Chapitre 3
- Eh, doucement !!!
- Arrête de te plaindre, West !
Lara termina le noeud de cravate d'Alex. Elle serra le tout, lissa le costume
avec les mains et termina d'arranger son « homme ». Elle tourna la tête vers
Indy et jeta un oeil critique, mais la classe n'était pas la même : le
costume lui allait à ravir.
- Bien, vous êtes parfaits ! finit-elle par admettre.
- Et toi, t'es encore en peignoir, remarqua Alex. Ce qui n'est pas pour nous
déplaire, mais bon...
- Oui, je vais me préparer. Attendez-moi, j'en ai pas pour longtemps.
Elle les quitta pour s'enfermer dans la salle de bains de l'une des deux
chambres d'hôtel qu'ils avaient pris dans le centre de Sydney. Elle ferma à
clef derrière elle si bruyamment que les deux hommes y virent un message
clair. Ils se sourirent d'un air complice.
- Alors, Lara et toi, ça a l'air de bien se passer... commença Indy en
s'approchant du mini-bar.
- Oui, c'est vrai... On peut dire ça. Nous ne sommes pas un couple comme les
autres. La preuve : deux chambres dans cet hôtel, mais une pour elle seule
et l'autre pour les deux hommes...
- Oui, en effet. Mais c'est un avantage, quelque part : vous ne risquez pas
de vous lasser l'un de l'autre.
- C'est pas faux. Néanmoins, parfois, j'aimerais qu'on évolue un peu plus...
- Et vers quoi ?
Alex sourit et lança un petit paquet à son ami. Indy réceptionna souplement.
Il ouvrit l'écrin et découvrit une somptueuse bague sertie de diamants
brillants. Il referma délicatement et la rendit à Alex, qui la rangea dans
sa poche.
- Tu es sûr de toi ? demanda Indy.
- Pas du tout, non. D'autant qu'elle n'est pas très bijoux...
- Et tu t'es endetté sur combien, pour ça ?
Alex s'esclaffa.
- Quelques dizaines de mois... Mais peu importe !
- Ne te précipite pas trop.
- T'inquiète pas, Jones. J'attendrais la fin de cette histoire, minimum.
- Tu y crois, maintenant ?
- Non, mais je vous suis et je vous aide.
- Tant mieux.
- Mais je le sens mal, ce truc. J'ai un mauvais pressentiment.
- Bois, ça passera !
Indy lui tendit un verre de whisky en riant. Ils trinquèrent en attendant
leur amie.
Lara ressortit de la salle de bains près de deux heures après y être entrée.
Elle portait une jupe serrée et un chemisier blanc sous un tailleur très
strict, ainsi que de fines chaussures à talon, deux longues boucles
d'oreille et une paire de lunettes sobre. Elle s'était également légèrement
maquillée et avait attaché ses longs cheveux en chignon. Une version de Lara
ultra-féminine.
- La classe...murmura Indy.
- La super classe... renchérit Alex en soupirant.
Lara accepta les compliments en tapotant délicatement son chignon et en
réajustant ses lunettes de façon élégante.
- Bon, voilà le topo, fit-elle. Je suis une agent d'assurances embauchée par
un milliardaire qui a été volé. Celui-ci, ayant appris la mauvaise fortune
de Banks, m'a envoyée pour obtenir des renseignements sur le livre volé,
ainsi que sur la police d'assurance utilisée, etc... Vous êtes mes «
assistants ». Mes gardes du corps, quoi... On est bien d'accord ?
Alex s'esclaffa.
- Aucune chance qu'il gobe un truc pareil !
- En effet, intervint Indy, mais ce n'est pas le but. S'il est impliqué, il
ne pourra pas prendre le risque de se dévoiler. Il sera obligé de donner le
nom du livre et de se comporter comme si Lara était vraiment ce qu'elle aura
prétendu être !
- J'ai rien compris.
- Pas grave ! Allez, feu !
Lara agrippa son attaché-case et sortit de l'hôtel, suivie par ses deux
amis. Ils s'étaient débrouillés pour être le plus près possible de la tour
de bureaux du richissime magnat de la presse. En l'occurrence, ils n'eurent
qu'à traverser une immense avenue avant d'entrer dans le bâtiment de verre.
