Chapitre 21
Quelle heure pouvait-il bien être ? Lara
revint dans le monde réel avec immédiatement cette question en tête. Son
rêve s'était enfui, elle ne se souvenait même plus de lui, en tout cas elle
avait bien dormi, ça, elle le savait, et se sentait vraiment en forme,
l'esprit tranquille. Se redressant sur son lit, elle attendit quelques
secondes afin que ses yeux s'habituent au peu de lumière de la pièce. Elle
n'eut aucun mal à reconnaître le petit bureau, ainsi que l'armoire, presque
vide. Dormant encore seule, les couvertures du côté de John pendaient vers
le sol.
La jeune femme sortit de son lit, s'étirant le dos en se mettant debout,
entendant presque toutes ses vertèbres craquer. Ses vêtements tapissaient le
sol un peu partout par terre. Elle les ramassa pour les fourrer en boule
dans un sac de linge sale.
Elle attrapa dans son armoire un pantalon gris foncé ainsi qu'un débardeur
de même couleur avant de monter les escaliers pour se rendre sur le pont.
Il faisait sombre, le jour n'étant pas encore levé, bien qu'un petit morceau
de ciel bleu clair pointât son nez à l'horizon, de plus d'épais nuages gris
laissaient prévoir de la pluie. John se tenait à la barre, dirigeant
tranquillement le navire, afin de retourner vers la terre ferme. Le vent,
puissant, gonflait les voiles qui entraînaient le bateau à pleine vitesse,
le retour se ferait certainement plus vite.
« Tu t'es levé bien tôt. » Répliqua Lara en rejoignant son compagnon
Les cheveux blonds du jeune homme voletaient en arrière, dégageant
pleinement son visage. Une fois à sa portée, Lara l'embrassa puis resta à
côté de lui.
« On dirait que tu n'as plus le mal de mer. »
« Non je me suis habitué, maintenant le voyage est vraiment agréable. »
Le bateau bascula soudainement, comme si un flux marin brutal l'avait
entraîné sur le côté, penchant au point de presque se coucher sur l'eau.
Lara dut se raccrocher à la barre, afin de ne pas tomber.
« Ça va ? » Demanda-t-elle à John qui s'était cogné sur le bois
Il se redressa, ne semblant pas être blessé.
« Oui pas de souci. Mais qu'est-ce que c'était ? »
Un énorme raz de marée bondit d'affolement, recouvrant le bateau d'une vague
féroce. Les deux amis eurent le réflexe de s'accrocher à ce qu'il pouvait
afin de ne pas tomber par-dessus bord. Un immense dragon venait d'immerger
des eaux, ses écailles bleu clair se fonçaient avec les nuages grondants, il
ouvrit grand sa gueule dégageant un rugissement épouvantable empestant le
poisson pourri.
Sa gueule dégoulinait d'eau et ses yeux pourpres reflétaient une profonde
colère, le serpent fixait Lara d'un regard meurtrier en poussant à nouveau
un hurlement qui fit trembler les voiles.
« Alors comment trouves-tu mon Léviathan ? »
Lara reconnut immédiatement cette voix insupportable, prétentieuse et pleine
d'arrogance. Il s'agissait d'Yven, qui se tenait d'un équilibre parfait sur
la tête du dragon, visiblement à ses ordres. À son doigt, brillait de toute
sa lueur, la bague de la création animale. Cette chimère devait certainement
être une création du garçon. La jeune femme n'avait pas ses armes sur elle,
mais est-ce qu'elles auraient été d'une grande utilité contre ce monstre ?
Lara en doutait fortement, et réfléchissait à toute vitesse afin de trouver
une solution pour se débarrasser du Léviathan lorsque celui-ci attaquerait.
