Chapitre 26
Le seul son, qui se laissait caresser par
les quelques oreilles encore réveillées, était celui des brindilles craquant
sous les semelles. Le couple marchait tranquillement dans la savane à la
recherche de la plage où le yacht de Lara attendait tranquillement vacillant
sur le sombre océan silencieux.
Ils croisèrent un troupeau de gazelles broutant paisiblement, dissimulées
dans les hautes herbes et la nuit. La robe des animaux se confondait
naturellement avec celle des plantes dorées. La plaine était vaste, laissant
de nombreux troupeaux vivre en communauté. Un gnou nouveau-né tentait malgré
les nombreuses péripéties de se mettre debout alors que ses petites jambes
fragiles tremblotaient et il retombait très souvent dans l'herbe sous le
regard moqueur, mais empli de douceur de sa mère. Des zèbres se
désaltéraient les uns à côté des autres dans un ruisseau, trompant les yeux
des prédateurs de leurs rayures. Une panthère dormait paisiblement, les
pattes pendantes de chaque côté d'une grosse branche sur laquelle elle était
allongée. Le bout de sa queue bougeait de temps à autre, exposant
extérieurement le fait que le félin rêvait et dormait paisiblement.
Le couple s'assit en face du troupeau
d'équidés, prêt de l'eau, la jeune femme retira ses bottes, qu'elle posa à
côté d'elle, se rapprochant alors doucement afin de ne pas déranger les
animaux pour pénétrer dans le liquide. Elle ne put alors que savourer le
contact de l'eau rafraîchissante sur ses chevilles engourdies après cette
pénible marche à travers la savane. Fouillant de nouveau dans son sac à dos,
elle en sortit sa trousse de soins, des bandages et une grosse éponge.
John rentra dans le ruisseau à son tour, ils avaient de l'eau presque à la
taille, la rivière était profonde en son centre bien qu'elle n'y paraissait
pas.
Lara retira avec délicatesse les pansements imprégnés de sang afin de les
changer. Elle plongea l'éponge dans l'eau, celle-ci se gorgea d'eau en très
peu de temps gonflant et triplant de volume.
L'aventurière la brandit prêt du cou de John et pressa l'objet afin d'en
déverser le liquide sur le corps blessé de son ami. L'eau glissa sur la
peau, rencontrant les plaies encore à vif faisant changer sa transparence
pour un rouge qui se déversa dans la rivière. Le jeune homme serrait
terriblement les poings à la rencontre de la douleur atroce.
« Arrête de gémir... » Ordonna Lara en plongeant de nouveau l'éponge.
« Je n'ai strictement rien dit. »
« Tu es tellement crispé et tu serres tellement les dents que je les entends
grincer. » Rit-elle en replongeant à nouveau l'éponge.
À l'aide d'une petite serviette, l'archéologue tamponna les plaies doucement
pour les sécher.
« Tu n'as pas mal... »
John tourna brusquement la tête, scrutant la plaine de ses yeux chercheurs.
Les animaux n'avaient pas bougé, ni cessé leurs activités respectives.
« Tu as dit quelque chose ?! » Demanda-t-il à Lara sans même la regarder
« Non, rien du tout... »
« C'est moi...je suis là... ! »
Il avait beau chercher une autre âme humaine aux alentours, il ne voyait
personne. Son regard affichait une certaine inquiétude et incompréhension.
Lara empoigna les nouveaux bandages et commença à en couvrir les plaies.
« Quelques choses semblent de tracasser ?! »
« Hum...j'ai eu l'impression que... enfin, non, rien... »
Ils sortirent alors de l'eau, se séchèrent pour reprendre la route. Selon la
carte et surtout le sens exemplaire de l'orientation des deux individus, la
plage était encore à plusieurs heures de marche à travers la savane, mais
cette halte leur avait redonné des forces à tous les deux.
L'aventurière pressa sa gourde et un fin filet d'eau se déversa des coins de
ses lèvres, elle engloutit le liquide rafraîchissant avec un grand bonheur
avant de tendre la bouteille à John.
« Ça n'a vraiment pas l'air d'aller, tu me parais soucieux. »
Le jeune homme se sécha la bouche avant de se retourner à nouveau vers la
plaine toujours aussi calme.