D'un pas décidé, Lara se présenta à l'accueil, devant une hôtesse qui
respirait l'amour de son métier.
- Miss Croft, fit-elle d'un ton sévère, à peine forcé tellement elle
ressentait une antipathie spontanée envers l'hôtesse. J'ai appelé pour voir
M. Banks.
- Un instant, je vous prie, répondit la jeune femme.
Elle décrocha le combiné de son standard téléphonique et appuya sur une
touche.
- Karen ? fit l'hôtesse. C'est Julia. Ca va ? Oui... Oui... Oh, m'en parle pas !
Quoi ?... Si, hier ! Faudra que je te raconte ça, c'était incroyable !... Oui...
tu m'étonnes !... Ah, tu vois ? J'en étais sûre ! Je te l'avais pas dit ?...
Hein ?... C'est clair... Tiens, tu connais pas la dernière ?... Il parait que...
AAHH !
L'hôtesse sursauta, lâchant le combiné de peur : Lara venait de poser sa
mallette sur le comptoir en la claquant si fort que toutes les personnes
présentes dans le hall se retournèrent vers l'accueil. Le silence se fit.
Lara affichait un air neutre, mais regardait l'hôtesse droit dans les yeux.
Le message étant extrêmement clair, la jeune femme ramassa le combiné.
- Karen ? J'ai Miss Croft pour le patron. Elle dit avoir rendez-vous... Très
bien, merci.
Elle raccrocha et se tourna vers Lara avec appréhension.
- Je dois vous demander une pièce d'identité, madame, fit-elle timidement.
Sans décrocher une seule parole, Lara sortit son faux passeport, au nom d'Angelina
Croft. Bryce le lui avait fabriqué, au cas où. Bien sûr, elle n'avait pas
pris le risque de rentrer dans un pays étranger avec un faux passeport. Mais
dans ce cas précis, une hôtesse d'accueil terrorisée était beaucoup moins
regardante que les douaniers australiens. D'ailleurs, la jeune femme ne
regarda même pas le passeport, et se contenta de tendre un badge « visiteur
» à Lara, en échange.
- M. Banks vous attend, madame, fit-elle. Prenez l'ascenseur quatorze et
montez au dernier étage. Bonne visite.
Elle ne reçut aucun remerciement. Lara jeta un coup d'oeil à ses deux amis,
attendant dans le hall, puis se dirigea vers les ascenseurs.
Lara déboucha au 84ème étage dans un couloir chic et sobre, agrémenté de
moquette épaisse au sol et de tableaux sur les murs. L'endroit respirait la
solennité, et Lara avança un peu moins sûre d'elle. Elle déboucha dans un
petit bureau sobre, où elle trouva la secrétaire particulière - Karen - et
un vigile assis sur une chaise, feuilletant un journal.
- Miss Croft, je suppose ? demanda la secrétaire.
Lara acquiesça d'un hochement de tête.
- Il vous attend.
Elle désigna la lourde porte à double battant, que le vigile ouvrit. Elle
entra dans le bureau d'un pas décidé, mais sursauta quand la porte se
referma violemment derrière elle.
Ce qui servait de bureau au magnat de la
presse aurait presque pu servir de gymnase dans un collège anglais. La pièce
avait des proportions hallucinantes, et la « table » en prenait une bonne
surface. Derrière ce bureau hors normes se trouvait Stevenson Banks, un bel
homme d'une petite quarantaine d'années, vêtu d'un costume à la coupe
impeccable, car sûrement hors de prix. Derrière lui se trouvait une jeune
femme, probablement chinoise, d'une vingtaine d'années, qui aurait pu être
très jolie si elle savait sourire. En la voyant, Lara eut un frisson
incontrôlé, une sensation désagréable, presque viscérale. Elle ne mit pas
longtemps à analyser ce sentiment : elle se trouvait devant la voleuse qui
lui avait cassé le bras. En un instant, Lara comprit que Banks savait qui
elle était réellement, et ne serait donc pas dupe. Comme Alex l'avait
prédit, il était quasiment impossible, de toute façon, de faire avaler une
telle couleuvre à un homme tel que le magnat de la presse australienne. Mais
Lara ne pensait pas partir perdante avant de commencer. Evidemment, elle ne
pouvait plus reculer, et décida donc de jouer la comédie qu'ils avaient
préparée. Sans trahir une seule émotion, elle s'avança vers le bureau : la
guerre des nerfs pouvait démarrer.
