Chapitre 12
Frank a une sacrée tête de mule. Peut-être autant que
Lara, en fait. Mais étant donné que je la connais depuis moins longtemps, nous
partageons moins de confiance, donc son attitude bornée me semble plus présente. Tout
ça pour dire que Frank n'a pas voulu me raconter sa fuite tout de suite. J'ai
du attendre plusieurs jours avant qu'elle daigne me donner quelques informations,
afin de soulager ma soif de connaissance. Elle a tellement un orgueil imposant : la
petite mésaventure qu'elle a vécu la décourageait de me conter l'histoire.
Enfin... l'essentiel étant que je la connais aujourd'hui. La voici, dans ses
maigres détails.
Frank courait déjà depuis quelques minutes, la tête en l'air, guettant une planque
propice. Dans cette région de la forêt, la pluie s'était mise à tomber. Filtrée
par les feuillages des arbres, seules de petites gouttelettes parvenaient au sol. Une
humidité écrasante s'était emparée du sous-bois, mais la formation de brume
refroidissait grandement l'atmosphère. Malgré l'air frais, la course rapide de
Frank lui donnait chaud. De la sueur perlait à ses tempes ou sur ses bras dénudés,
basanés suite à une longue exposition au soleil.
Elle stoppa soudainement. Levant les yeux, elle sourit, ayant déterminé où elle allait
se cacher. Elle revint sur ses pas de quelques dix mètres, jeta ses lunettes fumées et
son foulard orange par terre, et retourna ensuite à l'arbre. Elle y grimpa
agilement, ses muscles vifs et forts roulant sous sa peau douce. Elle s'assis sur une
branche basse, en faisant tout de même attention afin de bien demeurer cachée par les
feuillages, et laissa pendre ses jambes de chaque côté. Elle attacha ses longs cheveux
noirs avec un bout de tissu trempé. Elle s'étendit contre la branche, ramena son
arme devant elle et entreprit de l'armer. Elle y plaça le silencieux, fixa la visée
laser, et tira quelques coups afin de d'assurer du bon fonctionnement de la
quincaillerie. Ne décelant aucun pépin, elle acheva ses préparatifs et visa à deux
mètres au dessus de ses effets personnels, qu'elle avait laissé au sol pour servir
d'appât. Elle attendit, en silence, sous la pluie.
Deux mercenaires se pointèrent entre les arbres quelques minutes plus tard. Ils
tournèrent en rond quelques minutes dans les environs avant de trouver les lunettes et le
foulard de Franchesca. Cette dernière, prête à faire son travail, retint son souffle
pour ne pas bouger. L'un des assassins s'inclina pour ramasser les objets. Frank
appuya, légèrement mais sûrement, sur la détente de son arme. Le projectile vint
sectionner la colonne cervicale de sa victime. Le mercenaire s'effondra devant son
collègue, ébahi. Ce dernier réagit cependant plus rapidement que Frank ne l'avait
prévu. Il dégaina sa propre arme, un pistolet semi-automatique, et se mis à bouger, à
tourner, à se déplacer, devenant ainsi une cible difficile pour Frank.
Celle-ci décida donc de replacer son arme en bandoulière dans son dos et de dégainer
plutôt un pistolet qu'elle avait piqué à l'un de ses ex-collègues avant de
s'enfuir. Elle y plaça un chargeur, posa sa main sur la branche pour y prendre appui
et se laissa durement retomber au sol. L'ennemi se retourna face à elle. Les deux
tendirent leurs armes au même moment et firent feu. Frank visa directement dans le crâne
et entre les yeux (ou peut-être dedans, elle ne pouvait en être certaine), et son
adversaire lui administra une seule balle sous le sein gauche. Ils s'effondrèrent
sur le dos, dans les feuillages de la jungle.
Environ cinq minutes plus tard, Frank grogna. Elle se redressa sur ses coudes, puis, très
péniblement, sur son séant. Elle jeta un oeil à son agresseur afin de
s'assurer qu'il ne recommencerait pas à la déranger, et commença à
déboutonner sa veste. Elle détacha ensuite sa chemise, et retira finalement son gilet
par balle. Elle observa, amusée, le projectile qui s'y était logé.
- J'ai très bien fait de piquer tous ces trucs dans les caisses d'arsenal de ce
cher Stevens.
Elle jeta le gilet derrière elle, se massant les côtes. Une légère contusion était
visible à l'endroit de l'impact, et un bleu commençait déjà à se former.
Elle se rhabilla et entreprit de se relever. Ses muscles étaient douloureux, aussi se
tint-elle les côtes afin de ne pas trop forcer. Mais étant d'un naturel solide,
elle oublia vite sa douleur. Elle alla ramasser son foulard, qu'elle noua joyeusement
autour de son cou, et plaça ses lunettes fumées dans ses cheveux en guise de passe.
Elle s'assis lourdement sur sa deuxième victime, sans aucun respect, et fouilla dans
ses pantalons cargo afin d'en sortir une barre de chocolat détrempée.
- C'est mieux que rien. T'en veux? demanda-t-elle à l'intention du cadavre
qui lui servait de tabouret.
N'obtenant pas de réponse, elle haussa les épaules et déballa sa barre de
chocolat. Elle se mit à la déguster avidement.
- Tu pense que les autres s'en sont sortis? Personnellement, j'espère bien.
J'ai quand même fait une promesse à la brunette, et je dois la tenir. J'y
tiens. Et puis, le petit aux yeux bleus - T'as vu ses yeux? Des vrais saphirs. - il
est plutôt mignon. T'en pense quoi?
Aucune réponse. Elle donna un coup de talon au cadavre.
- Espèce d'impoli.
Elle termina d'engouffrer sa barre de chocolat, pilla les deux cadavres afin de
récupérer des munitions, et s'en retourna nonchalamment vers la rivière
qu'elle avait quitté en hâte à peine quelques heures auparavant. Elle fredonna un
petit air, marchant en se déhanchant comme à l'habitude. Ses sens étaient aux
aguets, comme toujours. Mais maintenant qu'elle était seule, qu'elle
n'allait pas être dérangée par quoi que ce soit, et qu'elle pouvait
réfléchir à autre chose qu'à une fuite, son attention pouvait être orientée
vers la forêt et ses soubresauts. Frank adorait écouter la nature, percevoir ce
qu'elle voulait dire, prédire quand la pluie allait s'arrêter, quand la brume
allait s'évanouir, quand le soleil allait réapparaître. Elle adorait analyser
l'environnement.
Aussi, dans sa grande concentration, perçu-t-elle trois bruits lointains mais très
distincts. Elle stoppa, afin de mieux entendre. Deux coups de feu, en un premier temps.
Puis un hurlement. Puis le tonnerre qui gronda. Des flashs affluèrent devant ses yeux.
Elle se souvint du bruit que faisaient les pistolets de Lara lorsqu'elle faisait feu.
Elle se souvint de la voix d'Orth. Elle fit les rapprochements.
Elle baissa la tête, chassant son angoisse. Sans doute étaient-ils tous deux en train de
jouer leur vie, tout comme elle avait joué la sienne quelques minutes auparavant. Elle
pressa le pas en direction de la rivière, essuyant son front mouillé par la pluie.
- Servez-vous de vos talents, de vos propres armes. C'est le meilleur moyen pour
s'en sortir. Je vous attend à la rivière dans...
Elle frotta sa montre pour essuyer la condensation.
- ... cinq heures.
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