« Non ce n'est rien, la douleur me monte à la tête... »
Le bruit des vagues se déversant sur le
sable se laissait entendre, porté par la douce brise marine. De petits
oiseaux nichaient en hauteur des grands arbres, dormant ainsi profondément à
l'abri des prédateurs. Le couple avait marché toute une journée entière en
raison des nombreuses haltes que désirait faire Lara pour permettre à John
de prendre du repos, maintenant le crépuscule embrassait le ciel de couleur
orangée.
L'aventurière avait d'ailleurs pris une petite avance, car son ami marchait
passivement le regard distant. Son torse le faisait encore atrocement
souffrir, chacun de ses pas lui donnant envie de hurler.
« Tu te souviens maintenant ? »
Il ne rêvait pas, il percevait bel et bien une voix masculine et familière
dans sa tête. Une voix qui lui semblait lointaine, dont il n'arrivait pas à
y coupler un visage. Pourtant, ce visage se rapprochait de ses yeux comme
une ombre maléfique.
« Mon fils, je peux de nouveau te serrer dans mes bras... »
John prit alors sa tête dans ses mains, ne comprenant pas si tout cela était
réel ou le fruit de la douleur qui lui faisait perdre la tête.
« Merde, j'entends des voix ! »
« Tu te prends pour Jeanne D'arc ?! » Rit Lara en se retournant
« Non, mais je plaisante pas, il y a des voix, dans ma tête. »
« Il est temps pour toi de voir...mon frère ! »
Un bruit sourd raisonna timidement. Un mouvement d'ailes se dissipa
brusquement. Une plume tomba à terre. Il se laissa descendre, s'assaillant
sur la branche ne pliant du tout sous son poids. Son katana pendait derrière
son dos dissimulé sous la paire d'ailes qui disparut comme par enchantement.
Il prit alors une pose très féminine, passant une jambe par-dessus l'autre
et posa son menton sur une main à demi pliée.
« John, tu ne m'es pas sympathique, tu as cassé ma poupée. »
Personne ne bougea, seule Lara avait déjà porté une de ses mains en arrière,
commençant à tripoter les lanières de son sac à dos. Instinctivement le
couple venait de prendre une position défensive, mais la souffrance de John
l'empêcherait de combattre ce qui força Lara à se rapprocher de lui
doucement pour se placer en bouclier.
« Tu m'as entendu te parler mon frère ? » Continua-t-il dans la même
position
John pencha alors la tête sur le côté, tentant de se remémorer les
intonations de voix qu'il avait réussi à distinguer. Une affreuse migraine
commença à broyer sa tête et il fronça les sourcils en portant une main
absente à son front.
« Oui, mais il n'y avait pas que toi. »
L'Ange se laissa alors planer au sol, marchand délicatement vers le couple
au garde-à-vous.
« C'est vrai, tu n'as pas reconnu la voix de papa ? Il y a si longtemps
qu'il t'avait murmuré ses douces paroles... »
Quinze chuta alors brutalement sur le sol, Lara l'avait piégé en lançant
sournoisement les chaînes autour de sa cheville gauche. En tirant
violemment, elle réussit à surprendre son adversaire et à le faire choir
dans la terre.
Elle lança alors le reste des chaînes sur son corps avant de reculer d'un
pas en arrière, tirant son ami pour le faire s'éloigner également. Un éclair
rugit dans le ciel, le métal se transforma et Mamushi apparut toujours aussi
imposant. Le reptile entoura le corps de l'Ange commençant à l'étouffer et à
le bloquer totalement de ses mouvements. Sa peau brilla alors, toutes ses
écailles prirent une couleur rose pâle, la bête, comme dans la légende,
allait voler la mémoire de sa victime.
Le couple ne voulait bouger, pris par une vague de stress intense, dans leur
prière de désir de victoire. Quinze avait le regard vide, semblant devenir
pâle comme la nacre d'un coquillage au Soleil. Ses yeux devinrent d'un blanc
éclatant et sa bouche s'ouvrit pour laisser s'échapper un cri d'étouffement
et d'agonie, comme s'il allait mourir.
