Chapitre 18
Lara était encore en colère quand elle
arriva à New York. Pour deux raisons qui, cumulées, la rendait de mauvaise
humeur. D'abord, au manoir, Indy l'avait harcelée pour qu'il puisse venir
avec elle, ce qui marquait un soudain manque de confiance. Ils s'étaient
séparés après une mémorable dispute. Ensuite, parce que dans l'avion, elle
avait réfléchi à un plan, et que ce plan était proprement scandaleux, même
si elle l'assumait : elle allait provoquer - indirectement, certes - la
destruction d'une partie du musée de New York, afin de récupérer un petit
médaillon. C'était révoltant et honteux, mais elle n'avait pas le choix. Et
peut-être que, malgré tout, elle aurait trouvé un autre plan si elle ne
s'était pas disputé avec Indy. Toujours est-il qu'elle arriva dans l'hôtel
de police de Brooklyn toujours aussi énervée et maussade. L'endroit
ressemblait à un hall de gare : une foule hétéroclite, dont la moitié était
en uniforme bleu foncé, allait et venait dans tous les sens, dans un
brouhaha et une cohue indescriptibles. Des cris, des rires nerveux, des
pleurs, des hurlements, des sonneries de téléphones, des fax, des sirènes et
toutes sortes de sons s'entremêlaient dans une atmosphère enfumée et
odorante. Au milieu de ce tohu-bohu, Lara s'avança vers l'accueil. Avant
qu'elle n'ait plus dire un mot, le policier en poste lui tendit un
formulaire et un crayon.
- Si c'est pour déposer une plainte, merci de remplir ce formulaire,
récita-t-il machinalement. Si c'est pour payer une caution, merci d'attendre
devant le bureau douze. Si c'est pour vous rendre après un délit, merci de
préciser l'objet du délit.
Lara regarda le formulaire, puis le déchira lentement en petits morceaux. Ce
faisant, elle attira l'attention du policier : il la foudroya du regard.
- Vous voulez quoi ? demanda-t-il.
- J'aimerais voir le commissaire Pezzini.
- Pas dispo ! C'est pour quoi ?
- C'est privé. Je suis de la famille.
Le policier dévisagea Lara, avant de lui indiquer des escaliers, à
contrecoeur. La jeune femme les escalada et se retrouva dans un couloir plus
tranquille, où seuls les policiers étaient autorisés. Elle passa une série
de bureau avant de tomber sur le bon. Elle frappa à la porte.
- Entrez ! hurla une femme, de l'autre côté.
En souriant, Lara entra. Elle se trouva dans un bureau d'enquêteur standard,
avec sa table simple, ses armoires de dossiers et son téléphone. Une jeune
femme, qui aurait pu passer pour sa soeur jumelle, était assise dans son
fauteuil, les pieds sur le bureau, en train de fumer une cigarette. Elle
regarda Lara un moment, presque sans y croire.
- T'as des soucis, en ce moment, Sara ? demanda Lara. Ou tu te remets
vraiment à fumer ?
La jeune commissaire se remit de sa surprise et lança le paquet de
cigarettes à Lara.
- Prends-en une, si t'as aussi des soucis, Lara...
Lara sortit une cigarette et l'alluma. Elle alla ensuite s'asseoir sur une
chaise, en face du bureau, et posa aussi les pieds dessus. Elle tira
quelques bouffées puis écrasa le reste dans le cendrier.
- J'ai besoin de toi, Sara, fit-elle.
- De moi ? Ou de la Witchblade ?
- Des deux.
Sara termina sa cigarette en silence et l'écrasa à son tour dans le
cendrier. Elle mit ses mains derrière la tête et s'étira.
- Ca va, toi ? fit-elle. T'en es où, dans ta vie ? Toujours avec ce Carver ?
- Non, répondit Lara. Il est mort.
- Moche. Un nouveau ?
- Pas officiellement. Et toi ?
- Célibataire aussi.
- Dommage.
- Ouais...
Sara soupira. Puis elle se tendit soudainement. En fronçant les sourcils,
elle regarda Lara d'un air suspicieux.
