Chapitre 13
N'ayant pas été sur place pour m'assurer du
contraire, j'ai donc du faire preuve d'une confiance aveugle en Lara
lorsqu'elle me raconta ce qui s'était passé lors de sa propre fuite.
D'ailleurs, elle ne m'a raconté son aventure qu'une fois revenu en
Grande-Bretagne. Peut-être, alors, que certaines situations n'étaient plus
relatées exactement comme elles s'étaient réellement déroulées. Mais voici tout
de même l'ensemble.
Lara s'était enfuit en face, dans les buissons. Peu de temps après la séparation
de notre petit groupe, elle arriva dans un sous-bois très dégagé comparativement à
ceux présents dans l'ensemble de la forêt amazonienne. Le sol était nivelé et
jonché d'épines qui n'entravaient pas trop les mouvements. Les branches des
arbres commençaient à quelques quatre mètres du sol, permettant ainsi d'avoir une
vision plus globale des environs. Puis, la brume se développa, s'étendant sur le
sol telle une nappe ajustée à chaque tronc, à chaque obstacle.
L'endroit insolite ne cadrait pas. Il remémorait plutôt à Lara les forêts de
conifères en Grande-Bretagne, où elle allait parfois faire son jogging matinal. Le vaste
espace du sous-bois facilitait néanmoins sa course. Mais celle de ses poursuivants aussi.
D'ailleurs, ceux-ci débouchèrent à l'extrémité du sous-bois. Lara se rendit
alors compte qu'elle s'était arrêtée, hypnotisée par la beauté de
l'endroit. Elle se maudit d'avoir été influencée par quelque chose
d'aussi bénin, et reprit sa fuite, évitant une salve de fusil automatique en
tournant brusquement derrière un arbre.
La scène suivante se déroula en quelques secondes. Elle perçu quelque chose, en
hauteur, dans son champ de vision. Elle s'élança contre le tronc d'un arbre,
posa le pied dessus à environ un mètre de hauteur, et s'en servit comme d'un
support afin de s'élancer dans les airs, vers les feuillages. Puis, plus rien.
Les deux mercenaires s'étant mis à la poursuite de Lara arrivèrent au pas de
course, le souffle court. Ils stoppèrent, confus, manquant se rentrer dedans. Stevens
s'avança, contemplant Lara, pendue à une liane à quelques mètres de hauteur. La
plante s'était empêtrée sur trois tours, cerclant son cou solidement. Sa tête,
lourde, était inclinée vers l'avant. Sa bouche était légèrement entrouverte, ses
yeux clos, ses bras étendus le long de son corps. Sa respiration semblait s'être
arrêtée, aucun mouvement n'agitait son corps. Stevens s'approcha davantage,
rengainant l'un des pistolets de Lara dans l'étui qu'il portait à la
taille. Il buta contre quelque chose, camouflé sous les épines. Les écartant du bout du
pied, et chassant la brume du revers de la main, il dévoila sa machette, sans doute
échappée par Lara. Il la ramassa, la passa à sa ceinture, et reposa un regard abasourdi
au cadavre de Lara.
- 'Tait pas sensés la tuer?
- 'L'a fait tout seul, crétin... marmonna Stevens. J'aurais seulement
espéré que ce soit pas elle que nous ayons pris en chasse.
- Mich s'rait p't'être contente d'avoir du nouveau linge, commenta le
deuxième mercenaire, songeur.
- T'as raison.
Stevens recula légèrement, dégainant un pistolet. Il le tint à une main, et posa son
poignet sur son autre bras de manière à moins trembler. Il leva son arme, cibla une
liane, et fit feu. Il du s'y prendre trois fois afin de toucher le cordage végétal.
Ce dernier se détacha en lamelles, puis se fragmenta en filaments. La liane céda
finalement, laissant retomber le cadavre de Lara. Elle tomba mollement au sol, coupant la
brume qui la recouvrit partiellement par la suite. Stevens rengaina, fier de lui.
- Comment s'est pendue, la conasse? demanda le mercenaire.
- 'L'a p't'être voulu monter dans l'arbre, et elle est tombée
comme ça, couic! Et s'est cassée la nuque. Sais pas trop.
Se disant, ils se rapprochèrent du cadavre afin d'y prendre les vêtements et autres
trouvailles possibles. L'acolyte de Stevens s'agenouilla devant Lara. À ce
moment précis, cette dernière leva les jambes et pris en étau la tête de
l'assassin entre ses genoux. Plongeant des yeux scintillants dans les siens, elle lui
fit un sourire.
- Je crois que le fantôme revient vous hanter...
