Chapitre 1
Pratiquement un an s'était écoulé depuis la
fin de l'Assemblée et de l'association West/Croft/Jones. Le printemps
commençait juste, et la température devenait douce comme le soleil se
faisait plus présent. Lara Croft avait passé un hiver ennuyeux, et avait
plusieurs fois résisté à la tentation de partir à l'aventure. Mais elle
était restée au manoir, morne et démotivée. Le vol était presque arrivé à
point... Si la jeune femme avait oublié le but de l'opération et le vol d'un
livre, comme l'avait prédit Winston, elle ne risquait pas d'oublier
l'humiliation que lui avait fait subir la voleuse. Même si son bras était
parfaitement ressoudé et pleinement opérationnel, elle ressentait encore des
séquelles morales.
C'est pourquoi, dès l'arrivée des beaux jours et la confirmation de la
guérison complète de son bras, Lara s'était lancée dans un entraînement
intensif, à la limite de la torture physique. Tout y passait : parcours du
combattant, musculation, boxe et arts martiaux, natation, équitation, etc.
Elle semblait infatigable, tant la rage qu'elle ressentait envers la voleuse
lui donnait des forces. Winston, habitué de l'intransigeance de sa jeune
maîtresse dans ces cas-là, se contentait de la suivre à distance, répondant
à ses besoins avant qu'elle n'ait pu les formuler. Petit à petit, Lara se
concentra sur l'activité sportive, oubliant peu à peu l'origine de sa
motivation.
Un matin, alors que la campagne anglaise peinait à se réveiller et qu'un
pâle soleil commençait juste à émerger à l'horizon, sur une nappe de brume,
un énorme rugissement retentit dans le manoir, déchirant le rideau de
tranquillité et de silence qui baignait les environs. Réveillé en sursaut,
Bryce fit un bond qui l'emmena se cogner contre le plafond de sa caravane.
Il retomba en gémissant et en se tenant le front. Le rugissement devenait
régulier, mais sans perdre de son intensité. En maugréant, le jeune homme
sortit en pantoufles et en pyjama pour voir de quoi il retournait. Sans
surprise, il tomba sur Lara, assise sur son quad. Elle était en tenue
d'entraînement, assez légère malgré la température. Elle avait les cheveux
attachés en queue de cheval et ses lunettes de soleil sur le nez. Elle
donnait des coups d'accélérateur de temps en temps, faisant rugir le moteur.
Bryce s'approcha, les mains plaquées sur les oreilles.
- T'as pas l'impression qu'il est un peu tôt, là ? hurla-t-il pour couvrir
le bruit des vrombissements.
Lara lui fit un clin d'oeil par-dessus ses lunettes noires.
- Tu tombes bien, mon chou ! Va m'ouvrir la porte du circuit !
- J'suis pas ton larbin, Lara.
- Mais si tu l'es ! fit-elle en souriant. Au boulot !
En maugréant, Bryce s'exécuta et ouvrit la porte du circuit. Lara fit bondir
aussitôt son quad à l'intérieur. Elle fit un premier tour d'échauffement,
puis un second chronométré : le temps était ridicule, bien loin de ses
meilleures performances. Elle pesta contre elle-même et contre son
appréhension bien légitime à utiliser son bras droit. Elle se força au
calme, tentant de se convaincre que son bras n'était cassé que dans sa tête.
Puis elle redémarra. Elle fit de nouveau plusieurs tours à pleine vitesse,
enchaînant descentes, montées, virages serrés, sauts, freinages et
accélérations, ou dérapages contrôlés. A chaque passage, elle améliorait son
temps et finit par s'arrêter sur la ligne de départ, enfin satisfaite. Un
deuxième quad entra alors dans l'arène, et se positionna juste à côté du
sien, face à la piste. Elle regarda le pilote et lentement, un sourire
s'afficha sur ses lèvres.
- Alors, petite fille, on fait mumuse ? demanda Alex West en souriant.
Lara ne répondit pas, se contentant de regarder le panneau lumineux
affichant son meilleur temps. Alex suivit son regard.
- C'est pas mal, pour une femme... admit-il. Tu dois être à deux ou trois
secondes derrière mon meilleur temps...