- Miss Angelina Croft ! fit Banks, amical. Vous me pardonnerez si je ne me
lève pas pour vous accueillir.
Lara regarda le fauteuil roulant que lui désignait le magnat, et sur lequel
il était assis. Elle acquiesça en silence.
- Prenez un fauteuil, chère amie, et mettez-vous à l'aise. Vous désirez
quelque chose à boire ? Un thé ?
- Whisky, répondit-elle sans hésiter.
- Je n'en doutais pas une seconde.
Il sourit et fit un petit geste à la chinoise derrière lui. Celle-ci quitta
Lara des yeux pour s'approcher du bar, dans un coin de la pièce. L'animosité
entre les deux femmes était presque palpable.
- Je vous présente Ling Li, dit Banks, qui visiblement s'amusait de la
tension. C'est ma garde-malade, mon bras droit, bref, ma «
femme-à-tout-faire ». Elle m'est indispensable.
- Elle a l'air d'avoir un tas de talents cachés, en effet... confirma Lara.
Banks savoura l'ironie sous-jacente en hochant la tête.
- Votre état... reprit Lara. Accident de voiture ?
- Mine anti-personnel, répondit-il en soulevant une jambe vide de son
pantalon. Souvenir de mes débuts en tant que grand reporter.
- Je vois... Je me suis cassée le bras, récemment...
Lara faillit se mordre les lèvres de regrets : l'attaque était bien trop
directe. Heureusement, Banks ne sembla pas relever. Pas plus que la
chinoise, qui revenait avec le verre de whisky.
- Alors dites-moi, Miss Croft : que me vaut le plaisir de ce rendez-vous ?
Lara sirota quelques gorgées du breuvage. Elle venait de prendre une grave
décision, la même qu'avec le jeune stagiaire de Tokyo : dire la vérité.
- Et bien je suis la fille d'un Lord anglais, qui possède dans son manoir
une belle collection de livres anciens et rares. Hors on a volé un de ces
livres. Fait encore plus étonnant, d'autres ouvrages ont été volés en même
temps, un peu partout sur la planète. Dont un chez vous, M. Banks.
- C'est exact, et alors ?
- Alors je cherche un lien entre ces différents vols, donc ces différents
livres.
- Je ne veux pas parler au nom des autres, mais mon livre n'a aucun lien
avec les autres.
- Vraiment ? Quel est ce livre ?
- Un livre sans aucune valeur marchande. Juste sentimentale.
- Je vous demandais son titre. Est-ce indiscret de vous le demander ?
- Non, pas du tout. Il s'agit d'un vieil exemplaire d'une des aventures de
Babar, que j'ai avec moi depuis mon enfance. C'était une version standard,
donc sans aucune valeur pour les collectionneurs.
Lara serra les dents, sous l'effet de la colère. Banks se moquait
ouvertement d'elle, avec un aplomb qui rendait impossible toute réponse
cinglante. Ils se toisèrent un moment, le magnat de la presse répondant par
un petit sourire au regard pénétrant de la jeune femme. Elle termina son
verre.
- J'ai dû faire fausse route, alors... fit-elle en rendant le verre à la
chinoise.
- Certainement, oui, j'en suis désolé.
Lara prit une profonde inspiration et se leva. La chinoise s'approcha
aussitôt de la double porte.
- Je ne vous raccompagne pas, Miss Croft, fit Banks.
- Inutile en effet. Au plaisir...
- Bien entendu.
Elle lui tourna le dos après un dernier regard et sortit. Ultime
humiliation, la chinoise la raccompagna jusqu'à l'ascenseur, et resta
jusqu'à la fermeture des portes. Elle déboucha furibonde dans le hall
d'entrée. En la voyant arriver, Indy et Alex se consultèrent du regard, puis
la suivirent sans un mot. Aucun d'eux n'osa interroger la furie qui quittait
la tour. Ils retournèrent jusqu'à leur chambre d'hôtel, où Lara put enfin
laisser exploser sa frustration.