Serrant de plus belle, elle pivota sur son séant, envoyant valser la tête de
l'acolyte vers l'entre jambe de son chef. Les temps que les deux idiots se
remettent de la surprise et de l'attaque sournoise, Lara s'était redressée,
poing levés. Stevens leva un pistolet. D'un coup de pied vertical, Lara broya les
jointures de l'assassin et projeta l'arme vers les feuillages. Un cliquetis
métallique derrière elle lui confirma que l'arme devait être retombée au sol.
Mais elle avait d'autres priorités : immédiatement après, profitant du manque
de réaction de ses ennemis, elle enchaîna avec un second coup de pied. Pivotant sur elle
même afin de prendre plus de vitesse et de force, elle sauta légèrement dans les airs
et percuta successivement la joue des deux hommes du revers de la botte. Ceux-ci
titubèrent légèrement. Lara retomba sur ses pieds, bien décidée à terminer
l'affrontement rapidement.
S'assurant que les mercenaires soient légèrement sonnés, elle recula, attendant la
suite. Une envie folle d'aller chercher son pistolet la tenaillait, mais elle savait
pertinemment que ça n'en valait pas la peine.
Le bruit d'un fusil que l'on sort de son étui la tira de sa rêverie. Elle se
précipita vers l'ennemi. Stevens leva le second pistolet, la visant. L'acolyte
se massait la mâchoire tranquillement, supposant sans doute que son chef avait la
situation bien en main. Alors que Lara arrivait tout près, elle empoigna ce dernier par
la veste et le tira devant elle. Deux détonations déchirèrent l'étonnant silence
de la jungle. Le tonnerre enchaîna ensuite, comme pour faire écho aux balles tirées.
L'acolyte s'écroula aux pieds de Lara, l'abdomen ensanglanté. Lara
recula, laissant le cadavre s'étendre au sol de lui-même.
Profitant de la stupeur de Stevens, Lara souris légèrement. Elle remonta ses manches,
ajusta ses gants et enjamba le cadavre. Stevens réagit alors, dans un élan de
frustration. Il leva l'arme de Lara en l'empoignant à deux mains et vint le
déposer sur son front, alors qu'elle stoppait devant lui.
- Vot' mort sera une sacrée bonne nouvelle, Miss Croft.
Un cliquetis sourd se fit entendre. Les pupilles de Stevens se dilatèrent, tandis
qu'un sourire paisible se dessinait sur les lèvres de Lara.
- Une balle nichée dans le bras d'Orth. Trois tirs dépensés afin de me faire
descendre de cette liane. Et deux projectiles désormais enfouis dans la poitrine de votre
comparse. Ça fait bien trois pour un des pistolets, trois pour l'autre, je crois.
Trois... C'était bien le nombre de balles qu'il me restait dans chacun de
mes chargeurs, il me semble. J'ai pris une sacrée chance, Stevens. Mais, pour ma
part, elle ne m'a pas fait défaut.
Lara agrippa le pistolet toujours tendu vers elle et frappa Stevens au front avec ce
dernier. La seconde suivante, elle lui maintenait solidement la tête et tourna
violemment, lui brisant la nuque. Stevens s'écroula contre un tronc d'arbre, et
s'étendit dans la brume. Lara l'observa quelques instants, s'assurant que
sa mort était bien inévitable, et s'accroupie à ses côtés afin de fouiller ses
poches. Elle en extirpa le bout de tissu, l'une des clés tant désirées, et
l'observa quelques instants, mélancolique et pleine de joie à la fois. Elle
entreprit ensuite de détacher les étuis de la ceinture de Stevens et de récupérer ses
deux pistolets. Elle les plaça à sa taille, heureuse de retrouver enfin ses armes, mais
savait pertinemment qu'elles n'avaient rien de redoutable sans munition.
Lara s'agenouilla non loin des cadavres, sentant soudainement une grande fatigue la
dominer. Elle retira son sac à dos, seule possession qu'ils lui avaient laissée, et
le posa sur ses genoux. Son regard se posa momentanément sur sa cicatrice, vestige de sa
blessure au niveau de la rotule guérie en un temps record par la médication
d'Alejandro. Elle se promit mentalement d'aller libérer le jeune homme
bienfaiteur le plus rapidement possible.
Elle entrouvrit son sac et regarda à l'intérieur en soupirant. Il s'y trouvait
quelques bandages, une fiole d'alcool afin de soigner des blessures, et ses clés de
cabanon.
- Il n'aura jamais été aussi vide.
Elle soupira de plus belle, et inséra le bout de tissu dans le petit espace en cuir. Son
sac sembla retrouver vie, semblait plus chaleureux ainsi garni. Un triste sourire illumina
ses traits alors qu'elle le refermait et le plaçait sur son dos. Elle se redressa,
bien droite, les pieds enfouis sous la brume.
- Je ferais bien de retourner à la rivière... J'espère que, de leur côté, ça
se passe aussi bien.
|