« Il est tout à fait à ton image, hideux et exécrable. » Répliqua Lara au
jeune garçon
La chimère cambra son dos, sa peau fit une
vague tout le long de son corps, jusqu'à sa gueule, s'ouvrant rapidement et
crachant un jet d'eau d'une grande puissance. Encore une fois, la rapidité
des deux amis leur permit de rester à bord. Lara se dépêcha, elle escalada
le mat principal du voilier tel un félin très habile afin d'arriver à une
des cordes. À l'aide d'un couteau dissimulé dans une de ses bottes, elle la
coupa et se pendit dans le vide à l'assaut du monstre. Yven ne vit pas le
coup venir et dans un violent coup de pied fut projeté dans l'Océan. Lara
accosta sur la tête énorme de la bête, prit sa dague à deux mains et tenta
de la planter dans le crâne de la chimère. C'est avec une stupéfaction
aberrante qu'elle vit la lame se briser sur les écailles intactes du dragon.
Le Léviathan balança sa tête de droite à gauche, essayant de se débarrasser
de l'insecte gênant qui le grattait et l'agaçait. Mais Lara s'accrochait
comme elle le pouvait, surtout que la peau du monstre, très glissante, ne
lui donnait pas beaucoup de prise.
La chimère se rapprocha du bateau et frappant sa tête sur le mât principal
dans une éruption de morceau de bois brisés, le coup était d'une force qu'il
en brisa le mat. La violence fit chuter Lara d'une trentaine de mètres. John
eut le réflexe de la rattraper dans ses bras afin qu'elle ne se fracasse pas
au sol.
« Mince, comment se débarrasse-t-on de ce monstre ? » Hurla le jeune homme
en reposant Lara à terre
La jeune femme se retourna plusieurs fois sur elle-même, faisant des
mouvements fracassés essayant de trouver le plus vite possible une solution
d'urgence alors qu'un nouveau rugissement vint résonner dans son esprit.
Gueule béante, la chimère repartit à l'attaque, les deux amis se séparèrent
en exécutant chacun une roulade de côtés opposés, le Léviathan s'écrasa à
nouveau la tête sur le mat brisé.
La chimère tituba et secoua rageusement la tête pour se remettre les idées
en place. Lara profita de ce moment d'inattention pour rejoindre John.
« Je crois que j'ai une idée ! »
Ils se cachèrent parmi les débris afin que Lara puisse exposer son plan de
victoire. Le Léviathan ne semblait pas les avoir repérés et les cherchait de
ses yeux coléreux.
« Heureusement que je suis venu finalement. » Bougonna John en croisant les
bras
« Oui bon ce n'est pas le moment de sortir tes remarques, il faut que tu
assures sur ce coup. »
« Que j'assure que j'assure, j'apprécie énormément ton humour... »
Lara bondit à découvert, faisant de grands gestes, hurlant d'une voix
stupide.
« Hé oh grosse bête moche, tu attends une invitation ? »
La chimère se retourna brusquement vers la voix de sa victime. Nageant de
nouveau vers le navire, duquel elle s'était un peu éloignée.
En quelques secondes, elle fut assez proche pour tenter de porter le coup de
grâce à son adversaire, mais Lara ne bougea pas d'un pouce, confiante en son
idée.
Des plantes gigantesques sortirent des eaux, on aurait dit des algues
marines, d'une force et d'une résistance inimaginable. C'était John qui les
avait créées et qui les contrôlait. Elles entourèrent le dragon, qui avait
beau se débattre, ne pouvant plus faire un seul mouvement. La chimère hurla
de rage se débattant et dandinant son corps pour tenter de se libérer, mais
rien n'y fit les algues se resserraient de plus en plus autour de son corps
gélatineux. John plia alors violemment les bras, les algues se tendirent
brusquement et allèrent éclater la tête de la chimère contre le mat brisé,
l'empalant sans qu'elle ne puisse se défendre dans un jet de sang bleuté.
Dans un horrible cri d'agonie, le monstre s'évapora dans un brouillard épais
et glacial, disparaissant sans laisser la moindre trace. Le jeune homme
tomba à genoux en sueur, respirant fortement.