Puis, soudain, la peau du serpent se dilata, jusqu'à s'étirer anormalement,
comme si elle se déchirait. L'Ange écarta brutalement les bras, se libérant
de la bête, le cobra chuta sonné dans la poussière. Avec un sourire vicieux
et plein de satisfaction, Quinze donna un violent coup de sabre avec une
rapidité telle que personne ne put vraiment voir ce qu'il venait de se
produire. Une marre de sang noirâtre couvrit le sol, le sabre était planté
dans la tête du reptile, ne faisait plus aucun mouvement, il était mort.
« Vous avez vraiment cru une infime seconde que ce « machin » pourrait me
vaincre ?! »
Se liquéfiant alors, les chaînes pénétrèrent comme un simple liquide dans
les plaines d'Afrique et disparurent sans laisser le moindre stigmate.
Le nouvel échec résonnait comme un son de
défaite encore plus pesant que les précédents. La jeune femme avait presque
envie de hurler cette angoisse qu'elle ressentait, l'angoisse de se
retrouver de nouveau impuissante, sans solution.
Quinze extrait alors l'arme et l'essuya de ses gants noirs, il continua la
provocation de sa voix toujours aussi égocentrique et insupportable.
« Quelque chose ne va pas ? Vous m'avez l'air tout désemparé ?! »
Lara eut, encore une fois une énorme envie de se lancer dans le combat, mais
cela n'aurait pas été un acte réfléchi, elle se contenta donc de serrer les
dents encore une fois.
L'Ange prit alors un air plein de joie et de bonne humeur sur son visage
comme un enfant joyeux. Il s'approcha de John et passa son bras derrière son
coup, comme le font des adolescents bons amis pour se murmurer des secrets
ou se chiffonner.
« Trêve de mauvaises blagues, mon frère adoré, j'ai une surprise pour toi.»
Une brume noire étouffante les entoura à une vitesse imperceptible et un
rire sadique s'éleva dans les airs, résonnant tel un chant funèbre. Une
chute, lointaine, vertigineuse, les entraînait dans un interminable
cauchemar. C'était comme une drogue, l'espace temps ne se laissait plus
distinguer, impossible de reconnaître ses sens, les époques se mélangeaient
et défilaient dans leur esprit, avant de se figer sur la création du monde.
Une forêt épaisse les entoura, non on
dirait bien plus, une jungle, avec des plantes tropicales. Oui une forêt
tropicale, faisant étrangement penser à celle de l'Amérique du Sud, où Lara
et John s'étaient rencontrés pour la toute première fois. Le couple avait
chu dans un endroit presque inconnu, le jeune homme se leva, massant sa
nuque douloureuse.
« Mais où sommes-nous ?! »
Quinze se tenait non loin, fièrement, les bras croisés, la tête haute.
« Nous sommes proches de la vérité, c'est ma surprise, mon frère. »
Lara se retourna brusquement vers un cri de détresse, une femme hurlait, le
diable à ses trousses. Elle poussa violemment les fourrés, sa jambe en sang
freinait affreusement sa course, elle boitait beaucoup et pleurait ne
pouvant avancer correctement. Hurlant des paroles incompréhensibles, les
bras en avant priant de sentir des mains salvatrices sur les siennes, sa
peur déformait son visage prenant une apparence morbide.
Une chose bondit des plantes tel un animal sauvage, avec une rapidité
effroyable il rattrapa la jeune femme par le bras et dans un giclement de
sang, la décapita. La tête roula aux pieds de l'aventurière qui recula,
choquée en portant une main à sa bouche.
Le monstre la dévisagea, sans peau ses cheveux laissaient écouler une grande
quantité de sang le long de ses épaules. Il tenait un long couteau
ensanglanté, son sourire pervers, exposant sa psychopathie descendit en
frisson tout le long de la colonne vertébrale de Lara. La créature se
rapprocha d'elle, toujours le même regard glacial plongé dans les yeux de la
jeune femme restant figée, hypnotisée. Leurs corps se touchèrent, jusqu'à ne
faire qu'un, dans une parfaite fusion. Le fantôme passa à travers du corps
de Lara, elle le sentit, comme un léger courant d'air caresser ses os. Ce
n'était qu'une illusion ? Pourtant, cela semblait si réel.
