Chapitre 22
Lara se réveilla sans surprise à l'hôpital.
Epuisée, blessée, une perfusion dans la main, elle se sentait détruite, la
bouche pâteuse. Elle se souvenait de toute son escapade, et pouvait donc
citer chaque blessure qui l'avait amenée dans cette chambre. Cependant, si
elle savait pourquoi elle était là, elle ignorait comment elle était
arrivée. Elle se remémora le fil des évènements : Tête de Fouine face à
elle, Indy au téléphone, la douleur de plus en plus grande,
l'évanouissement, son réveil et... une apparition. Une vision. Un effet de son
délire. Il s'agissait sûrement de Trent, qu'elle avait pris, au plus fort de
sa fièvre, pour quelqu'un d'autre.
- J'ai rêvé... soupira-t-elle à haute voix.
- Non, ma grande, tu n'as pas rêvé.
Elle se tourna vers celui qui venait de lui répondre. Elle ouvrit grand les
yeux, tentant de se convaincre qu'elle était bien éveillée. Bien consciente.
En riant, Alex se pencha vers elle et l'embrassa sur le front.
- Fais pas cette tête, Lara ! Tu vas te fatiguer à force de m'admirer.
- Alex ? gémit-elle, la voix brisée. Le vrai Alex ?
- Mais oui, ma belle, le vrai de vrai, de retour avec son charme
irrésistible et son humour ravageur, ainsi que... Oh là ! On se calme !
s'exclama-t-il soudain comme Lara commençait à pleurer.
- Depuis combien de temps je suis là ?
- Juste une nuit et la journée. Nous sommes dans la soirée du lendemain de
ton opération commando.
- Et je suis dans quel état ?
- En pleine forme ! Beaucoup de contusions et de bleus, un bras gauche troué
comme un gruyère mais superficiellement. Tu sors demain matin. Et tu peux
remercier une certaine personne pour le sang qu'on t'a transfusé. Car tu en
manquais sérieusement.
Alex s'écarta : derrière lui se trouvait Kurtis Trent. Lara ne s'attendait
pas à lui, mais décida de ne pas faire la fine bouche.
- Merci, fit-elle simplement.
Trent hocha la tête en souriant légèrement. Certainement la première fois
qu'elle le voyait faire.
- Où est Indy ? demanda-t-elle.
- Il est resté au manoir, reprit Alex. C'est un peu le bordel dehors, si tu
vois ce que je veux dire.
- On t'a tout expliqué ? Lorsenn, Tête de Fouine, Asgard et tout ?
- Oui, je suis au courant de tout.
- Tu vas nous aider ?
- Non, pas du tout, je vais retourner me faire chier à White Chapel !
Evidemment que je vais vous aider ! Je te quitte plus d'une semelle, Lara!
- Merci... Comment tu as retrouvé la mémoire ?
- Ah, alors c'est très simple : par un violent choc. En fait, ton ami Tête
de Fouine s'est beaucoup renseigné, mais pas autant que...
- WINSTON !!!! hurla soudain Lara.
Alex sursauta, totalement pris au dépourvu par le hurlement de la jeune
femme. Kurtis fut plus prompt à réagir et se précipita pour la maintenir sur
son lit, afin d'éviter qu'elle n'arrache sa perfusion. Elle se calma et le
fit aussitôt comprendre à Trent d'un regard sévère : il la lâcha
immédiatement.
- Comment va Winston ? demanda Lara à Alex.
- Il est vivant, mais encore en soins intensifs.
- Je veux le voir.
- C'est impossible pour l'instant. Et n'insiste pas, tu le sais
parfaitement. Il est en sécurité ici, et tu iras le voir dans quelques
jours. Pense d'abord à te rétablir : tu sors demain matin, on te ramènera au
manoir, et on reviendra ici voir Winston.
- Vous avez de nouveau perdu la mémoire, Monsieur West ? fit Lara devant le
sérieux de son ami.
Rassuré sur l'état d'esprit de la jeune femme, Alex explosa de rire.
