge qui a permit à Lorsenn d'entrer en Asgard ?
demanda-t-elle.
Frigge regarda Lara. Daigna poser ses yeux bleus sur elle, pour être exact,
tant elle exprimait un mépris intégral pour la jeune femme brune. Elle ne
répondit même pas, se contentant de revenir à Indy. Celui-ci eut une sorte
de gémissement de plaisir.
- Cette femme est d'une indélicatesse ! dit-il à Frigge. Je m'excuse pour
elle, tendre amie. Elle n'est qu'une femme humaine.
- Eh, Jones ! s'exclama Lara, choquée. Tu vas lui faire le plan total, là ?
Indy ne répondait même plus, subjugué par la jeune femme blonde. De nouveau,
on frappa à la porte. Lara alla ouvrir, de plus en plus agacée, pour se
trouver nez à nez avec Kurtis Trent.
- Tiens, le tueur de White Chapel ! grinça-t-elle.
Sans un mot, Trent l'écarta sans ménagement de son chemin et rejoignit
aussitôt Indy dans l'admiration de la jeune blonde.
- C'est ça, un joli cul et j'existe plus ! s'exclama Lara.
Mais elle se sentait mal à l'aise devant le comportement des deux hommes,
surtout à cause de la présence de cette femme silencieuse.
- Étonnant, n'est-ce pas ? fit une voix derrière elle.
Elle se retourna vers la porte et se retrouva face à Lorsenn, qui la
dominait de toute sa hauteur. Il donnait l'impression de devoir se baisser
pour entrer dans la chambre, et peut-être était-ce pour cela qu'il restait
dans le couloir. De sa position, Lara ré-estima sa taille à deux mètres
vingt. Et deux cents kilos, car Lorsenn était en plus extrêmement musclé.
- Qui est-elle ? demanda Lara. Mon ami n'est pas dans son état normal. Et je
suppose que Trent non plus.
- Accepteriez-vous une petite promenade en ma compagnie, Lara ? Nous
pourrions discuter. De choses et d'autres.
Il tendit son bras. Son sourire avenant encouragea Lara, qui accepta. Elle
referma la chambre derrière elle et le couple s'engagea tranquillement dans
le couloir.
- Qui est-elle, alors ? insista Lara.
- Freyja. La Déesse de la beauté. Elle s'amuse avec vos amis.
- Super... Elle les a ensorcelés ?
- En quelque sorte. Bien qu'objectivement, elle n'est pas besoin de
subterfuges pour que la plupart des hommes la trouve désirable.
- Certes, convint Lara avec une pointe de jalousie. C'est le deuxième Dieu
que je rencontre aujourd'hui.
- Le deuxième ?
- Je connais votre petit secret, Lorsenn.
- Quel petit secret ?
- Vous êtes Loki.
Lorsenn eut un petit rire amusé.
- Loki est en effet un des noms sous lequel on me connaît.
- Le Dieu du mal, donc.
- Pas du tout. Vous me décevez légèrement, Lara. Je pensais vos
connaissances plus étendues que cela, sur le sujet.
- Si vous n'êtes pas le Dieu du mal, Lorsenn, qui êtes-vous ?
- Officiellement, le Dieu du chaos et du feu.
- Vous pinaillez, Lorsenn. Ce n'est guère plus réjouissant.
Ils arrivèrent devant une porte à double battant que Lorsenn ouvrit sans le
moindre effort. Ils entrèrent alors dans un somptueux jardin, coloré et
enchanteur. Une représentation fidèle du paradis pour la plupart des
humains. Lara fut émue aux larmes devant tant de beauté.
- Content que cela vous plaise, fit Lorsenn qui avait observé la réaction de
la jeune femme.
- Je suppose qu'il y a beaucoup de manipulations cérébrales ? Je vois ce que
j'ai envie de voir, non ?
- Ne soyez pas aussi matérielle, Lara. Profitez simplement de l'endroit.
Tenez, retirez vos chaussures.