John se rapprocha des fourrés qu'il écarta
de ses mains. Le carnage que le couple aperçut épouvanta leurs yeux. Il n'y
avait plus de végétaux, juste un champ de bataille atroce. Des cadavres, des
dizaines, non, des milliers recouvraient la terre asséchée... Décapités,
écartelés, tous tués dans une mort atroce et barbare. Un spectacle morbide,
exposant une guerre sanglante. Une odeur monstrueuse de sang chaud
s'infiltrait dans les narines comme du poison, des rires démoniaques
transperçaient les sons de claquement de fer et de giclée de sang.
Quinze se rapprocha alors, marchant sur la terre dénudée, s'arrêtant près du
cadavre d'une petite fille.
« Les premiers êtres humains, les immortels, ont ainsi pris le pouvoir.
C'est comme ça qu'a commencé la guerre. Une guerre sanglante, ayant détruit
une grande partie des humains, ainsi que tous les créateurs. »
John, en colère, se rapprocha de l'Ange, l'empoignant par le col de son
manteau de cuir.
« Et alors, pourquoi tu nous montres ça enfoiré ?! »
Quinze lui sourit alors et d'un geste violent le repoussa en prenant un
malin plaisir sadique à presser les plaies de son torse de sa paume. John
recula à grands pas en gémissant portant une main à son torse, butant en
transparence dans les cadavres spongieux de sang.
« Je te l'ai dit, SURPRISE ! »
Les cris ne s'arrêtaient pas, les larmes
coulaient à flot se mêlant au sang. Les immortels détruisaient tout ce qui
leur tombait sous la main, broyant comme de vulgaires fruits les corps des
innocents. Lara distingua au loin, un cri perçant, le hurlement d'une jeune
fille. Elle accourut alors vers ces cris, résonnant dans sa tête comme un
appel à l'aide. Contournant un énorme rocher, elle aperçut une jeune
adolescente brutalisée par trois créatures. Ils lui faisaient subir les
pires sévices possibles à une jeune fille, Lara aurait pu crever elle-même
ses yeux pour ne pas voir cela. John restait figé également, une affreuse
douleur au ventre, ce sentiment de dégoût remontait le long de ses organes
comme pour le faire vomir, mais également un épouvantable mal de tête
commençait à tuer ses pensées.
« Voici nos ancêtres, cher frère... »
Les voix revinrent hanter les pensées brouillées du jeune homme. Celui-ci
assimilait d'un coup un nombre incomparable de mots et d'images.
« Mes...mes ancêtres ?! »
La vérité remontait des cendres, les flammes avaient pourtant bel et bien
tout consumé. Lara sentit encore le stress paralyser ses doigts, puis son
corps tout entier. Oui elle se souvenait parfaitement, elle avait brûlé le
livre et ses doutes avec, la peur ne devait plus la faire souffrir. Et
pourtant, pourquoi, maintenant, ici, avait-elle peur, elle qui ignorait
presque le sens de ce mot ?! Il allait se passer quelque chose, un mauvais
pressentiment força Lara à prendre un regard distrait totalement vide de
raisonnement.
Le jeune homme sorti de la masse de
végétaux, sentant un léger parfum d'eau caresser ses narines brûlantes. Un
parfum que la jeune femme n'eut pas de mal à suivre elle aussi, car ils
reconnurent tout de suite le lac. Ce lac, qui, il y a de cela plus d'un an,
les avait fait se serrer la main en son centre.
La grotte elle aussi était bien là, patiente, attendant de nouveau que le
couple vienne à sa rencontre. John... sentait qu'il devait s'y rendre, ses
souvenirs étaient là bas, cachés au fin fond des ténèbres. Son regard ne
pouvait se détacher du trou noir au loin, l'Ange posa alors une main
sournoise sur l'épaule du jeune homme.
« Qui y a-t-il John ?! Tu sens ton destin d'appeler ?! »
Le regard de John était indéchiffrable, trop de sentiments étouffaient ses
yeux, il bondit alors en avant et courut sur le pont qui survolait le lac.