La jeune femme baissa légèrement ses lunettes noires et regarda son ami
par-dessus, droit dans les yeux. Il lui répondit par un clin d'oeil.
- Dix tours, West, dit-elle enfin. Cinq cent dollars. Cinq cent de plus si
tu bats mon temps.
- Chérie, tu exagères ! Je n'aime pas te faire pleurer...
Lara fit vrombir le moteur.
- T'as peur pour ton orgueil de mâle ?
- Ok, je suis prêt... Tu jettes ta petite culotte pour donner le départ ?
Lara lâcha les freins : le quad bondit sur la piste, aussitôt poursuivi par
celui d'Alex. Dès le premier virage, ils surent à quoi s'en tenir. Leurs
niveaux étaient équivalents, et la course devint très dense avant la fin du
premier tour. Ils concourraient à la limite de la sportivité, prenaient la
tête à tour de rôle, sans hésiter à se pousser. Lara, plus légère que son
adversaire et plus habituée à la machine, possédait une meilleure vitesse de
pointe, mais Alex était bien meilleur pilote. Ainsi, le terrain qu'il
perdait en ligne droite, il le reprenait dans les virages, grâce à une
technique plus affûtée. La course devint une compétition, où tous les coups
devinrent permis. Après neuf tours, ils étaient toujours au coude à coude.
Le dixième et dernier tour fut comme les précédents, mais lors du virage
final, Lara fit une manoeuvre plus que litigieuse : se trouvant dans la
courbe intérieure, elle ne tourna pas tout de suite, forçant Alex à
continuer également tout droit pour éviter le choc. Quand il se rendit
compte qu'il était trop tard pour prendre le virage, il freina. Le quad fit
un dérapage dans la boue, avant de se planter violemment dans la haute haie
qui entourait le circuit. L'impact le désarçonna, et il plongea dans la
boue. Lara, arrêtée derrière la ligne d'arrivée, regarda en souriant son ami
se dépêtrer. Il s'approcha, visiblement en colère, en s'essuyant tant bien
que mal le visage.
- Bien, très drôle ! fit-il.
- Tu n'aurais pas gagné de toute façon, répondit-elle.
- On le saura jamais... Match nul !
- Que dalle, West ! J'ai gagné ! Ma manoeuvre était réglo, et tu me dois cinq
cent billets. (elle regarda le tableau lumineux) mille.
Alex secoua tristement la tête et retourna vers sa machine, sans un mot.
Lara en fut troublée, elle qui s'attendait à une dispute exagérée. D'abord
déçue, elle devint soucieuse quand elle vit son ami sortir du circuit au
guidon du quad. Elle s'élança derrière lui. Ils ramenèrent les engins au
garage. Alex remisa le sien, coupa le moteur et descendit, mâchoires
toujours serrées. Lara lui courut après.
- Allez, West, fais pas la gueule ! Je t'offrirais ta revanche, promis.
Il continuait à marcher. Accélérant le pas, Lara lui passa devant et se
planta devant lui, le forçant à baisser le regard sur elle. Elle se colla
contre lui et lui planta un petit baiser sur les lèvres. Sans effet.
- Suis-moi, fit-elle. On a besoin d'un bon bain ! Je te propose de partager
ma salle de bains...
Elle laissa sa phrase en suspens, puis se détourna. Elle rentra dans le
manoir sans se retourner. Si elle l'avait fait, elle aurait surpris Alex les
bras levés au ciel en signe de victoire, un immense sourire aux lèvres.
***
Alex soupira d'aise : il touchait à ce
qu'il pouvait qualifier de bonheur. Depuis déjà une bonne heure, il était
confortablement installé dans une grande baignoire pleine d'une eau bien
chaude, au milieu d'une mousse odorante. Face à lui, Lara se relaxait de la
même façon, et surtout, dans la même tenue que lui : elle était nue. Alex
sourit.
- Et si tu me racontais ta vie depuis un an, fit Lara, sans aucune illusion
sur la signification du sourire de son ami.