Lara l'aida à se relever en le tirant par les bras.
« Ça ira ? Tu tiens le coup. »
« Oui j'ai juste dû forcer un peu... »
La jeune femme se pencha au-dessus de
l'eau, il n'y avait pas de trace d'Yven, il semblait avoir disparu. Le
voilier était en piteux état, mais il leur permettrait tout de même de
rentrer sans grandes difficultés. John se retourna brusquement en levant les
yeux au ciel, un ricanement s'éleva dans ses airs.
« Ah ah, coupable, tu es coupable Lara. Tout ce qui se passe est de ta
faute. »
Yven plana autour du navire, chevauchant une nouvelle chimère. Il s'agissait
d'une sorte de pégase dont la robe se couvrait entièrement d'écailles bleu
pâle. Le corps du cheval se terminait pas une grande queue de sirène et ses
ailes lui permettaient de s'élever vers le ciel et de disparaître.
« Qui est ce clown ? » Demanda John en se rapprochant, sans avoir vraiment
vu
« Yven, un enfant né du pouvoir de la création humaine, il semble qu'il soit
juste venu au monde pour me tuer. »
« Le pouvoir de la création humaine ? »
La température corporelle de l'aventurière lui sembla chuter d'un coup,
comme si son cœur avait cessé de pomper son sang douloureux. Bon sang Lara,
tu as encore oublié, John n'est au courant de rien sur les créations de
Quinze ni sur le labo de Braik.
« Quoi... qu'est-ce que j'ai dit ? »
« Tu as parlé de la création humaine. »
« C'est quoi ça ? La création humaine ? »
« Mais j'n'en sais rien moi, c'est toi qui viens d'en parler à l'instant. »
« Ah bon ? je ne m'en souviens pas... »
« C'est cela, c'est cela, toi et moi, il va falloir qu'on cause
sérieusement. Tu me caches quelque chose... ! »
« Non je ne te cache rien et puis de toute manière il t'es impossible de
tenir une conversation sérieuse. »
« Ba voyons... »
Lara roulait tranquillement, faisant
ronronner le moteur de la Ferrari 360 Spider dans les routes silencieuses en
cette fin de soirée. La peinture gris clair de l'automobile prenait des
teintes dorées ou blanches en fonction des lampadaires qu'elle croisait. Il
faisait presque nuit, et les rues s'illuminaient peu à peu de couleurs
artificielles.
« Si un jour j'avais pu croire que je monterais dans une telle voiture. »
Répliqua John
Bien que l'on soit fin février, il faisait très chaud cette nuit-là, le
jeune homme avait ouvert sa fenêtre, par laquelle il laissait pendre son
bras. Agacé par le vent, il n'arrêtait pas de se battre avec sa chevelure
volatile.
Après avoir traversé une grande autoroute, Lara emprunta un petit chemin
poussiéreux, s'enfonçant dans la campagne puis dans les bois.
« Il me semble que c'est par ici... »
« Pourquoi est-ce que les vieux richards vont toujours se terrer dans des
coins perdus ? »
« Le grand mystère. »
« Et tu es sûre qu'il va accepter ton offre ? »
« Qu'il accepte ou non, dans les deux cas je peux garder l'œuf. Je lui
propose une autre pièce aussi rare, il la prend, ou j'annule le contrat tout
simplement. »
L'aventurière était bien décidée à garder l'œuf avec elle, ainsi que l'âme
de Kisa, celle-ci étant directement une des créatrices du monde.
Ils arrivèrent enfin devant le château
dissimulé dans la sombre forêt, Lara stoppa la voiture devant la demeure.
Celle-ci de forme rectangulaire affichait, semblait-il, au moins quatre
étages. Faite de briques rouges et de tuiles cuivrées pour les toits, la
maison s'imposait tel un musée.
Un domestique s'empressa de venir ouvrir la grande porte d'entrée, de bois
verni.
Entièrement recouvert de tapisserie et de tableaux, l'intérieur donnait une
atmosphère chaleureuse et agréable.