Lara courut aux côtés de son ami. Un chant s'élevait de la nuit, un chant
d'invocation, formé seulement de deux voix. Une fumée rouge entourait deux
personnages, qui les bras priant le ciel, créaient par la magie, la dague
des immortels...bien dissimulés dans les fins fonds de la grotte. L'arme
s'élevait dans les airs dans l'épaisse fumée rougeâtre qu'elle absorbait en
partie.
« Certains créateurs furent directement anéantis par les immortels. À ce
moment, leur pouvoir fut transmis de génération en génération dans le sang
des humains, ayant gagné la guerre. D'autres Dieux s'enfuyant à temps,
enfermèrent leur pouvoir dans des objets, tel le cœur de la planète. Tu sais
bien John, cette pierre que j'ai incrustée dans ton torse afin qu'elle
déverse son pouvoir dans ton sang ?! »
Le jeune homme posa sa main sur la pierre, ses souvenirs, se reconstruisant
peu à peu, ressurgissaient comme un poème lugubre. La poésie de l'Enfer
hantait ses pensées, une terrible vérité, un passé irréel.
Quinze sortit alors la dague de sa poche, dévisageant Lara ne sachant que
faire, ne sachant comment réagir, encore impuissante à la situation.
« Mais le créateur de la mort, ainsi que celui de la création du corps
humain, se réunirent, réussissant dans un dernier espoir, à créer la
dernière chance des humains, cette dague, renfermant le seul pouvoir capable
de tuer un immortel. »
La jeune femme baissa alors les yeux en commençant à trembler de colère. Et
dire, qu'elle avait eu durant quelques secondes, la victoire sous les yeux...
« C'est pourquoi tu as envoyé John la récupérer pour toi. Ainsi, tu étais
sûr que personne ne s'en servirait contre toi ! »
L'aventurière vit alors des larmes s'écouler le long des joues de son ami.
Celui-ci ... savait, il avait compris malgré tout ce quelle s'était forcée à
lui cacher. Maintenant il n'y avait plus de doute, toutes ses hypothèses
étaient bien fondées, à son grand regret. Voulant vite s'excuser et tout lui
avouer, elle se précipita vers lui. Mais elle ne put que se faire
transpercer par le regard haineux de Quinze, prenant le contrôle des jambes
de la jeune femme l'empêchant ainsi de faire le moindre pas de plus.
« Laisse-moi, je dois lui parler ! »
« C'est bien trop tard, tu aurais dû apaiser ta conscience depuis longtemps
ou encore mourir. »
Lara écarquilla d'énormes yeux, ils enfermaient tellement de sentiment qu'il
était difficile de savoir ce qu'elle ressentait. De la triste, de la colère,
de la honte...la jeune femme se sentait se haïr.
L'Ange posa une main sur l'épaule de son
frère. John restait figé, un poing serré contre son cœur, le buste
légèrement plié en avant.
« J'ai tenu ma promesse, maintenant tes souvenirs sont de nouveau tiens, la
vérité est pour toi, frère. »
Le jeune homme porta ses mains à sa tête, comme s'il désirait broyer tout
cela, il ne voulait plus de tout ça, de ce passé idéaliste, Lara avait
raison, il n'en était rien.
« Braik...mon père... il m'a crée. Seize, la seizième créature créée dans ce
pitoyable labo. Je ne suis pas né de l'amour d'un père et d'une mère, je ne
suis qu'une expérience ?! » Murmura-t-il d'une voix difforme
Non il ne faut pas, pas comme cela, ça ne devait pas se passer ainsi. Lara,
elle était tellement désolée, mais n'arrivait pas à le dire. Elle voulait le
hurler, crier qu'elle le savait depuis longtemps, qu'à chaque seconde elle
voulait le lui dire, mais qu'elle avait été trop lâche pour cela. Oui trop
lâche, avouer qu'elle était morte de peur à cause de simples mots, que la
vérité broyait ses sentiments et qu'elle avait préféré fuir en pensant tout
oublier.
Quinze tournait autour de John la dague à la main, continuant les
révélations si longtemps redoutées et repoussées.
« Oui tu es la seizième créature que ce fou de Braik avait créée. Moi, juste
avant il disait que je n'étais qu'un prototype. Plus il avançait et
maîtrisait son pouvoir et plus ses créations vivaient longtemps. Et moi
N°15, j'ai été la première à être un véritable immortel. Mais le bonheur de
Braik, était loin d'être atteint, il n'atteindra son paroxysme, qu'avec
N°16, à qui il donnera même le nom de son fils décédé...John.