- Tu as aussi besoin de Jackie ?
- Ca fait partie de mon plan, oui. Tu es toujours en « je t'aime, moi non
plus », avec lui ?
- Suffisamment pour que je puisse l'attirer, si c'est ton plan.
- C'est mon plan, oui. Une partie de mon plan.
- Et bien tu vas m'expliquer tout ça, Lara. Je sens que tu vas m'intéresser...
***
Kurtis Trent somnolait à moitié, allongé
dans la petite embarcation vétuste. Accablé par la chaleur tropicale, qui
contrastait douloureusement avec la catastrophe du nord de l'Europe, bercé
par le clapotis du fleuve, il se perdait dans sa réflexion. Sa mission
initiale était un échec : c'était un fait établi. Il n'avait pu empêcher
Lorsenn de rejoindre Asgard, comme « il » lui avait demandé. Kurtis avait dû
faire son rapport, et « il » avait décidé de le laisser sur cette mission,
avec de nouveaux ordres : aider le groupe d'humains. Lara Croft et Indiana
Jones. Les aider. Pendant un certain temps. Kurtis aurait pu rechigner,
faire valoir que Lara et Indy étaient désintéressés et respectables. Mais il
ne l'avait pas fait : il s'était contenté d'accepter les ordres. Comme il
l'avait toujours fait. Car c'était ce pour quoi on l'avait entraîné. Un cri
de son guide le tira de sa léthargie.
- Hombre ! fit-il en désignant le rivage. Nous sommes arrivés !
Kurtis acquiesça d'un hochement de tête et prit son sac à dos. Il sauta de
l'esquif, à la suite du guide. Ils commencèrent alors à s'enfoncer dans la
jungle, aidés par leurs machettes. Le guide, particulièrement performant,
l'amena au bon endroit sans tergiverser, ce que Kurtis sut apprécier. Armé
de sa petite fiole incassable, il s'approcha du filet d'eau. La Salive de
l'Oiseau. Il se demanda si elle produisait un effet spécial quand on la
buvait. Mais il n'avait pas spécialement envie de tester. Il ferma
hermétiquement la fiole et la rangea dans son sac à dos. Ils firent alors
demi-tour et retournèrent à la pirogue. L'escapade avait duré en tout et
pour tout une demi-douzaine d'heures, ce qui représentait un véritable
exploit compte tenu de la distance et de l'environnement. Kurtis se
réinstalla tranquillement dans le bateau, satisfait. Il tenta de dormir un
peu, mais n'y parvint pas : quelque chose le tracassait. Il n'arrivait pas à
mettre le doigt dessus, mais quelque chose n'allait pas, il en était
certain. Et ce malaise concernait Tête de Fouine. L'assistant de Lorsenn,
bien qu'ayant trahi son patron, connaissait le nom de chaque artefact. Il
était donc plus que probable qu'avec les moyens dont il disposait, il soit
arrivé aux mêmes conclusions que Jones quant à la localisation des
artefacts. Peut-être même avait-il de l'avance, notamment sur la Barbe de la
Femme ou le Souffle du Poisson. Kurtis se mit à la place de Tête de Fouine.
Il devait se moquer de retrouver les artefacts, puisqu'il voulait justement
que Fenryr dévastât le monde. Mais il devait néanmoins en connaître la
position, afin de les empêcher, Lara, Indy et lui, de les obtenir. Car ses
deux compagnons avaient survécu à un traquenard en Crête. Maintenant, Tête
de Fouine devait courir aux devants de chaque artefact pour espérer tuer
l'un des membres du groupe de recherche. Kurtis sourit. Son malaise était
clairement identifié : un ou plusieurs tueurs l'attendait à l'embarcadère.
