Chapitre 2 - Les joies de l'imprévu
Assise droite comme un i
sur son siège (sa mère le lui avait appris lorsqu'elle avait 6 ans), Lara
ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Elle essaya de se détendre,
mais sa tentative fut rapidement interrompue par un toussotement :
- Hum, excusez-moi Lara, mon siège est à côté du vôtre, je vais devoir vous
demander de vous lever s'il vous plaît.
Elle n'avait pas encore remarqué à quel point Kev était grand, debout devant
elle, l'air embarrassé. Il devait être métis, et ses grands yeux bruns
semblaient la fixer avec une insistance mêlée à de la sympathie. Il avait
l'air d'être ce genre de personnes auxquelles on peut se fier. Un petit
sourire permanent au coin de sa bouche renforçait ce sentiment.
- Le hasard fait bien les choses on dirait, dit gentiment Lara avant de se
lever non sans peine, qu'elle tenta de dissimuler aussitôt.
Elle n'aimait guère avoir l'air paresseuse. Kev passa devant elle avec
hésitation et s'affala dans son siège, cognant au passage les jambes de la
personne derrière lui. Il n'en s'en rendit même pas compte.
Alors que Lara s'était assise à son tour, Kev sortit de son sac un carnet de
notes. Celui-ci contenait des dessins de toutes sortes, dont un qu'il
s'empressa de cacher. Lara, mue par une curiosité mêlée d'inquiétude, lui
demanda de quoi il s'agissait.
- Absolument rien, c'est un dessin que j'ai fait comme ça, pour passer le
temps, sans vraiment y prêter attention.
- Étrange, murmura Lara, visiblement insatisfaite de la réponse.
Kev commença à dessiner un
paysage côtier, avec un début de coucher de soleil. Mais notre aventurière
préférée n'eut guère l'occasion de suivre l'ébauche du dessin jusqu'à son
terme, car elle plongea dans un profond sommeil, rempli de rêves bizarres et
insensés. Sa sieste s'interrompit en même temps que les moteurs rugissants
de l'avion. Tant mieux, au moins elle n'avait pas vécu l'angoisse du vol et
elle en était bien contente. Elle était même fort étonnée de s'être endormie
aussi vite, mais elle se dit que cela devait venir de son inquiétude
permanente et de sa nervosité depuis quelques temps, qui la fatiguaient
énormément.
Elle avait rendez-vous avec Caroline Satilana, qui l'attendait déjà non loin
de Plao Sieng, dans un bureau improvisé par elle et son équipe
d'archéologues dans une énorme hutte près du fleuve Krang Knô. Dès l'arrivée
de Lara, elle mobiliserait quelques uns de ses employés pour escorter la
jeune fille jusqu'au temple souterrain, et là ce serait à Lara de prendre
les choses en main, comme elle en a l'extraordinaire habitude.
La porte de l'avion s'ouvrit et quelques hommes firent rouler une
passerelle-escalier jusqu'à sa hauteur. Tout le monde descendit sans trop
d'empressement et en jetant un regard curieux aux alentours. La chaleur
était supportable et l'air assez humide. Mais peu importait le temps, Lara
ne se plaignait jamais. Elle avait une capacité d'habituation hors du
commun. Alors qu'elle descendait la passerelle, Kev lui tapota l'épaule :
- N'oubliez pas votre livret, Lara.
- Oh merci, où avais-je la tête?
Ils posèrent le pied sur le sol vietnamien et se firent face :
- Bon, je suppose que nos chemins se séparent ici. Vers où allez-vous
maintenant? demanda Kev.
- A Plao Sieng, répondit distraitement Lara. Des collèges devraient être en
train de m'attendre à l'entrée.
- Une connaissance m'attendra également dans le hall, allons-y ensemble. Ne
vous en faites pas, après je vous laisserai tranquille !
Satilana avait en effet dit
à Lara, dans le document annexe, d'attendre qu'une jeep vienne la chercher à
l'aéroport. Elle sourit à Kev, resserra la base de sa tresse et le suivit.
Tout comme elle, il portait seulement un sac peu encombrant, à la différence
qu'il avait également une malette à la main, qui devait sans doute contenir
son matériel photographique. Lara avait préféré ranger ses holsters et ses
9mm dans son sac pour n'inquiéter personne. Ils arrivèrent au hall
principal, et Kev jeta un regard attentif autour de lui. Il avait l'air
inquiet.