« Miss Croft comme je suis heureux de vous voir ici. »
Un vieil homme habillé très élégant s'approcha du couple. Bien qu'il ait
plus de 70 ans, il semblait avoir encore toutes ses dents et un dynamisme
encourageant.
« Monsieur Voc, vous avez une demeure sublime. » Répliqua la jeune femme
Voc lui prit la main qu'il baisa délicatement de ses lèvres.
« Ce compliment me va comme un honneur venant de vous Miss. »
« Comme cela fait plaisir de voir un homme faisant preuve de tant
d'attention et de galanterie. » Déclara Lara en se tournant vers John,
celui-ci leva brièvement les yeux au ciel avant de serrer la main du
vieillard.
« John Seize, ravi de vous connaître. »
« Vous boirez bien quelque chose ? »
Lara voulut en arriver directement au fait.
« M.Voc, je suis vraiment confuse, mais après mes recherches, je me suis
rendu compte que l'objet que vous vouliez contenait un grand pouvoir. De
plus, c'est une relique dont j'aurais absolument besoin. »
« Ah oui ? Et bien dans ce cas, il n'y a pas de soucis, Miss, je vous la
laisse avec plaisir si elle peut vous être d'une quelconque utilité. »
La jeune femme tendit au vieil homme un objet soigneusement protégé par un
drap. Il s'agissait d'un vase.
« Je vous l'offre, pour me faire pardonner. »
Voc resta émerveillé devant la magnifique relique. Il la tourna, la faisant
pivoter, afin d'en voir chaque profil.
« Je l'accepte volontiers, c'est une pièce sublime. »
Lara et John suivirent Voc jusqu'à la salle
de sa collection. Celle-ci prenait un étage entier, et comportait un système
de sécurité pointilleux, mais vraiment compréhensible. Les reliques étaient
sublimes, il y en avait pour des millions à cet étage, un véritable musée.
« C'est très impressionnant ! » Dit John le regard ébahi
« Mon amour des objets rares m'a amusé toute ma retraite. Toutes ces
reliques sont comme des enfants pour moi. »
Le vase fut disposé sous une cage de verre dans une petite pièce à part.
« J'avais au départ prévu cet endroit pour l'œuf, mais votre cadeau s'y
semble fort à l'aise. »
« Croyez-moi, cet œuf ne vous aurait apporté que des soucis. »
« À ce point-là ? »
Une voix féminine résonna dans la salle, le trio se retourna, une jeune
femme se tenait près de la porte.
« Elle a raison, les créateurs réservent le pire des châtiments à ceux qui
tentent de s'emparer de leur âme. »
Elle devait avoir, entre les 25 et 30 ans environ, grande mince, ses yeux
étaient bandés, elle semblait se diriger surtout à l'aide de ses mains.
« Miss Croft, Monsieur Seize, je vous présente ma petite-fille, Aurore. »
La jeune fille se rapprocha à petits pas prudents et tendit une main pour
déclarer sa sympathie.
« Vous connaissez la légende de la création ? » Demanda Lara en lui serrant
la main
Pourtant, elle ne répondit pas, se contentant de tourner les talons et de
quitter la pièce sans dire un mot.
« Excusez-la, mais elle n'aime pas parler de ça. Ça a été une expérience
douloureuse pour elle. »
Lara resta sceptique, elle aurait aimé en discuter avec la jeune fille pour
éclairer sa lanterne, mais une sonnerie de téléphone retentit dans la poche
de John, c'était son téléphone portable. Après s'être excusé, il s'éloigna
pour répondre.
« Votre petite-fille connaît cette légende ?
« Oui elle était un peu comme vous à une époque, je crois qu'elle a fait des
recherches pour trouver un objet là-dessus, mais ça se serait très mal
passé, elle n'en a jamais rien dit. »
La curiosité de Lara la fit agiter rapidement les doigts par nervosité, si
cette jeune fille savait quelque chose qu'elle ignorait sur la création leur
rencontre serait forcée.
