Chapitre 19
La partie égyptienne, qui contenait l'une
des plus grandes collections du monde, dont le fameux Pas Silencieux du
Chat, se trouvait du côté nord du Brooklyn Museum, à l'angle de la cinquième
et de la quatre-vingt quatrième rue. Elle était organisée en différentes
salles contenant statues de pierre et objets précieux divers, que les
visiteurs pouvaient admirer selon un parcours agencé aussi précisément
qu'intelligemment. La visite se terminait en apothéose par une immense pièce
contenant la reconstitution fidèle et complète d'un temple égyptien. Lara se
remémora avec émotion toutes les aventures ayant trait à cette partie de
l'histoire mondiale, comme l'affrontement contre le dieu Seth au coeur de la
grande pyramide ou, plus récemment, l'assemblée des Dieux antiques. Sara
arriva à sa hauteur et la tira de sa rêverie : la jeune commissaire ne
semblait pas touchée par la beauté des lieux, mais était particulièrement
tendue.
- T'as repéré ce que tu cherches ? demanda-t-elle.
- Oui, dans une vitrine, dans la troisième salle, répondit Lara.
- La troisième ? Merde, pas de chance, c'est celle qui fait l'angle !
- Et alors ?
- Alors deux murs donnant sur l'extérieur, deux fois plus de dégâts dans le
musée !
Sara avait légèrement haussé la voix, mais se reprit aussitôt, non sans
quelques coups d'oeil inquiets sur la foule autour d'elles.
- C'est comme ça ! répliqua Lara en haussant les épaules. Débrouille-toi
pour ne détruire qu'un seul mur !
- La bonne blague... M'énerve pas, ou je laisse tout tomber !
- Après avoir attiré Estacado dans un tel piège ? Il est trop tard, Sara. Tu
l'as averti via un indic, il va venir. S'il n'est pas déjà là.
- C'est trop dangereux, Lara. On ne peut pas prévoir ce que va donner un
nouvel affrontement entre la Witchblade et le Darkness.
- C'est un risque à prendre. Occupe-toi d'Estacado, affronte-le et
laisse-moi me débrouiller avec le reste. Pense juste à survivre.
- Trop aimable, merci.
Sans prévenir, Lara prit Sara dans ses bras. Elles se firent l'accolade un
long moment, tendrement.
- Merci pour ton aide, Sara, fit Lara. Je te revaudrais ça.
- Pas de problème. On y va. Reste à distance, il pourrait te reconnaître.
Les deux jeunes femmes retournèrent dans la troisième salle. La foule
commençait à se disperser, les horaires de fermeture approchant. Lara resta
en retrait, faisant mine d'admirer telle ou telle vitrine. Du coin de l'oeil,
elle repéra Estacado, à l'opposé dans la pièce. Elle vit également Sara
sortir son arme de son étui et s'approcher de lui. Les choses sérieuses
pouvaient commencer.
Jackie Estacado repéra rapidement Sara. Dès que leurs regards se croisèrent,
la jeune femme leva son arme, déclenchant aussitôt une panique générale dans
la salle.
- Police ! hurla-t-elle. Sortez dans le calme, tout se passera bien !
Elle indiqua la sortie d'une main. De l'autre, elle visait Jackie de son
arme. Elle s'approcha lentement de lui, sans le quitter des yeux.
- Sara ! fit-il, d'un sourire sans joie. Que fais-tu ici ?
- Je me pose la même question... Un tueur de la mafia, dans un musée ?
Jackie ricana soudain.
- OK, le petit tuyau venait de toi ! Tu voulais me revoir, peut-être ? Je te
manque ?
- C'est pas vraiment ça, non...
- En tout cas, je te conseille de vite m'abattre, ou de m'arrêter et de vite
me faire sortir du musée.
Sara se crispa légèrement : elle savait très bien où il voulait en venir, et
c'était justement là où elle voudrait qu'il aille. Quelque soient les
risques.
- Pourquoi ? fit-elle en tentant de faire croire qu'elle l'ignorait
réellement.
Visiblement peu concentré, Jackie tomba dans la feinte.
- Vue la panique que tu as déclenché, l'alarme ne va pas tarder à se mettre
en route. Et il me semble que ce musée est équipé de panneaux blindés, qui
vont offrir une merveilleuse obscurité...
Sara haussa les épaules.
- Tu as raison, alors je t'arrête, Jackie. A genoux par terre, face contre
terre, et vite !
