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L'Argument et l'Arme

L'Argument et l'Arme, Chapitre 14, par Helo, le 08 août 2003.

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Chapitre 14

Le sol, à présent recouvert d'un épais nuage de brume, était plus traître que jamais. Au nombre de fois où je suis tombé, c'est encore étonnant que je sois en mesure de me relever pour continuer à courir. Ça faisait bientôt une demi-heure que je déambulais ainsi dans la forêt sans trop savoir où je me dirigeais. Percevant néanmoins des bruits de pas derrière moi, non loin, je préférais continuer mon chemin en hâte, plutôt que de devoir affronter quelqu'un possiblement plus fort, plus agile et plus expéditif que moi.

J'arrivai finalement à un précipice. Les arbres, tellement abondants, poussaient même à l'extrême frontière de la faille, s'élevant ainsi en diagonale, au dessus du gouffre. Je me penchai légèrement, tentant de voir si je pouvais y descendre et ainsi continuer à fuir mes adversaires. Ma gorge se noua, et le vertige me prit. M'agrippant solidement à un tronc, je me mis à reculer sagement, m'éloignant ainsi de l'immense puit naturel. Celui-ci devait bien mesurer quelques cent mètres de profondeur. À son pied s'élevaient des dards de roc peu accueillants, et un peu plus loin, un lac azure se transformant en rivière et s'écoulait entre les arbres d'une forêt infinie. La vue, du moins lorsque l'on ne regarde pas directement en bas, était fabuleuse et magnifique.

Un craquement retentit derrière moi. De puissants bras m'entourèrent, et je chutai à plat-ventre sur le sol parsemé de feuilles mortes. Un poids lourd s'abattit sur moi, et un rire grave s'éleva dans le boisé. Je me retournai tant bien que mal, roulant sur le sol, pour tomber face à face avec l'un des mercenaires qui avait sans doute décidé de rester bêtement étendu sur moi. Celui-ci me souriait sagement, une main sur ma poitrine pour m'empêcher de bouger, l'autre tenant fermement un poignard. Il inclina légèrement son visage vers le mien. Mon premier réflexe fut de détourner la tête.

- Bordel... Pourquoi il fallait que je tombe sur un criminel gay!
- T'as quelque chose contre les gays, mon joli?
- Non... enfin, si : Ceux qui essaient de m'embrasser de force, je les déteste d'office.

Il ricana légèrement, me caressant les cheveux. Dans une ultime tentative de me libérer, je me débattis sans grand résultat. La montagne de muscle qui me maintenait au sol n'allait pas décoller de sitôt. Je pris un air alarmé.

- Mais qu'est-ce que j'ai fais de si mal dans ma vie pour mériter ça!

Il déposa un baiser sur ma joue, puis au creux de mon cou. Mon esprit se mit à réfléchir à toute allure. Celui-ci étant mon dernier recourt dans la plupart des situations désespérées, et celui-ci, justement, ne m'ayant jamais fait défaut, je considérai sa suggestion comme très potable. Remerciant mentalement mon intelligence surnaturelle, j'entrepris de mettre mon plan à exécution.

Je laissai le mercenaire me bécoter quelques minutes, de manière à ce qu'il se satisfasse comme un grand le temps que je réfléchisse. Je me lançai finalement.

- T'as l'air de savoir y faire avec les hommes, toi... murmurai-je.
- 'Sur. Mais ça fait près de huit mois que j'ai pas fait plaisir à un mec de cette manière. Ça t'dis?

Je lui souris, plissant les yeux d'un air malin.

- Sur que ça me dit!

Il se jeta contre moi, posant ses lèvres sur les miennes. Mon plan dérapa. Je le repoussai vivement.

- Oui, bon, mais pas trop, hein... dis-je, un léger tremblement dans la voix.
- Bah pou'quoi?
- Euh...

J'appelai à nouveau mon esprit à l'ordre, en quête d'une menterie passablement plausible.

- Quelqu'un pourrait nous voir...
- Pas de crainte a y avoir pour ça, mon joli... On est seuls à des kilomètres à la ronde... Et la brume nous recouvre presque entièrement.

En désespoir de cause, et dans une ultime tentative de calmer ses ardeurs, je pris l'air timide que je réussissais toujours à interpréter de manière impeccable.