Le jeune homme revint près de Lara, mais il
avait une attitude suspecte, il replaça son portable dans la poche de son
pantalon avec un regard vide, avec même de l'inquiétude.
« Qui y a-t-il ? »
« Une voix étrange m'a dit...15 rue du Lac Gelé...suivi d'un nom...Rosie Poline... »
Son inquiétude prenait de plus en plus son visage, il croisa les bras en
chassant encore les mèches de son visage affichant tout le stress qu'il
pouvait.
« Ça doit sûrement être une erreur ?! » Répliqua Lara pour le rassurer
« C'est bizarre, Rosie, il me semble que c'est, la sœur de Paul... »
Lara fronça les sourcils tentant de trouver une explication.
« Et tu as essayé d'appeler la base ?
« Oui, mais c'est encore hors service, pas de sonnerie, rien du tout. »
« Vous devriez aller voir à l'adresse qu'on vous a donnée, peut-être que
vous n'avez pas pu avoir le message en entier, le réseau passe assez mal
ici. »
Lara passa son bras autour de celui de John et frotta le bras de son ami
avec vigueur.
« Oui, on va aller voir pour vérifier et puis si c'est vraiment ça, ce sera
l'occasion de prendre des nouvelles ! »
Le couple remercia Monsieur Voc et quitta le château pour remonter dans le
véhicule. Lara démarra et sortit de la forêt, Mr Voc leur avait donné un
petit plan, fait main, pour qu'ils trouvent le quartier de l'adresse
indiquée.
La Ferrari stoppa dans un horrible
crissement de pneu, devant une petite maison d'un quartier assez chic.
Toutes les demeures affichaient un sommeil profond, aucune lumière ne
s'échappait des fenêtres. La peinture blanche des murs s'illuminait sous la
lumière des lampadaires éclairant la grande rue. Un petit jardin dont le
gazon était merveilleusement entretenu entourait la demeure bordée par une
haie taillée de façon très géométrique.
Le couple se dirigea vers la demeure et poussa la petite barrière de bois
afin de pénétrer dans le jardin. Comme les autres maisons, aucune lumière ne
semblait donner signe de vie.
« Ça m'a l'air bien calme. » Répliqua Lara en jetant un rapide coup d'œil
par la fenêtre qui donnait sur le salon
Le jeune homme stoppa devant la porte et pressa la sonnette qui retentit
dans la maison, ils attendirent une minute, mais aucun son ne transperça le
silence des alentours. John appuya à nouveau sur la sonnette, mais toujours
rien. Ils sursautèrent lorsqu'un chat bondit des buissons en hurlant d'un
miaulement strident avant de disparaître dans la rue.
« Animal stupide, il m'a fait peur. » Rit Lara en basculant sa queue de
cheval derrière son dos
John ferma le point et frappa trois coups sur la porte.
« S'il vous plaît, il y a quelqu'un ? Rosie ? »
Dans un léger grincement timide, la porte s'ouvrit un peu. Mais personne ne
passa la tête dans l'entrebâillement, la porte s'était ouverte avec la
pression du poing du jeune homme, en fait elle n'était pas close.
John ouvrit la porte en grand, personne, toutes les lumières étaient
éteintes et il faisait relativement sombre dans la demeure, seule la lumière
de la pleine Lune et des lampadaires extérieurs permettait un modeste
éclairage assez fantomatique. L'aventurière suivit son ami de quelques pas
derrière lui en jetant son regard par ci et là pour tenter de voir quelque
chose.
« La porte était ouverte, vous êtes là ? » Continua de hurler le jeune homme
Mais toujours aucune réponse, le couple, eut alors comme un très mauvais
pressentiment. Un mal-être pesait dans la maison comme un étouffement, une
odeur bizarre y voletait aussi. On ne se sentait pas à l'aise ici, pas de
réconfort d'un foyer féminin, une pression invisible resserrerait l'âme des
individus ayant du mal à respirer. Le couple avait déjà ressenti cette
impression, il y a de cela plusieurs mois, dans un appartement parisien.