L'alarme tant redoutée - et à la fois tant désirée - retentit de façon
stridente. Des herses s'abattirent aux deux entrées, isolant la pièce des
autres. De lourds volets blindés se déroulèrent le long des fenêtres,
plongeant la salle dans une semi-pénombre. Sara jeta son arme, en direction
de Lara, seule personne extérieure à être restée et qui s'était cachée
discrètement derrière la vitrine qui contenait ce qu'elle cherchait.
- Trop tard... fit lugubrement Jackie.
- Tu sais bien que j'ai d'autres moyens de t'arrêter, Estacado.
Un silence s'installa entre les deux anciens amants. Ils se dévisageaient,
malgré l'obscurité de la pièce.
- On peut la bouffer, cette fois, patron ! fit soudain une petite voix
stridente, à côté de Jackie.
- Ouais, ça va être facile ! enchaîna une seconde voix.
- Comme la dernière fois, où ta tronche a roulé loin de ton corps ? fit une
troisième voix.
- J't'emmerde, elle est pas invincible !
- Lame de sorcière, lame de lumière, lame dont on peut être fier ! chanta
une quatrième voix.
- Allez, on va la bouffer !
- Ca suffit ! intervint soudain Jackie. Laissez-moi la Witchblade... Allez
plutôt vous occuper de Lara Croft.
- Ouais, merci patron ! s'écrièrent toutes les voix en même temps.
Sara se crispa légèrement : l'affrontement contre Jackie allait devenir très
compliqué si elle devait en plus protéger Lara des démons mineurs liés au
Darkness. Comble de la malchance, le bracelet qu'elle portait ne réagissait
toujours pas, ne sentant pas sa porteuse menacée. Jackie s'avança vers elle
: il portait maintenant l'armure du Darkness, qui le recouvrait presque
entièrement. Sara recula lentement, vers la position de Lara.
- Un problème, Pezzini ? ricana Jackie. La Witchblade ne réagit pas ?
Sara continuait de reculer, maintenant particulièrement tendue. Elle
rejoignit Lara, accroupie derrière la vitrine, arme à la main. Soudain, les
petits démons bondirent. Lara en abattit un, puis deux. Mais le troisième
lui fonça dessus, gueule grande ouverte sur des dents acérées. Il ferma
violemment sa mâchoire... sur le bras gauche de Sara, qu'elle venait de mettre
en opposition. La jeune commissaire lutta contre l'évanouissement provoqué
par l'intense douleur des crocs enfoncés dans sa chair. Le démon la regarda,
puis reporta son regard sur le bras droit de la jeune femme. Il se retira
lentement, lâchant un bras nu ensanglanté.
- Patron, je vais avoir besoin d'aide... gémit-il. On dirait que...
Il ne termina pas : Sara le fit exploser d'une salve enflammée. Elle se
redressa, recouverte par la Witchblade, et se tourna vers Estacado.
- On dirait que ça va devenir intéressant, Sara, fit-il.
- Oui, on dirait, Jackie.
Ils se jetèrent soudain l'un vers l'autre et le musée explosa.
Lara s'extirpa des décombres, aidée par des pompiers venus à la rescousse.
La jeune femme venait de s'offrir un plongeon d'une demi-douzaine de mètres,
emportée par une des nombreuses explosions ayant secouées la troisième salle
de la partie égyptienne. Elle rassura les secouristes sur son état de santé,
puis répondit aux questions des policiers. Ses réponses étaient basées sur
l'histoire que Sara et elle avaient montée : elle n'avait qu'à dire la
vérité. Elle se trouvait là avec son amie, commissaire de police, quand un
mafioso a attaqué. Les policiers la remercièrent et la laissèrent partir,
non sans relever son nom. Lara s'éloigna du musée, laissant sa meilleure
amie se battre contre son ennemi préféré. Elle regarda une dernière fois
derrière elle puis s'engouffra dans un taxi. Sur la route de l'aéroport,
elle regarda une dernière fois le petit médaillon en or, avant de le ranger
avec précaution dans un écrin.
***
Indy se réveilla avec la sensation d'un
paradoxe : il avait froid d'un côté, chaud de l'autre. Ouvrant les yeux, il
constata que son pantalon était en train de brûler, et qu'il était allongé
dans la neige. Rapidement, il éteignit les flammes et fit un rapide tour
d'horizon. Il se trouvait donc dans la neige, à plusieurs dizaines de mètres
de la carcasse de l'appareil. Il avait le bras gauche caché, une vraie
certitude en voyant qu'il possédait un second « coude » au niveau de
l'avant-bras. Il était de plus certainement couvert d'ecchymoses et de
brûlures, mais dans l'ensemble, il allait bien. En tout cas, il avait
survécu. Il se demanda d'ailleurs si cet état de fait était dû à une chance
incroyable ou à son petit « talent » particulier. Il n'eut pas le temps de
trouver une réponse. Plusieurs moines portant un brancard, accompagné d'un
médecin, se précipitaient sur lui.