- Il s'est foutu de ma gueule ! hurla-t-elle en défaisant rageusement son
chignon. J'l'ai senti, c'était cette salope ! J'ai dû jouer franc jeu, il
sait, maintenant ! C'est lui ! Et pourtant il est para' !
- Euh, Lara... réussit à intervenir Indy.
- Quoi ?? Vous n'êtes pas d'accord ??
- C'est pas ça, mais...
- Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais quand tu es en colère,
continua Alex en souriant.
Lara le foudroya du regard, puis comprit soudain : elle avait commencé à se
changer et se trouvait maintenant en culotte et soutien-gorge devant ses
amis. Sa colère se transforma en fureur.
- Et alors ??? hurla-t-elle. On couche ensemble, non ? Et Indy a cent ans,
il a déjà vu des nanas à poil, je suis sûre !
Sans attendre de réponse, elle se rua dans la salle de bains et claqua
violemment la porte derrière elle. Les deux hommes restèrent un moment
silencieux.
- T'as compris quelque chose, toi ? demanda Alex.
- Non. Mais on aura le temps de savoir une fois qu'elle sera calmée !
***
Pour la seconde fois en moins d'un an, Lara
Croft débarqua à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Pas spécialement
amoureuse de la France, encore moins des français, elle aimait beaucoup
Paris. A tel point qu'elle se permettait de visiter le Louvre en nocturne.
Cette fois, elle venait dans la plus belle ville du monde pour une visite
parfaitement légale. Elle sortit du terminal et entra dans un taxi.
- A la bibliothèque François Mitterrand, s'il vous plait, dit-elle en
français, avec son fort accent anglais.
Le chauffeur la regarda intensément dans son rétroviseur. Et pas que dans
les yeux. Lara le classa d'office dans les français « lourds ». Tout le
monde ne pouvait pas être Beauchamps. Le taxi démarra et avant qu'il ne
s'engage sur l'autoroute menant à Paris, Lara somnolait déjà. Les voyages et
le décalage horaire commençaient à se faire ressentir. Elle se réveilla
lorsque le taxi quitta prématurément l'autoroute. Elle demanda pourquoi : le
chauffeur lui répondit une phrase incompréhensible pour une non-francophone.
La jeune femme le soupçonna d'utiliser sciemment de l'argot. Elle se
rasséréna quelque peu lorsque le taxi s'arrêta dans une station service et
que le chauffeur coupa le compteur : il avait juste besoin de faire le
plein. Il sortit. Lara le regarda se diriger vers les caisses, avant de se
servir en essence. Il finit par disparaître de son champ de vision. Elle
resta seule dans le taxi et commença de nouveau à piquer du nez, bercée par
le ronflement de l'autoroute toute proche. Elle lutta pour ne pas dormir et
regarda sa montre. Déjà cinq minutes, et le chauffeur n'avait toujours pas
commencé à remplir son réservoir. Elle sentit la colère monter en elle quand
elle remarqua un détail loufoque : les clefs étaient encore sur le contact.
Etonnant qu'il n'en ai pas besoin pour ouvrir le réservoir, mais ça restait
plausible. Néanmoins prise d'un doute, elle se pencha en avant et tourna la
clé. Le tableau de bord s'alluma et l'aiguille du niveau d'essence sauta
jusqu'à son maximum.
- Tu t'arrêtes dans une station service alors que ton taxi n'a pas besoin
d'essence et qu'en plus, tu es en pleine course... murmura-t-elle.
Soudain prise d'un doute, elle attrapa ses affaires et sortit du taxi. Elle
s'en éloigna en courant, juste à temps : la voiture explosa, emportant avec
elle toute la station essence. Lara fit un bond d'une bonne dizaine de
mètres, projetée par le souffle de l'explosion. Groggy, elle se releva
difficilement pour constater que les flammes n'allaient pas tarder à
atteindre les réservoirs d'essence. Elle repartit en courant dans la
direction opposée. La seconde explosion, plus forte, la coucha de nouveau.
D'intenses volutes noires s'élevaient dans le ciel. Elle se remit debout et
s'épousseta en regardant le paysage apocalyptique qui s'offrait à elle.
Puis, en soupirant, elle décrocha son portable.
- Indy ? Tu devineras jamais quoi...
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