Elle s'exécuta, prenant appui sur le bras de Lorsenn. Elle en fut troublée :
jamais elle n'avait touché un biceps d'une telle puissance. Ils continuèrent
alors à marcher. Lara était maintenant pieds nus, et la mousse fraîche et
délicate ainsi que l'herbe parfaite la firent soupirer d'aise.
- Lara, reprit Lorsenn, vous faites une erreur que beaucoup d'êtres humains
font : vous essayez de comprendre les Dieux.
- Et alors ? Ils sont incompréhensibles ?
- Ce n'est pas cela, non... Simplement les mortels n'ont pas les capacités
intellectuelles pour le faire.
- D'accord, admettons. Mais vous avez quand même crée Fenryr...
- Oui, en effet, et alors ?
- C'est tout de même un acte malveillant, non ?
- Vous voyez ? Vous continuez à appliquer votre logique de mortelle. Lara,
les Dieux ne raisonnent pas en terme de Bien ou de Mal. Ce sont des notions
humaines.
- Mais ce sont des notions que nous sommes néanmoins capables d'appréhender,
mon Frère, fit soudain une voix derrière eux.
Lara et Lorsenn se retournèrent alors. La jeune femme se trouva devant un
nouveau Dieu qui ressemblait énormément à Loki. Mais en mieux : plus grand,
plus beau, plus puissant. Elle était assaillie par l'aura de volonté et de
force que dégageait le Dieu, qu'elle se souvenait avoir déjà vu deux ans
auparavant, au fin fond d'un temple, dans le sud de l'Egypte.
- Thor, mon Frère, fit Lorsenn en s'inclinant légèrement.
- Ainsi tu as réussi à revenir parmi nous, mon Frère. Rompant ainsi l'exil
que t'avait imposé mon Père.
- Odin écoutera ma plaidoirie, mon Frère.
- Je ne serais pas aussi confiant à ta place, mon Frère.
- Tu n'es pas à ma place, mon Frère.
Les deux Dieux se toisèrent un moment en silence. Puis Thor posa son regard
sur Lara, avant de revenir sur Lorsenn.
- Amener des humains en Asgard ne va pas aider à plaider ta cause, mon
Frère, reprit Thor.
- Bien au contraire, mon Frère. Les humains sont directement concernés et
avec leur aide, je vais pouvoir faire acte de contrition auprès d'Odin.
- Acte de contrition ? Quelle est cette nouvelle fourberie ?
- Il n'y a aucune fourberie de ma part, mon Frère. Midgard est au bord du
chaos, et mon aide désintéressée montrera à Odin que je mérite de rester en
Asgard.
- Au bord du chaos ? Fimbulveir ? C'est ridicule, mon Frère. Odin l'aurait
su bien avant toi !
- Mon Frère, je crains que tu ne regardes pas au bon endroit...
Thor fronça les sourcils, en silence.
- Cette ignominie qui te sert de fils ? fit-il, presque étonné.
- Oui, mon Frère. Fenryr va bientôt faire céder la Corde. Midgard en ressent
déjà les effets.
- Ragnarök entraînerait une guerre sans merci, aussi bien en Midgard qu'en
Asgard.
- Oui, mon Frère. Et comme il s'agit de mon fils, j'aimerais prouver à Odin
que je suis capable d'aider les humains à refaire la Corde. De sauver les
deux mondes.
- Tes paroles me troublent, mon Frère, fit Thor après un silence.
- Parce qu'elles disent la vérité, mon Frère.
- Très bien. Allons voir Odin et attendons sa décision.
Lorsenn rejoignit Thor et ils commencèrent à s'éloigner. Lara, jusque-là
subjuguée par les Dieux, se reprit soudain.
- Euh, s'il vous plait ! s'écria-t-elle. A propos de mes amis... Ils sont euh...
ensorcelés par Freyja. Et j'aimerais bien les récupérer.
Ce fut Lorsenn qui se tourna vers elle.
- Ne craignez rien, Lara, fit-il. Freyja s'amuse mais se lasse vite. Elle
finira par relâcher son emprise sur eux. Retournez auprès d'eux.