***
Indy était assis en tailleur, par terre,
depuis plus d'une heure. Les yeux fermés, les mains jointes devant lui, il
priait avec tous les autres moines bouddhistes, face au chef spirituel du
temple. Il était arrivé à Lhassa dans la matinée, après un long voyage
depuis Londres. Il avait pris contact avec un vieil ami, un moine tibétain
du nom de Gombu. Ce qui voulait dire « méditation ». Nom parfaitement de
situation, en l'occurrence. N'étant pas d'obédience bouddhiste, Indy se
contenta de réfléchir, profitant du calme et de l'ambiance de profonde
sérénité qu'il ressentait. Il n'avait pas encore parlé à Gombu du but de sa
visite. A peine arrivé, le moine lui avait proposé une prière - cette
prière. Elle prit fin quelques minutes plus tard, sur un coup de gong. Les
moines se levèrent en silence, dans un bruit d'étoffe froissé. Sans un mot,
comme ses camarades, Gombu fit signe à Indy de le suivre. Ils sortirent
ensemble du temple et se mirent à marcher dans les rues de Lhassa.
- Alors, mon ami, cette visite est-elle de pure courtoisie ? demanda-t-il.
Son anglais légèrement teinté d'accent rappela à Indy son vieil ami
Demi-Lune. Bien qu'il fut presque scandaleux de comparer Tibétains et
Chinois, surtout dans un tel lieu.
- Non, hélas, répondit Indy, bien que le plaisir de te revoir soit grand.
- Ainsi que le mien, mon ami.
- Comment va Sa Sainteté ?
- Bien. Elle est en voyage diplomatique en ce moment. En Europe.
- Ca ne m'étonne pas.
- Vraiment ? Quelle idée te traverse donc l'esprit, mon ami ?
- L'Europe est actuellement sujette à des troubles d'ordre... mystiques.
Suffisamment graves pour entraîner la destruction de la planète.
- Vraiment ? Explique-moi donc ça, mon ami.
- C'est que... De telles explications heurteront ta foi, mon ami.
- Ma foi me permet de tolérer celle des autres.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Excuse-moi si je t'ai insulté.
- Ne t'inquiète pas, mon ami. Et explique-moi.
***
Kurtis l'avait repéré de loin. L'homme se
tenait debout sur le ponton, bien en vue. Il regardait l'embarcation
approchée du quai, lentement, manoeuvrée avec dextérité par le guide.
Celui-ci faisait profil bas : il avait senti et compris le problème. Il
arrima la pirogue, sauta sur le ponton et partit sans demander son reste. Le
tueur le regarda s'éloigner en souriant, puis reporta de nouveau son
attention sur Trent, qui sortait tranquillement de l'embarcation.
- Monsieur Trent ? demanda l'homme.
- C'est moi. Enchanté, monsieur le tueur.
L'homme ricana, soudain nerveux devant la tranquillité de Trent. Celui-ci
jeta un de ses sacs derrière l'homme, vers le début du ponton. Ce mouvement
augmenta la nervosité du tueur, qui dégaina un lourd revolver.
- Vous semblez savoir qui je suis et pourquoi je suis là... fit-il.
- Qui vous êtes, non, pas précisément. Je me doute juste que vous êtes à la
solde de l'assistant de Lorsenn, l'homme à tête de fouine. Et vous êtes là
pour me tuer, et empêcher que je ramène la petite fiole d'eau que voici.
- Exactement ! Alors commencez par jeter cette fiole dans le fleuve !
Kurtis soupira : il ne montrait toujours aucune inquiétude particulière.
- Vous n'êtes pas un chanceux, vous savez ? fit Trent. Tête de Fouine a
envoyé trois tueurs pour s'occuper de Lara Croft, d'Indiana Jones et de
moi-même. Et par malchance, c'est vous qui êtes tombé sur moi...
- Et alors ? fit l'homme, de plus en plus nerveux.
- Alors vous, tout comme votre patron, ne vous êtes pas assez renseigné sur
moi. Si vous l'aviez fait, vous auriez su que je ne suis pas un homme comme
les autres.
L'homme ricana et arma son revolver. Son sourire se figea soudain et il
s'écroula sur le ponton. Mort. Kurtis soupira et s'approcha de sa victime.
Il retira d'un coup sec son arme du dos de l'homme. Un boomerang circulaire
orné de lames acérées. Son chirugai.