Lara agrippa alors John par le bras et ils stoppèrent dans une position de
marche.
« Tu entends ? »
« Gloup ...gloup ...gloup ... » Un son sourd résonne au loin
Les deux amis se regardèrent longuement sans un mot, puis ils se séparèrent
violemment pour fouiller les pièces de la maison.
« S'il vous plaît, répondez-nous !! » Hurla John en débouchant dans le salon
Lara fouilla la cuisine, mais elle n'y trouva personne, la table avait été
tirée et nettoyée, dans l'égouttoir reposait une assiette et des couverts en
train de sécher, signe qu'ils avaient dû servir il y a peu de temps.
La jeune femme commença à être prise d'un certain stress, courant presque
pour quitter la cuisine, elle se disait « oh, mais pourquoi on est inquiet
comme ça ? Elle a dîné et est partie en boite, c'est tout ! »
Elle stoppa en observant John de dos, celui-ci restait statique devant
l'escalier la tête basse sans bouger. L'aventurière se rapprocha doucement
et au fur et à mesure, elle put distinguer des empreintes de sang devenant
de plus en plus importantes en haut de l'escalier.
Le silence, encore, il était presque toujours omniprésent, seul le petit
écoulement d'eau résonnait encore en haut des marches « Gloup...gloup...gloup...
».
John commença l'ascension en ouvrant la marche, ses pas déjà très discrets
étaient étouffés par l'épaisse moquette grise. Le sang était frais, trempant
la moquette d'une couleur rougeâtre collante sous les semelles.
En haut de l'escalier, on débouchait dans un grand couloir où de suite, la
salle de bain se présentait. « Gloup ...gloup...gloup... » Oui c'était de là que
provenait ce son régulier, la porte de la pièce était ouverte et l'entrée
couverte de sang, tout le carrelage était trempé du liquide, le rendant
aussi fourbe qu'une patinoire.
Les deux amis s'arrêtèrent en haut des
marches, leurs yeux ne reflétaient que la peur et le dégoût, cette peur de
trouver une chose horrible dans cette salle de bain, tout ce sang, comment
pouvait-il y en avoir autant ? Des traces, des traces de pas, de pieds nus,
mais pas seulement, plusieurs personnes sont venues ici, il y a aussi des
traces de bottes à talons.
Lara poussa doucement la porte de la salle de bain pour dégager entièrement
la vue sur la pièce. Tous les deux, dans l'encadrement de la porte, les yeux
des deux amis s'écarquillèrent d'horreur, Lara porta une main à sa bouche de
même que John qui recula presque d'un pas. Cette odeur, elle était infecte,
cette odeur de sang et de chair broyée, ce n'était pas supportable. « Gloup...gloup...gloup...
» Du sang, la baignoire en était remplie et le robinet continuait de goûter
pour que les gouttes cristallines se noient dans le rouge noirâtre dont
était remplie la baignoire blanche.
Le grand miroir au dessus du lavabo état brisé et plusieurs morceaux
reposaient au sol, ces mêmes morceaux étaient recouverts de sang, mais
également de morceaux... de peau...
« Coupable » Cette inscription était gravée sur le mur au dessus de la
baignoire, avec du sang frais s'écoulant encore, le long du mur.
Lara avala sa salive pâteuse et écoeurante. Gloup... gloup, elle plaça ses
mains à ses oreilles, ne voulant pas entendre ce bruit résonnant dans la
totalité de sa tête.
John s'approcha les morceaux de verre qui se brisèrent sous ses chaussures
dans un bruit de craquement spongieux avec le liquide. Il se plaça à genoux
face à la baignoire observant la surface totalement lisse. Il tourna la tête
vers le robinet et en serra les têtes pour arrêter totalement l'eau.