Les deux Dieux quittèrent alors le jardin paradisiaque. Troublée, Lara remit
ses chaussures et partit à son tour.
***
La porte du jardin paradisiaque donnait
maintenant directement sur sa chambre, où se trouvaient toujours Frigge -
Freyja, donc - Indy et Trent. Perturbée par ce « raccourci », Lara rouvrit
la porte, qui donnait de nouveau sur un couloir. Asgard, construit sur des
faux-semblants et des illusions, pensa-t-elle. A contre-coeur, elle se tourna
de nouveau vers le trio. Elle ressentit immédiatement l'animosité de la
Déesse envers elle. Prenant son courage à deux mains, elle s'avança. Freyja
la regarda approcher, un petit sourire aux lèvres, attendant la suite des
évènements en acceptant les hommages des deux hommes. Lara avait conscience
d'affronter une Déesse, bien qu'elle ne voyait qu'une prodigieuse pétasse
blonde.
- Divine Freyja, commença Lara. Divine Freyja, la guerre se prépare en
Midgard.
Elle aurait été incapable de dire pourquoi elle avait sorti cette phrase.
C'était venu naturellement, comme si c'était la seule chose à dire pour
obtenir l'attention de la Déesse. Et il sembla que ce fut le cas, car
l'attitude de Freyja changea de façon quasi-imperceptible.
- Et alors ? demanda la Déesse.
- La situation est telle que Thor et Loki font cause commune, et seront
bientôt rejoints par Odin lui-même.
Lara ne comprenait toujours pas pourquoi les mots lui venaient aussi
naturellement, sans qu'elle ait besoin d'y réfléchir. C'était une sensation
étrange.
- Rejoins-nous, ma Soeur, reprit-elle, cette fois presque malgré elle.
- Vos conseils de guerre m'ennuient profondément, mon Frère, répondit
Freyja. Je suis mieux avec mes deux chouchous.
- Libère-les, ma Soeur, nous avons aussi besoin d'eux.
- C'est hors de question : ils m'amusent beaucoup.
- Je ne peux te laisser faire, ma Soeur. Odin peut se passer de ton aide. Pas
de la leur.
Freyja regarda Lara droit dans les yeux, soudain furieuse. Ses yeux blancs
devinrent presque livides, et sa chevelure sembla s'enflammer. Mais Lara
resta impassible, parfaitement immobile.
- Ce sont des humains ! s'exclama Freyja. Que peuvent-ils apporter que je ne
puisse moi-même ?
- Leur humanité, ma Soeur, répondit Lara avec gravité.
- Et elle change quelque chose pour le danger qu'encourt Midgard, cette
humanité, mon Frère ? ironisa la Déesse.
- Absolument tout, ma Soeur. Elle est vitale. Seuls des humains peuvent
accomplir ce qui doit être fait. Et tu le sais.
La Déesse soupira profondément.
- Très bien, mon Frère. Je les libère et je vous rejoins.
- Tu as pris la bonne décision, ma Soeur.
Freyja se leva et sortit de la chambre. Quelque chose sembla alors se briser
dans la pièce, comme une chape de plomb qui s'envole. Lara se secoua la tête
pour remettre ses idées en place. Indy et Trent étaient debout et hagards,
encore sous l'emprise de Freyja. Lara décida alors de les réveiller une
bonne fois pour toute, tout en évacuant sa frustration. Elle prit donc les
deux hommes par les mains et les aligna face à elle, l'un en léger retrait
par rapport à l'autre. Ils se laissaient faire docilement, ce qui lui permit
de les placer comme elle le voulait, comme de simples éléments de décor.
Ensuite, elle prit la meilleure position possible, face à eux, jambes
fléchies, assurant une stabilité parfaite. Elle s'échauffa le poignet et la
main, rapidement car les deux hommes commençaient à reprendre leurs esprits.
Elle fit sa prise d'élan, juste au moment où ils se réveillèrent totalement.
Mais il était trop tard pour que la jeune femme arrête son mouvement.
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