***
Trois jours plus tard, Lara retourna à
l'hôpital, accompagnée de ses amis. Les médecins avaient donné
l'autorisation à Winston de recevoir des visites, sa vie n'étant plus en
danger. La jeune femme traversa les couloirs aseptisés en boitant
légèrement, et avec son bras gauche entièrement bandé et en bandoulière,
afin d'éviter des mouvements douloureux. Derrière marchait le cortège le
plus marquant que les infirmières avaient vu depuis longtemps : trois hommes
grands, beaux et musclés suivaient Lara sans un mot. La jeune femme s'amusa
des regards gourmands des femmes présentes, infirmières comme patientes.
Mais sa gaieté retomba très vite quand elle s'arrêta devant la porte close
de la chambre de Winston. Elle se tourna alors vers ses amis, cherchant ses
mots.
- Je... J'aimerais entrer seule, fit-elle sans les regarder dans les yeux.
C'est que j'ai... enfin... j'ai besoin de...
- On comprend, l'interrompit Indy. C'est tout naturel. On attendra dehors.
- Merci. C'est que...
- Inutile d'en dire plus, Lara. Entre.
- Prends ton temps, ma belle, renchérit Alex en posant un regard affectueux
sur la jeune femme.
Lara hocha la tête et prit une profonde inspiration avant d'entrer dans la
chambre. Elle referma aussitôt derrière elle. La pièce était faiblement
éclairée, mais elle distinguait parfaitement Winston. Bien qu'il fut
méconnaissable : il avait ses quatre membres, plus ses mains et ses pieds
dans le plâtre. Il portait une gaine autour de son torse nu, et toutes les
parties non cassées étaient recouvertes de pansements épais. Son visage
d'ordinaire si doux était tuméfié, et son regard à la fois bienveillant et
sévère exprimait encore une intense douleur. Pour avoir discuté auparavant
avec les médecins, Lara savait que seule la force de caractère de son
majordome l'avait empêché de sombrer dans la folie. Elle avait alors
commencé à réaliser ce que Tête de Fouine avait fait subir à son... «
grand-père ». L'homme qu'elle aimait le plus au monde après son propre père.
Elle refoula la rage qui remontait en elle et approcha une chaise à côté du
lit, avant de s'y asseoir. Winston se réveilla alors et tourna la tête vers
la jeune femme. Péniblement, il lui fit un sourire.
- Lara... fit-il, et sa voix n'était qu'un filet quasiment inaudible. Vous
semblez en forme. Je suis rassuré.
C'était une remarque typique du majordome, fidèle depuis cinquante ans à la
famille Croft. Malgré sa situation abominable, il s'inquiétait pour Lara,
sans penser une seule seconde à lui. Devant une telle abnégation, la jeune
femme ne sut quoi répondre. C'est donc sans un mot qu'elle serra la main
décharnée de Winston, qu'elle posa doucement la tête sur le bord du lit et
qu'elle fondit en larmes.
***
Indy, Alex et Kurtis s'étaient rabattu dans
une salle de repos de l'hôpital. Trent proposa immédiatement de payer les
cafés et se dirigea spontanément vers la machine, tandis que les deux autres
s'installèrent sur les canapés.
- Je suis quand même content que tu sois revenu parmi nous, commença Indy.
- Pas autant que moi, je t'assure.
Indy eut un petit rire.
- Tu sais, quelque part, je me sens plus rassuré par ta présence.
- Eh ben, tout ça ? Tu vas me faire chialer, Jones.
- Bon, alors raconte-moi comment tu as retrouvé ta mémoire.
- Ben, comme je l'ai expliqué à Lara, Tête de Fouine a mené une enquête sur
Lara, afin de la frapper là où elle aura le plus mal.
- Son entourage, donc. Bryce, Winston...
- ... et moi, donc. Je ne sais pas comment, mais il est remonté jusqu'à moi,
et a donc entrepris de me faire souffrir. Il a envoyé une demi-douzaine de
sbires à White Chapel pour me faire la peau.
- Tu t'en es bien sorti, visiblement.