Doucement, il se retourna vers Lara qui n'avait avancé que de quelques pas,
légèrement penchée en avant, l'aventurière serrait les mains contre son
cœur. Elle bascula la tête de droite à gauche avec un mouvement de négation
certain, mais le jeune homme se rapprocha encore de la baignoire. Il plongea
ses bras dans le liquide faisant encore déborder et inonder de plus belle la
salle, Lara recula brutalement pour éviter ce poison qui lui faisait presque
peur, vu la situation.
Le jeune homme finit par sentir quelque chose sous ses doigts, il passa ses
bras sous la masse et la souleva. Il en sortit un corps, le visage dépecé de
la jeune femme lui transperça les yeux. Dénudé, baignant dans son sang, tout
le corps de la fille avait été entièrement dépecé sans oublier le moindre
centimètre de peau, dépecé avec des morceaux de miroir brisés. Le ventre
gonflé de la jeune femme, tel un ballon rond, n'avait pas été épargné, elle
était visiblement en fin de grossesse. John lâcha prise en poussa un
hurlement, le corps plongea lourdement dans le sang qui inonda encore le
carrelage jusque dans le couloir. Le jeune homme recula brutalement en
hurlant, glissant dans le sang pour se retrouver sur le dos. Il tenta de se
remettre sur ses pieds, mais glissait affreusement se couvrant de sang. Une
fois debout, il passa une main à son visage.
« Merde c'est pas possible, c'est trop horrible, comment peut-on faire un
truc pareil ! » dit-il, presque en pleurant
Lara sortit en courant de la salle de bain, poussant violemment les portes
qui allèrent se fracasser contre les murs dans un bruit titanesque. Elle
bondit dehors, levant les bras vers le ciel en tournant sur elle-même,
hurlant une colère indicible.
« Et bien puisque c'est moi que tu veux, viens salaud, je t'attends, viens
essayer de me tuer si tu en as le courage, saloperrriieeeeee !!!!!! »
Ses cris résonnèrent dans toute la rue, lui renvoyant ses propres paroles.
Elle porta une main à son visage, commençant à pleurer de rage en tombant à
genoux au milieu de la rue déserte.
« Cela ne sert à rien de pleurer... »
La jeune femme leva la tête, Kisa s'appuyait à un lampadaire, le regard
empli de tristesse également.
« Je pleure si rarement, mais là c'en est vraiment trop...je ne sais même pas
comment combattre cette situation. »
« Ces créatures sont immortels, physiquement rien ne peut les atteindre.
Tranche-leur la gorge, elles reparlent aussi tôt, coupe-leur les jambes,
elles marcheront de nouveau, mais broie leur âme et elles tomberont telles
les feuilles dans le vent d'Automne. »
« Je ne comprends pas de quoi tu parles. »
« Lors de la guerre, les dieux se sont rassemblés, tentant de créer des
objets pouvant tuer les immortels, moi j'ai pu enfermer une partie de mes
pouvoirs dans une sphère, capable d'absorber les âmes des individus.»
John sorti peu de temps après dans la rue, il tourna la tête de droit à
gauche avant de se rapprocher de sa compagne.
« À qui parles-tu ? »
« À Kisa, c'est la déesse enfermée dans l'œuf, elle m'a dit qu'il existait
une sphère permettant d'absorber des âmes et ainsi de nous débarrasser de
ses enfoirés d'assassins. »
« C'est une bonne nouvelle, enfin. »
« Qu'est ce qu'on va pouvoir dire à Paul pour sa sœur ?! »
« Je m'en occuperais... »
La jeune femme partit, à pas décidés vers la Ferrari, dont le moteur n'avait
pas été arrêté, et qui ronronnait silencieusement le long du trottoir. Elle
empoigna le volant et attendit que son ami monte à ses côtés pour reprendre
la route. Lara fixait l'horizon de ses yeux haineux, serrant le volant de
toutes ses forces rageuses.
« Je le tuerais, oui, je tuerais Quinze de mes propres mains... »
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