- Oh... Ben comme je te l'avais dit, j'ai traîné mes savates de-ci de-là. Des
petits boulots, quelques tombes pillées, du tourisme... J'ai vivoté, quoi !
- Et tu es revenue parce que tu es en manque d'argent, je parie...
- Non. En manque de sexe, surtout...
Lara leva un sourcil menaçant.
- Oserais-tu me faire croire, West, qu'en un an, tu ne t'es pas levée une
poule quelconque dans les bas-fonds d'une ville quelconque ?
- Euh... Et toi, cette année post-Assemblée, ça s'est OUHHH...
Alex s'interrompit, soudain très nerveux. Il se figea, les dents serrées.
- Du calme, Lara, gémit-il. Enlève ton pied de là, s'il te plait...
- Tu ne m'as pas répondu, West.
- Mais y'a rien à... AIIIIeeee !! Lara, écoute, je... Ouhhhhhhh, ok, ok !! C'est
bon ! J'ai craqué, ok ? Enlève ton pied, tu me stresses...
- Combien de fois tu m'as trompée ?
- Mais c'est pas de la tromperie, on sort pas ensemble ! Tu n'as pas
ààààààaaahhhhh... ok !! Quatre fois, ça te va ? Ouillleee !!!! Lara, merde!
Six fois, je te jure que c'est tout, merde !
La jeune retira son pied et ramena sa jambe. Alex, qui venait de se prendre
une bonne suée, soupira.
- T'es dure en affaires, Croft... gémit-il.
- Dans ces cas-là, oui. Quant à toi, je doute que tu sois dur dans les
minutes qui viennent...
- Très drôle, oui vraiment, hilarant. Mais tu risques de pâtir toi aussi de
cette incapacité...
- J'y survivrais.
Ils restèrent silencieux un moment, profitant du bain.
- Tu es venu juste pour coucher avec moi ? demanda soudain Lara.
Alex sursauta, méfiant, épiant le mouvement des jambes de son amie.
- Pourquoi tu demandes ça ?
Lara soupira.
- Je m'emmerde. Je me suis assez reposée, il me faut de l'action... (elle se
redressa soudain, augmentant la nervosité de son ami) dis-moi que tu
m'apportes une super histoire !
Elle avait lâché cette dernière phrase sans y croire, attendant qu'Alex
réponde spontanément par la négative. Pourtant il resta silencieux.
Surprise, elle le regarda avec insistance.
- J'ai peut-être quelque chose, en effet... finit-il par dire.
Elle attendit, se retenant de ne pas lui sauter dessus pour le faire parler.
Elle commençait déjà à perdre patience quand elle se mit à frissonner.
- Sortons ! fit-elle. On discutera de ça autour du thé.
- Ok, sors, je te suis...
- Tu ne changeras jamais, pas vrai ?
- Non. Allez, montre tes jolies fesses !
***
Une fois rhabillés, ils se retrouvèrent
dans un petit salon, proche du bureau du père de Lara. Winston avait déjà
amené le thé et les biscuits, et les deux amis s'étaient installés
confortablement dans des fauteuils profonds.
- Alors ? demanda la jeune femme, n'y tenant plus.
- J'ai reçu un télégramme, qui me demandait de venir te voir pour te parler,
attaqua Alex.
- De qui ?
- De ton deuxième papa...
Lara rougit jusqu'à la racine des cheveux, ce qui fit ricaner Alex.
- Indiana Jones ? proposa-t-elle, confuse.
- Lui-même. Sois pas gênée, je connais un peu la nature de votre amitié.
- Enchaîne, West ! dit-elle sèchement.
- Il n'est pas venu lui-même, car il est très occupé par cette affaire. Et,
parano comme il est, il était contre le téléphone.
- Au fait, West, au fait !
- Il sent le très gros coup... Perso, je suis moins convaincu.
- Normal, tu es moins intelligent que lui. Tu vas me dire de quoi il s'agit
ou je dois te refaire le portrait ?
Alex sourit, amusé par l'impatience de son amie.
- Bon, pour faire simple, disons que plusieurs vols ont eu lieu dans
différentes grandes bibliothèques nationales. Paris, New York, Sydney, Tokyo
et Moscou.
