Chapitre 23
L'apocalypse climatique s'était rapidement
étendue à toute l'Europe, entraînant pluies diluviennes, tremblements de
terre et autres manifestations. Lara et Alex ne furent donc pas surpris
d'atterrir à l'aéroport international de Vienne sous un déluge biblique.
- Tu y crois ? fit soudain Alex, le regard perdu dans le vague.
- Au fait que tu te sois mis à te servir miraculeusement de ton cerveau pour
nous amener ici ?
Ils étaient tous les deux sous un abri, devant le terminal de l'aéroport,
attendant un taxi.
- Très drôle, Lara, vraiment. Hilarant. Je te demandais si tu pensais qu'on
pouvait réussir.
La jeune femme haussa les épaules.
- On se doit d'y croire, Alex. On n'a pas le choix. On doit réussir pour
sauver la terre et parce que...
Elle marqua une pause, qui fit se retourner son ami. Il la trouva fermée,
tentant de refouler une émotion intense.
- ... parce que je refuse que Bryce soit mort en vain, termina-t-elle.
Alex acquiesça en silence. La file d'attente avançait lentement, mais ils
finirent par monter dans un taxi. Lara donna aussitôt l'adresse du musée.
- Que fera-t-on une fois en possession de tous les objets ? demanda Alex.
- Thor nous a certifié qu'on le saurait en temps voulu. Selon la mythologie,
on est censé les apporter aux Nains afin qu'ils tissent la corde. Elle a un
nom d'ailleurs, mais je ne me...
- Gleipnir.
Lara en resta bouche bée.
- Sérieusement, West, tu peux me le dire : tu te drogues ?
- Mais non ! répondit Alex en riant. J'ai de bonnes inspirations en ce
moment, je ne sais pas pourquoi. Sûrement un résultat des coups sur la
tronche que les sbires de Tête de Fouine m'ont gracieusement asséné !
- Tant que t'as pas perdu tes vannes...
Le taxi s'arrêta, et ils réglèrent la course avant de sortir. Sous une pluie
battante, ils coururent pour atteindre la protection du musée. Ils
achetèrent leur billet et commencèrent leur visite.
- T'as un plan ? demanda Alex en marchant tranquillement afin de ne pas
attirer l'attention.
- Pas vraiment, non... J'ai déjà cambriolé deux musées, je peux pas m'en faire
un troisième.
- Faudra quand même bien sortir cet artefact, non ?
- C'est clair.
- Donc on va pas avoir le choix.
Soudain, l'alarme du musée se mit à retentir. Lara sursauta.
- Ce n'est pas une coïncidence ! s'écria-t-elle. Tête de Fouine !
- On fait quoi ?
- On fonce ! Il ne faut pas qu'on se fasse bloquer à l'intérieur ! Cours ! A
droite, je pars à gauche !
Ils se séparèrent et se mirent à courir au milieu de la foule. Lara repéra
les gardiens du musée : ils courraient vers une salle dans le fond du musée.
Jouant des coudes parmi les touristes qui se ruaient vers les sorties, elle
les suivit. Rapidement, elle s'arrêta de courir, afin de ne pas attirer
l'attention sur elle. Déjà qu'elle allait dans le sens inverse du reste de
la foule... C'est en avançant dans le musée qu'elle le repéra : un homme,
assez jeune, habillé sobrement, avec des traits assez communs. Le genre
d'homme d'une telle banalité qu'il est impossible de se souvenir l'avoir
croisé, quand bien même on vous montre une photo de lui quelques minutes
après. Lara non plus n'aurait jamais remarqué cet homme en temps normal.
Sauf qu'il était en train de marcher vers la sortie d'un air tranquille.
Visiblement dans le but d'encore moins attirer l'attention. Et que Lara
faisait exactement la même chose. Se fiant à son instinct, elle arriva
mentalement à deux conclusions : il s'agissait du voleur, et il venait de
voler la petite statuette qu'elle venait chercher, certainement sur les
ordres de Tête de Fouine. Elle fit donc volte-face et le suivit, tout aussi
tranquillement. Le voleur suivit les dernières personnes qui sortaient du
musée. Il accéléra légèrement le pas, tentant de se fondre dans la foule de
plus en plus dense à la sortie du bâtiment. Concentrée, Lara ne le quitta
pas des yeux. Une fois dehors, il bifurqua sur la gauche et accéléra encore
plus, jusqu'à se mettre à courir. Convaincue qu'il se savait suivi, Lara le
poursuivit aussitôt sans prendre plus de précautions. Le jeune voleur était
sportif, car il distançait Lara sans trop de problèmes. Il se rua dans une
puissante voiture et démarra en trombe, juste sous le nez de la jeune femme.
Elle courut un peu derrière la voiture, en vain.
- Merde ! hurla-t-elle en pleine rue.
Elle eut à peine le loisir de laisser libre cours à sa frustration qu'une
autre voiture puissante freina brusquement à sa hauteur. La portière du
passager s'ouvrit sur Alex, penché vers elle.
- Monte, miss monde ! cria-t-il. On risque de le perdre !
- Comment ?
- Monte !
Elle ne se fit pas prier et monta. Alex démarra en trombe et se lança à la
poursuite du voleur.
- Laisse-moi deviner, fit Lara. Tu as volé cette voiture ?
- Tu n'as pas vraiment envie de le savoir, en fait...
Lara soupira.
- J'imagine, oui... tu as la même intuition que moi, concernant ce type ?
- C'est plus qu'une intuition, répondit Alex. Je l'ai vu sortir de la pièce
et ranger la statuette dans son manteau. N'empêche, c'est bizarre cette
facilité pour voler dans les musées, en ce moment...