- En fait, l'ancien nouveau Alex s'en est pris plein la gueule pour pas un
rond. Un éducateur préfère le dialogue à la violence.
Indy fut aussitôt pris d'un fou-rire.
- T'as essayé de dialoguer pendant qu'ils te tabassaient ??
- Ouais, mais pas longtemps. Un des coups les plus violents m'a remis les
idées en place... et la mémoire à niveau. Du coup, je me suis souvenu de tout,
je me suis relevé et je les ai fait détaler en pleurant.
- C'est assez hollywoodien, comme scénario, intervint Kurtis en posant les
cafés sur la table basse.
Indy commença par sourire. Mais un regard vers Alex lui fit comprendre que
son ami avait mal pris l'intervention.
- Tu me rappelles qui tu es et ce que tu fous ici, Trent ? demanda Alex avec
une animosité non dissimulée.
Indy préféra intervenir tout de suite.
- Kurtis, s'il te plait, montre-lui. J'ai une totale confiance en lui.
Pour la seconde fois, Trent sortit l'objet de sa poche et le montra à Alex.
Celui-ci siffla lentement.
- Eh bé, joli... C'est une vraie ?
- Oui, évidemment, répondit Kurtis.
- Lara est au courant ?
- Pas encore, non. Mais je compte lui dire.
- Vaudrait mieux, oui. Et que vient foutre la CIA dans ce bordel ?
Kurtis rangea sa carte en soupirant.
- La même chose que vous, évidemment. Ca ne remet pas en question mon aide
et mon honnêteté envers vous.
- La CIA ne roule que pour la CIA...
- C'est souvent le cas, mais je fais partie d'une division particulière. Je
ne suis pas agent secret.
- Tu es quoi, alors ?
- Agent tout court.
- Et ça change que ?
- Que je ne vis pas caché, que je vis sous ma véritable identité, et que,
donc, je n'ai rien à vous cacher.
- Ben on verra ça... Maintenant que je suis de retour, je vais un peu remettre
quelques trucs en place. J'aime pas te voir tourner autour de Lara.
- Eh les gars, stop ! intervint Indy. Assez de testostérones. On doit
s'entraider, c'est vital. Il faut...
L'hôpital se mit soudainement à trembler, et des cris de panique se firent
rapidement entendre. Alex renversa son café sur son pantalon en hurlant de
douleur. Le personnel médical se mit à courir dans tous les sens pour
rassurer les patients. Le calme revint tout aussi soudainement, moins d'une
minute plus tard.
- Un tremblement de terre, fit Indy.
- Fenryr ? demanda Alex, qui s'évertuait à essuyer son pantalon.
- Evidemment. Il faut nous dépêcher. Le temps presse.
- Fais gaffe, Trent va trouver que tu en rajoutes dans le style
hollywoodien...
- Je n'ai rien dit, intervint aussitôt Kurtis.
- T'es très « premier degré », en plus, hein ?
Lara les rejoignit alors. Elle était visiblement libérée, beaucoup plus
sereine. Son visage était encore marqué par le chagrin de la perte de Bryce,
mais elle avait retrouvé son envie. Winston vivant, elle pouvait reporter le
deuil de son jeune ami à plus tard.
- Jolie secousse, remarqua-t-elle. Faudrait passer la vitesse supérieure,
maintenant.
- Décidément... fit Alex.
Lara jeta un coup d'oeil à la braguette inondée de son ami.
- Je sais que tu es content de me revoir, West, mais quand même ! Nous
sommes dans un hôpital.
Sans attendre de réponse, elle leur tourna le dos et se dirigea vers la
sortie. Alex la gratifia d'une grimace énorme et la suivit, accompagné
d'Indy et de Kurtis.
***
Indy amena un tableau blanc et se mit
devant. Lara, Alex et Kurtis s'installèrent dans les canapés.
- Bien, fit Indy. Il n'est pas inutile de faire un petit résumé, que ce soit
pour Alex ou pour nous. Donc, nous savons que les évènements climatiques
sont d'origine mystique. Un Géant de la mythologie scandinave, fils de Loki,
menace de se libérer de sa prison, dans le but de rejoindre Asgard, en
passant par Midgard. Autrement dit la Terre. Ca va ?