***
Indy retourna au petit aérodrome de Lhassa,
où l'attendait le petit jet qu'il avait affrété. Il affichait un sourire
fatigué, mais satisfait : après forces négociations, Gombu avait fini par
lui céder le bol tibétain nommé la Racine de la Montagne. Indy avait dû
expliquer pourquoi il en avait besoin, tout en évitant soigneusement
certains détails qui auraient pu choquer le moine bouddhiste. Il avait
finalement obtenu le bol, contre la promesse - factice - de le ramener. Indy
vérifia la présence de l'artefact dans son sac à dos et monta dans le petit
avion, qui partit une fois la porte fermée. En bout de piste, l'avion
explosa.
***
Bryce était vautré dans un des canapé, face
à la télé, en train de jouer à un jeu vidéo lorsque le carillon de la porte
retentit. Il l'ignora, comme il le faisait d'habitude, persuadé que Winston
était en route pour ouvrir. Mais la sonnette retentit de nouveau.
- Quelqu'un à la porte ! hurla-t-il, sans quitter l'écran des yeux.
- J'arrive ! entendit-il, au loin.
La sonnette retentit une troisième fois, et Winston n'était toujours pas là.
Bryce pesta contre la lenteur du majordome et lâcha enfin son jeu. A
mi-chemin de la porte, Winston déboucha de la cuisine mais, d'un hochement
de tête, autorisa le jeune homme à ouvrir à sa place. Ce qu'il fit. La suite
se déroula comme dans un cauchemar. Le vieux majordome aurait aimé se
réveiller rapidement si cela avait été le cas. Hélas allait se dérouler sous
ses yeux l'atroce réalité. Derrière la porte se trouvaient trois hommes,
dont le premier était beaucoup plus petit que les deux autres. Il pointait
une arme devant lui, et fit aussitôt feu à plusieurs reprises, sans se poser
de question. Bryce, totalement pris par surprise, s'écroula, mortellement
touché en pleine poitrine.
- Non !!!!! hurla Winston, d'un violent cri du coeur.
Submergé par l'émotion, le majordome d'ordinaire flegmatique au possible se
précipita vers Bryce. A genoux, il le prit dans ses bras et lui parla pour
le forcer à rester conscient. En vain : le jeune homme hoqueta, les larmes
aux yeux, puis mourut après un dernier râle déchirant. Des larmes coulèrent
sans retenue sur les joues de Winston, qui leva alors les yeux vers
l'assassin. Pour avoir entendu parler Lara et Indy, il reconnut l'assistant
de Lorsenn, l'homme à tête de fouine.
- Pourquoi ? finit par demander Winston.
- Pourquoi ? répéta Tête de Fouine avec un petit sourire sardonique. Mais
pour rien, voyons ! Juste comme ça, comme un jeu : qui allait ouvrir et
prendre les balles avant de comprendre ? Je suis déçu, ce n'était pas vous,
rajouta-t-il après un regard au corps de Bryce.
- Vous êtes un monstre... Ce gosse avait vingt ans !
- Oui, c'est trop triste. Je me demande comment Lara Croft réagira en
découvrant le cadavre de son jeune ami... Sûrement sera-t-elle moins triste
que si ça avait été vous.
- Ignoble...
- Oui, hein ? Quoique je préfère le terme de machiavélique.
- Dépêchez-vous de me tuer, qu'on en finisse ! fit Winston, d'un ton rageur
et empli de frustration.
- Vous tuer, monsieur Winston ? Il n'en est pas question : je veux « motiver
» Croft, non la paralyser de chagrin.
- Vous venez de tuer un gosse juste pour rendre Lara folle de rage ?
- Précisément, oui.
- Vous n'êtes pas humain...
- Peut-être pas, en effet. Mais je n'en ai cure.
Tête de Fouine claqua des doigts, et les deux hommes relevèrent Winston sans
ménagement, avant de l'asseoir violemment sur une chaise et de l'y attacher.
Tête de Fouine ouvrit ensuite une petite mallette et en sortit aussitôt un
fin scalpel, qu'il fit miroiter devant le majordome.
- Bien, fit-il, si nous passions aux choses sérieuses ?
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