- Mon ami n'est pas encore arrivé... Il ne devrait pas tarder, du moins je
l'espère. Je vous accompagne jusqu'au parking?
- Volontiers. Je vous remercie, vous êtes vraiment une personne aimable.
- Boh... C'est vraiment un plaisir d'aider une jolie demoiselle, vous savez!
- N'en faites pas trop.
- Ok ok...
Ils sortirent et guettèrent la Jeep, lorsque soudain le portable de Lara
sonna. Elle l'extirpa rapidement de son sac et, avec inquiétude, répondit :
- Allô?
- Lady Croft, c'est Winston. La police vient de m'appeler. Votre manoir a
été cambriolé il y a moins de trente minutes. Les voleurs ont réussi à
s'échapper avant l'arrivée de la police. Ils m'ont prévenu et je me suis
aussitôt rendu sur les lieux. Tout est sens dessus dessous, les tables ont
été retournées, les chaises renversées.
Au fur et à mesure que Winston lui parlait, Lara se sentit de plus en plus
mal. Elle tenta de conserver son sang froid, fronça les sourcils et demanda
:
- Qu'est-ce qu'ils voulaient? S'ils ont tout retourné et rien volé, c'est
qu'ils cherchaient quelque chose.
- Je le sais bien Miss Croft, et c'est ce que la police en a conclu
également. J'ai préféré ne rien leur dire mais...
- Mais quoi, Winston?
- Ils ont volé votre plus précieux artefact, Miss Croft...
Les yeux de Lara s'écarquillèrent. Elle serra les dents pour contenir sa
rage. Essayant de garder les idées claires, elle s'apprêta à donner des
instructions, mais tout à coup les portes arrières de la camionnette à côté
de laquelle elle et Kev se trouvaient s'ouvrirent avec fracas. Deux hommes
forts et armés en sortirent et en un éclair, les saisirent tous les deux et
les poussèrent dans la camionnette, après quoi ils ligotèrent les deux
jeunes avec de solides cordes et fermèrent brutalement les portes avant de
s'asseoir à l'avant. La camionnette démarra précipitamment, balançant de
gauche à droite, telle une grosse tête qui oscille.
Le portable de Lara était resté sur le trottoir, encore allumé, la voix de
Winston, inquiet, appelant sa maîtresse de maison avec une frayeur
grandissante. Une main féminine s'empara du téléphone et monta dans un 4x4
avant de démarrer en trombe.
Seule une petite fenêtre
rectangulaire communiquant entre l'avant et le compartiment arrière de la
camionnette laissait passer un faible rayon de lumière. Lara et Kev étaient
chacun dans un coin opposé de la camionnette. Kev hurla pendant 5 minutes
avant d'abandonner, se rendant compte que les parois étaient hautement
isolées et ne laissaient passer aucun son. Ils ne pouvaient pas voir le
conducteur et son ami costaud qui les avaient enlevés.
- Pourquoi ces enfoirés nous ont-ils kidnappés? demanda Kev, encore
essoufflé.
- Si je le savais, je vous le dirais, répondit sèchement Lara.
- Ca m'apprendra à raccompagner les jeunes filles...
- Hé, qui me dit que ce n'est pas vous qu'ils veulent? Personne n'a de
raison de m'en vouloir. Du moins pas ici...
- Très bien, pensez ce que vous voulez! Je m'en fiche complètement, je n'ai
rien à voir dans cette histoire, et ils auront intérêt à me libérer.
D'ailleurs vous qui faites des miracles, vous n'auriez pas envie de nous
faire sortir d'ici?
- Vous êtes ridicule, Kev! Vous croyez tout ce qu'on vous raconte à propos
de moi, vous pensez que je peux me sortir de toutes les situations, mais
tout est modifié et ça en devient des rumeurs. Ca ne se passe pas comme ça
dans la vie! Vous pensez que c'est facile qu'on raconte partout ce qui
pourrait être arrivé à ma mère? On fait des films, des livres, et même des
jeux video de ma vie. Je passe limite pour une foldingue avec cette histoire
d'Avalon! Et malgré tout je dois continuer mes recherches! Et puis ce
cambriolage, cet enlèvement...