- Jusque-là, oui, fit Alex.
- Bien, Loki, dieu du chaos, a été expulsé d'Asgard voilà des milliers
d'années, et il s'est « retrouvé » en simple mortel sur Midgard. Récemment,
il est devenu l'armateur norvégien Lorsenn. Son but a toujours été de
retourner en Asgard, et tous les moyens ont été bons pour y parvenir.
- Jusqu'à faire tuer le conservateur du musée, puis le tueur, fit Kurtis.
- Voilà. Et il y est parvenu, avec notre aide. Nous sommes allés en Asgard,
et Lorsenn nous a alors expliqué qu'il avait atteint son unique but et que,
soulagé, il allait nous aider. Nous savons maintenant que son but est
d'obtenir la corde afin de prendre le contrôle de son fils, tout en essayant
de nous faire croire que seul Tête de Fouine veut nous trahir.
- C'est d'un compliqué... soupira Alex.
- T'as pas mis longtemps à redevenir « toi », remarqua Lara.
- Ahah ! Humour !
- Nous connaissons précisément les ingrédients nécessaires à la création
d'une nouvelle corde, reprit Indy. Grâce à Thor, ils sont devenus «
terrestres », et nous en avons déjà trois : le Pas Silencieux du Chat, la
Racine de la Montagne et la Salive de l'Oiseau. Donc il nous en reste trois
à trouver : la Barbe de la Femme, le Tendon de l'Ours et le Souffle du
Poisson. Le Tendon de l'Ours est une pépite d'or légendaire située dans les
Rocheuses. J'ai fait des recherches ces derniers jours, et j'ai trouvé le
Souffle du Poisson. Il s'agit d'un coquillage polynésien, conservé dans le
musée de Nouméa. Par contre, je bloque vraiment sur la Barbe de la Femme...
- Il faut absolument trouver, et rapidement, fit Lara.
- Sauf que personnellement, je n'ai même pas le début d'une idée. Kurtis?
- Non plus, désolé. C'est vraiment trop obscur.
Indy alla s'asseoir dans le canapé, en soupirant de dépit. Alex le regarda,
puis regarda Lara et Kurtis, avant de revenir sur Indy.
- Tu me demandes pas mon avis ? s'étonna-t-il.
- Excuse-moi, Alex, je ne voulais pas faire comprendre que tu ne pouvais pas
trouver. Simplement, comme tu es « nouveau » sur l'histoire, je pensais que...
- C'est une petite statue exposée au Kunsthistorisches Museum , fit Alex,
interrompant son ami.
Indy et Lara levèrent soudain la tête et regardèrent Alex d'un air surpris.
- C'est à Vienne, en Autriche, précisa-t-il.
- Je sais où se trouve ce musée, Alex, mais j'aimerais savoir d'où tu sors
ça, s'il te plait, répondit Indy.
- Par simple déduction.
- Nous t'écoutons.
- Bon, que cherchons-nous ? La Barbe de la Femme. Décomposons l'expression
en commençant par la fin. Femme. En norvégien, ça se dit « Kjinne ». Avec
l'accent, ça se rapproche grandement de « Wien », soit Vienne, en anglais.
Indy et Lara ne parlaient pas, totalement abasourdis. Kurtis suivait la
démonstration avec intérêt.
- Passons à la première partie, continua Alex sans se démonter. « Barbe » se
dit « Skjegge » en norvégien. Pas terrible. Mais c'est parce qu'on ne
traduit pas dans la bonne langue. Puisque nous sommes maintenant à Vienne,
traduisons en allemand. On obtient « Bart ». Qui a pour cousin étymologique
le mot « barbare ». Donc, pour moi, la Barbe de la Femme est en fait le
Barbare de Vienne. Une petite statue. Très moche, entre parenthèses.
Après un long silence abasourdi, Indy se posa les mains sur la tête avec un
air catastrophé. Lara se contenta de hausser les épaules d'un air blasé.
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