- Avant d'y voir une intervention divine, garde à l'esprit que ce qui a de
la valeur pour nous n'en a pas forcément pour les collectionneurs.
- Hein ?
- Je veux dire que ta statuette ne vaut rien sur un marché spécialisé. Genre
cent dollars à tout casser.
- OK, mais ça me paraît quand même facile.
- Droite ! hurla Lara.
Alex tourna par réflexe, faisant déraper la voiture dans un bruyant
crissement de pneus. Il repartit en trombe, la voiture du voleur toujours en
vue. Ils roulaient à grande vitesse dans les rues de Vienne.
- Ca va pas tarder à devenir tendu, remarqua Alex, les yeux rivés sur le
rétroviseur.
Lara se tourna et vit deux voitures de police, gyrophares tournants.
- Merde... soupira Lara.
- On fait quoi ?
- Comment ça, on fait quoi ? Mais on fonce ! Il faut semer les flics et
récupérer cette statuette !
- C'est toi la chef !
Alex accéléra violemment, et ils prirent rapidement de la distance par
rapport aux voitures de police, et donc rattrapèrent le fuyard.
- Ne nous tue pas, quand même ! s'exclama Lara après un dérapage
particulièrement dangereux.
- On a rien sans rien, ma belle !
Le voleur s'engagea alors dans une petite ruelle. Ses rétroviseurs
extérieurs explosèrent contre les murs resserrés, mais il continua d'avancer
à grande vitesse, laissant derrière lui de longues gerbes d'étincelles. Alex
fit aussitôt de même. Le vacarme de la tôle contre les murs de béton devint
assourdissant, amplifié par l'exiguïté de la ruelle.
- Ne tire pas sur lui ! hurla Alex. On pourrait le perdre rapidement, vu où
on se trouve !
- OK ! répondit Lara.
Elle dégaina son magnum et se mit debout sur le siège, passant le corps au
travers du toit ouvrant providentiel. Elle visa précautionneusement et fit
exploser les deux pneus arrière du fuyard. Calé dans la ruelle, il put quand
même continuer, mais Lara savait qu'il perdrait le contrôle une fois sorti.
Elle revint dans la voiture.
- Merde, je t'avais dit de pas tirer ! cria Alex.
- Quoi ?? Tu m'as dit de tirer !
- De PAS tirer ! On va le perdre !
- Pourquoi ?
- On fonce vers la flotte, là !
Le voleur sortit enfin de la ruelle et perdit aussitôt le contrôle de sa
voiture. Partant en dérapage, il heurta plusieurs voitures stationnées là
avant de partir en tonneau et de chuter dans le fleuve situé légèrement en
contrebas.
- Le Danube ? demanda Lara.
- Lui-même. Et il vient de plonger dedans ! Tu peux me dire comment on va
récupérer la statuette, maintenant ?
- C'est simple : fonce.
Alex regarda sa jeune amie dans les yeux, puis éclata de rire.
- J'étais sûr que t'allais dire ça.
Il accéléra de nouveau et prit le même chemin que le voleur. Leur voiture
décolla et plongea dans le fleuve. Le choc très violent déclencha aussitôt
leurs airbags, les bloquant dans leurs sièges.
- T'avais prévu ça ? ironisa Alex, tandis que l'eau montait déjà rapidement
dans l'habitacle.
- Comment peux-tu encore être surpris par ma façon de faire, mon chéri ?
Lara sortit rapidement un couteau de sa poche et creva les coussins de
sécurité.
- C'est sympa, le Danube, vu de l'intérieur, non ? fit-elle.
- Charmant. Un peu boueux, peut-être. Et glacial.
- Oui, glacial. Ca, par contre, j'avais pas prévu.
- J'imagine, ricana Alex. Mourir d'hypothermie avant d'avoir récupéré la
statuette...
- Prêt à retenir ton souffle ?
- Ouais, prêt !
- Alors on ouvre les fenêtres !
L'eau glaciale s'engouffra aussitôt dans l'habitacle de la voiture. Ils
sortirent par les fenêtres et, sans se concerter, nagèrent de concert vers
l'autre voiture, simple silhouette sombre dans l'eau boueuse du fleuve. Sans
perdre de temps, ils fouillèrent rapidement le cadavre du voleur. Lara
récupéra la statuette et ils remontèrent à la surface. Le tout avait duré un
peu plus d'une minute. Ils prirent une profonde inspiration, se remplissant
de nouveau les poumons. Mais le répit fut de courte durée : non loin, sur
les berges, des projecteurs se braquèrent sur eux, et un policier hurla des
imprécations en autrichien dans un mégaphone.
- Normal... fit Alex.
- On peut pas se le permettre, tu sais ?
- Oh, je sais. Faut se séparer.
- Je te quitte pas d'une semelle, West, je te l'ai dit.
- Tu sais très bien que c'est la seule solution. On va s'enfuir, ils
chercheront un couple. Chacun de notre côté, on sera plus discret. On se
retrouve chez toi.
- OK, West, mais t'as intérêt à y être, sinon je retourne l'Europe pour te
retrouver !
- Ca marche. Prête à plonger de nouveau ?
- Ouais, bien sûr.
- Bonne chance, ma belle. Sache que je t'aime.
Avant que Lara n'ait pu réagir, il plongea. La jeune femme l'imita aussitôt.
Ils partirent sous l'eau, dans des directions opposées, accompagnés par les
premières balles tirées par les policiers. Alex rejoignit la berge opposée,
profitant de la brume qui couvrait le fleuve et des arbres qui le bordait.
Il chercha Lara du regard : elle sortait sur la même berge, une centaine de
mètres plus bas. Rassuré sur la réussite de sa jeune amie, Alex posa sa main
sur son ventre, la ramena poisseuse de sang et s'écroula sur la rive.
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