Gombu arriva à l'infirmerie, l'air soucieux. Tellement soucieux qu'il ne
demanda pas à Indy s'il allait bien.
- Je ne comprends pas comment une telle chose a pu arriver, docteur Jones,
fit-il soudain.
- Ne t'en tiens pas pour responsable, mon vieil ami. Les personnes que nous
affrontons ont énormément de moyens à leur disposition.
- C'est un vrai drame...
- Allons, je suis vivant, et le pilote aussi. Que des dégâts matériels.
Le moine le regarda avec contrariété, comme il aurait regardé un enfant pris
en faute.
- Un drame politique, docteur Jones ! Politique ! Le gouvernement chinois va
se poser des questions à propos du Tibet. C'est une catastrophe !
- Je suis certain que tout s'arrangera. Ecoute, je dois vraiment retourner
en Europe. Je t'ai parlé de ma... mission, et elle est vitale.
- Et tu me laisses seul avec des problèmes que tu as toi-même amené...
- Je reviendrais, mon ami, je te le jure.
Gombu hocha tristement la tête et sortit.
Arguant de sa renommée, Indy fit intervenir l'ambassade américaine en Chine
pour le rapatrier jusqu'à Hong Kong. De là, il put enfin téléphoner
tranquillement à Lara.
- Salut, ma puce, quoi de neuf ? fit-il. Tu vas bien ?
- Oui, ça va, j'ai récupéré le médaillon.
- Parfait. J'ai moi aussi trouvé ce que je cherchais. Juste après toi,
j'appellerais Trent.
- Ecoute, Indy, je sais pas comment te l'expliquer, mais... J'ai un mauvais
pressentiment. Il faut qu'on rentre vite.
- Ne t'inquiète pas. Je pense que l'assistant de Lorsenn nous a tous
attaqués, mais il n'avait aucune raison de s'attaquer au manoir.
- Je pensais pas à ça, en fait... Tu as été attaqué ?
- Mon avion qui a explosé en bout de piste, à Lhassa.
- Tu vas bien ?
- En pleine forme. Ecoute, pour te rassurer, je propose qu'on s'attende tous
à Heathrow, afin d'aller au manoir ensemble.
- Oui, ça me va. Je prends l'avion dans une heure.
- Moi pareil. Je m'arrange avec Trent. A bientôt.
- Ok, bisous.
Il raccrocha et chercha immédiatement le numéro de Kurtis dans son
répertoire.
***
Indy et Kurtis devisaient avec passion sur
la route menant au manoir Croft. Trent avait pris le volant, et Indy s'était
installé à côté de lui, afin de discuter. Car Lara, derrière, restait
silencieuse. Elle n'avait donné aucune explication à ses amis, mais elle
ressentait une angoisse sourde. Une peur terrifiante qui croissait en elle.
Et elle n'arrivait pas à se défaire de ce sentiment, qui, de plus,
s'intensifiait au fur et à mesure qu'ils s'approchaient. Indy et Kurtis
finirent par se taire quand ils s'engagèrent dans l'allée du manoir.
- Passez tous les deux par derrière, s'il vous plait, demanda Lara. Je vais
entrer seule par la porte principale, au cas où.
Ils acquiescèrent et partirent derrière le manoir. Une fois seule, Lara prit
une profonde inspiration et monta la volée de marches. Elle ouvrit la porte
et entra. Comme dans un rêve, elle vit les deux corps : l'un gisant par
terre, l'autre assis dans une chaise. Le choc fut tel qu'elle regarda la
scène de façon détachée, son esprit ne pouvant conceptualiser
l'inimaginable. Puis, lentement, insidieusement, l'ignoble réalité la
rattrapa. Des millions d'émotions vrillèrent son esprit en même temps, la
plongeant dans une sorte de brume, où tout autour d'elle était flou, presque
inexistant. Tout, sauf les deux corps gisant devant elle, qui eux, étaient
atrocement nets. Elle tomba alors à genoux et, la tête en arrière, poussa un
hurlement aussi déchirant que silencieux.
|