- En fait... euh... J'ai jamais fait ce genre de truc, voilà pourquoi.
- Ah! C'pour ça... Alors on va y aller doucement pour le puceau... et après on va le ramener au campement pour que le patron me donne une sacrée belle récompense... Ça va me faire une double satisfaction durant la journée, t'imagines?

Je soufflai, marmonnant un " Oui, c'est génial... " mal assuré. Il ne releva néanmoins pas mon ton et mon commentaire totalement insensé, et entreprit de faire balader ses mains le long de mon corps. J'en fis d'ailleurs de même... question technique et stratégique, n'allez pas penser à autre chose. Après quelques minutes de tripotage, et alors que l'heure du déshabillage s'entamait, j'analysai la situation. Il semblait avoir abaissé légèrement sa garde, et j'en profitai pour prendre un air amusé. Le poussant sur le côté, je roulai par dessus lui en ricanant. Je me redressai, dos bien droit, assis sur son ventre. Il était bien occupé à détacher ma braguette, alors j'en profitai pour respirer bien fort, de manière à me calmer. Mon expression taquine se mua en des traits songeurs, pratiquement peinés. Je murmurai à son intention.

- Je n'ai pas vraiment l'intention de te laisser voir mon calibre, tu sais... Mais j'ai trouvé le tient d'un grand secours.

Sur ce, je joignis mes deux mains sur la crosse de son fusil, que j'avais précédemment pris à sa ceinture lors des attouchements pour le moins effrayants, et je déposai le canon sur sa poitrine. Fermant les yeux, j'appuyai sur la détente. Mon hurlement déchirant, et le coup de tonnerre qui l'accompagna, couvrirent presque entièrement le bruit de la déflagration. Des larmes roulèrent sur mes jours. Je me redressai, titubant, et m'accotai contre le tronc d'un arbre en dévisageant, effaré, le cadavre du mercenaire.

- Putain de merde... sanglotai-je. J'ai tué quelqu'un!

Je m'effondrai au sol, voilant mon visage dans mes mains. Je me redressai soudainement, dix minutes plus tard, puis, sans un mot, sans un regard, me mis à courir dans la forêt. Je stoppai violemment, me forçant à arrêter de pleurer. La voix tremblante, je me raisonnai.

- Allons, Cody... T'es un grand garçon. C'est pas parce que t'as été agressé sexuellement et que t'as tué ton agresseur que-

Un sanglot me coupa. Je portai une main à ma bouche, ébahi par ce que je venais de dire, ce que je venais de prouver, d'appuyer. Je tentai tant bien que mal de reprendre un masque impassible. Je me redressai bien droit.

- Allons, Cody, t'es un grand garçon. C'est pas parce que t'as été agressé sexuellement et que t'as tué ton agresseur que tu vas te mettre à brailler comme un gosse et à faire l'idiot. Réfléchis. Par où est la rivière? Par là, ok. Tu vois? Tu courais dans le mauvais sens. Bon. Allons-y.

Se faisant, je me remis à marcher de manière peu assurée, touchant à chaque arbre afin d'obtenir un certain contact. J'étais conscient de ma détresse morale, de mon traumatisme, mais je devais rester le plus calme possible afin de ne pas paniquer davantage. Aussi continuai-je de discuter, ma voix me réconfortant quelque peu.

- Après, on va libérer Alec. Et après, on va trouver le trésor des clés. Et après, on va le ramener en Grande-Bretagne. Et après, je vais me racheter une maison. Et après, je vais vivre heureux, comme avant. Et après...

J'entrepris de rattacher mon pantalon et ma chemise, dans le but d'être légèrement plus présentable et d'oublier les événements précédents. Je glissai à ma ceinture, sans trop m'en rendre compte, le revolver du défunt mercenaire.

- ... je vais faire de beaux voyages, mais pas au Brésil. Et après, je vais aller prendre des cocktails chez Lara, on va bien se marrer. Et après-

Un perroquet s'époumona dans un arbre, juste au dessus de moi. Son cri me glaça le sang. Je me retournai, et lui répondis en hurlant, la voix pleine de sanglots.

- Espèce de dinde verte! Ferme ta gueule! Tu vois pas qu'il y a un traumatisé ici!

Je croisai les bras, me tenant les coudes. Je soupirai, épuisé, le visage couvert de larmes. Donnant un coup de pied rageur dans la brume, je pivotai et continuai mon chemin vers la rivière, espérant y retrouver mes compagnes. J'en avais bien besoin.

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