- C'est bon c'est bon, calmez vous Lara! Je n'y suis pour rien et si je
pouvais vous aider, je le ferais, croyez-moi. Mais vous n'avez vraiment
aucune idée de l'identité de nos ravisseurs?
- Non, aucune.
- Bon, attendons qu'ils nous sortent d'ici alors...
Lara soupira, frustrée et révoltée à la fois. Elle réfléchit un instant,
puis se redressa subitement et se mis à genoux. Kev, plus qu'intrigué par ce
manège, demanda :
- Mais qu'est-ce qui vous prend? Que faites-vous?
- Taisez-vous et écoutez-moi bien! J'ai un couteau dans mon sac à dos, mais
vous seul pouvez l'atteindre. Vous allez l'ouvrir avec vos dents et...
- Wow wow wow! Attendez... vous vous baladez avec un couteau comme ça? Je
croyais que vous n'étiez pas...
- La ferme et faites ce que je vous dis! Il est juste à côté de mes 9mm.
- Quoi? Des flingues en plus? Alors c'est pas des rumeurs, ça?
- Vous allez faire ce que je vous dis?
- Oui c'est bon, ok.
Kev se mit lui aussi à genoux et avec ses dents, défit les boucles du sac.
Ensuite il se retourna et, les mains attachées dans le dos, chercha au
hasard à l'intérieur du sac.
- Vous l'avez?
- Attendez... Aïe, mon doigt! C'est bon je l'ai.
Il en sortit le couteau, le tenant par la lame, un doigt en sang, et le
donna à Lara qui venait de se retourner elle aussi et qui l'attrappa par le
manche. Avec des mouvements d'allers et retours très limités, elle finit par
user la corde qui céda. Elle libéra ensuite Kev.
- Ok, et maintenant qu'on peut applaudir et faire des marionettes, on fait
quoi?
Lara balança un coup de poing en pleine figure de Kev qui s'écroula sur le
sol complètement sonné.
- Vous allez commencer par la fermer, que je me concentre.
- Mais vous v'êtes complètement mfalade? gémit-il en se tenant la machoire
des deux mains.
- Sans doute, oui.
A l'aide du couteau, Lara
tenta de crocheter la serrure avec énormément d'application. Mais au fur et
à mesure que s'écoulaient les minutes, l'optimisme des deux compagnons de
route s'amenuisait. Un début de déclic se fit entendre, faisant monter en
flèche leur taux d'excitation. Lara conserva malgré tout son sang froid, car
elle savait qu'en s'emballant même un tout petit peu, elle perdrait son
pénible cheminement à l'intérieur de cette serrure coriace. Sa tentative fut
tout de même interrompue car la camionette freina brusquement, les projetant
vers l'avant du véhicule. Reprenant vite son équilibre, Lara ouvrit
précipitemment son sac et en sortit ses 9millimètres. Elle les braqua vers
la porte en avançant lentement vers celle-ci, avec le soin de faire le moins
de bruit possible, silencieuse et féline.
Lorsqu'elle entendit le cliquetis indiquant l'ouverture fort probable de la
porte arrière, et qu'un fin rai de lumière s'incrusta dans le compartiment
obscur, elle se jeta vers l'avant, les deux pieds les premiers, ouvrant par
un fracas tonitruant la camoniette et envoyant valser les deux mystérieux
ravisseurs, on ne peut plus surpris. Une fois à terre, ces derniers eurent à
peine réalisé ce qui venait de se passer, que leurs propres armes,
habilement subtilisées par Lara, étaient pointées sur eux.
- Alors les garçons, vous allez m'expliquer ce manque de bonnes manières
maintenant?
- Ma mignonne je te déconseille sincèrement de lever le petit doigt, dit le
plus petit des deux, avec un accent anglais parfait.
- Ah oui, et pourquoi donc?
Une trentaine de déclics d'armes chargées résonnèrent tous en même temps
autour de la camionnette. Lara leva lentement les yeux et regarda autour
d'elle. Un énorme groupe d'hommes, des Européens au regard froid, formant un
immense cercle, avaient leurs armes pointées sur la belle.
- Argument très convaincant, dit-elle en jetant calmement ses armes.
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