- Des livres ?
- Oui, des livres. Mais, là où ça commence à devenir intéressant, c'est que
ces vols ont eu lieu le même jour !
- Etrange en effet... C'était quoi, comme livres ?
- Justement, personne ne sait, car personne n'en a parlé. Les pertes ne
s'élevaient pas à plus de deux cents billets par bibliothèques. Autant dire
rien du tout. Résultat, les presses locales n'ont pas relayé ces vols et les
livres sont passés directement à la case « pertes et oublis ».
- Et Jones s'est lancé dans une enquête à partir de ces éléments ?
- Oui. Tu vois, c'est pas très sérieux ! Je soupçonne un prétexte pour te
revoir, Lara !
La jeune femme sourit et porta la tasse à ses lèvres. Elle prit une gorgée
de thé... qu'elle recracha aussitôt.
- Trop chaud ? demanda Alex.
- Vol de livres ! s'écria-t-elle.
- Euh... oui...
- Quand ont-ils été volés ?
- Y'a quatre semaines.
- Je me suis cassé le bras, il y a quatre semaines.
Alex la regarda comme si elle était devenue folle.
- Hein ? C'est quoi le rapport ? Comment veux-tu que je te suive si tu
changes de sujet en deux secondes ?
- En fait, c'est une voleuse qui m'a cassé le bras. Net.
Alex sirota une gorgée de thé.
- Si tu me le dis, c'est qu'elle n'a pas volé tes splendides soutien-gorges...
Un livre, alors ?
- Dans la bibliothèque de mon père, oui.
- Si je te suis bien, tu as la prétention de croire que ton petit manoir
anglais recèle - pardon, recelait - un livre susceptible d'intéresser les
mêmes gens qui ont organisé un vol d'envergure mondiale dans les plus
grandes bibliothèques nationales ?
- Exactement.
Interloqué, il se tut. Lara poursuivit.
- Mon père a su amasser pas mal de trésors littéraires au cours de sa vie.
C'était sa passion. Il possédait quelques oeuvres très rares dont beaucoup de
grandes bibliothèques auraient rêvé.
- Bon, admettons, reprit Alex après un moment. Ton livre est lié aux autres.
Des gens volent en même temps différents livres dans le monde entier...
- Donc ces livres ont un point commun, termina Lara.
- Le plus simple serait de penser qu'ils traitent tous d'un même sujet. Quel
livre on t'a volé, ma belle ?
Lara allait pour répondre quand elle se rendit soudain compte qu'elle
l'ignorait. Submergée par sa colère, par sa douleur et par l'entraînement
intensif, elle avait complètement oublié de demander le résultat de
l'investigation de Bryce. Elle tira la langue à un Alex hilare et décrocha
son portable.
- Bryce, mon chou, ramène tes fesses par ici, et amène le résultat de ta
recherche sur le vol du mois dernier. Au bureau de mon père.
Elle raccrocha avant de lui laisser le temps de se plaindre. Bryce arriva
quelques minutes plus tard. Lara tendit la main pour attraper le papier,
mais rien ne vint. Surprise, elle se tourna vers le jeune homme.
- Tu ne l'as pas écrit sur un papier ? s'étonna-t-elle.
- Euh... non...
- Tu l'as retenu par coeur, tu t'en souviens encore ?
- Euh... non.
- Bryce ?
- C'est que, en fait... c'est Winston qui...
- Bryce...
- Tu vas rire, tu vas voir, c'est...
- BRYCE...
- Ok, on a pas pris la peine de chercher.
Lara sentit une intense colère monter en elle. Silencieuse, elle se força au
calme, afin de ne pas exploser.
- Et pourquoi ? fit-elle d'un ton glacial.
- C'est que... Enfin, je veux dire... Winston croyait que c'était juste une
lubie après ton problème avec la voleuse.
Bryce avait parlé très vite, comme si les mots lui brûlaient la langue. Lara
continua à le dévisager en silence, hermétique.
- Je... Je dois aller chercher ce livre ? demanda Bryce.
Il sortit en courant de la pièce, évitant de justesse la chaussure de Lara
lancée avec force.
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