« Tais-toi ! » Hurla Lara au loin
« Là où le blondinet dépassait toutes les autres créatures, c'était que non
seulement sa croissance était d'une rapidité exemplaire, en effet sa peau se
forma totalement en seulement quelques heures. Mais en plus il réussissait à
développer des sentiments, des douleurs, des faiblesses dans cette même
croissance. Au fur et à mesure, il se rapprochait des humains que l'on
connaît aujourd'hui. »
La conscience de l'aventurière, ne cessait de la harceler, de la poignarder
de plus en plus. Tu as mal n'est-ce pas...tout ça, c'est de ta
faute...coupable ! Tu as été stupide, te voilà ridicule, incapable de
faire le moindre geste, incapable de dire la moindre excuse, tu as honte
désormais.
Quinze continuait sans reprendre un seul instant son souffle, son lugubre et
triste discours.
« Car c'est ainsi que la guerre prit fin il y a des siècles. Certains
immortels finirent pas devenir totalement faibles et réussir à redevenir de
pitoyables humains, n'ayant plus besoin de pouvoirs par ici par là pour
compléter leurs émotions. » Quinze haussa les épaules
« Pour Braik, John était la réincarnation parfaite de son fils. Et un
véritable trésor de richesse avec qui, il deviendrait l'homme le plus riche
du monde, en mettant son pouvoir au service de la médecine et de la science
en général. Mais moi, non seulement je n'étais que le second clown de cette
histoire, mais en plus on m'aurait enfermé dans un labo comme un vulgaire
rat ?! Alors, j'ai décidé de prendre les choses en mains, j'ai achevé le
vieux, je lui ai pris son pouvoir avant de vider la mémoire de l'autre
chouchou pour qu'il devienne sans le savoir mon petit chien. Monsieur Seize
arrivait à développer des sentiments sans l'aide de personne, mais
finalement moi aussi, mais je n'ai eu droit qu'à la haine et la jalousie. »
Lara n'en pouvait plus d'entendre tout cela
et de voir, son ami, sombrer dans la folie et la tristesse. Celui-ci
n'affichait plus la moindre lueur dans ses yeux, tels ceux de Caroline,
avant qu'elle ne sombre dans la mort.
« Tu aurais très bien pu aller chercher tes objets tout seul. Tu n'es qu'un
salaud de manipulateur ! Et cette dague tu n'en n'avais, guerre besoin, tu
crois, que beaucoup de personnes serait allé la déterrer pour tuer un
monstre dont il ignore l'existence ?! »
Il rit alors, une folie meurtrière possédait la voix de l'Ange et son
regard, devenait celui d'un fou sans la moindre pitié.
« Toi par exemple...Lara...tu ne te serais pas gênée...pour aller la chercher. »
La jeune femme serra alors les poings, comme pour retenir une indicible
haine. Elle aurait aimé bondir sur sa proie et la déchiqueter en lambeaux,
avant de les enterrer dans les abîmes.
« En effet et j'aurais même adoré...te tuer plusieurs fois. »
John n'affichait plus la moindre réaction, il ne put que lever la tête vers
Lara, affichant un regard plein de sentiment. De l'amour, de la tristesse,
mais également des remords et de la colère. La jeune femme se tue alors en
le voyant ainsi, se sentant tellement honteuse et mal à l'aise. Elle aurait
aimé sortir de cet endroit et s'expliquer près de la cheminée dans une
sérénité joyeuse. Elle aurait aimé sauter à son coup et l'embrasser
tendrement, lui offrant tout son amour. Elle aurait aimé ne jamais être ici,
le voir... la détester.
L'arme à la main, Quinze tournoyait
toujours autour de John, dans des pas parfaitement coordonnés et
symétriques. Il semblait un grand souverain, exposant parfaitement sa
suprématie et son pouvoir diabolique. Les rayons du Soleil perçaient les
fourrés, la grotte ayant disparu, la lumière, infecte, n'apportait aucune
chaleur. La lame piquait aux yeux, formant un reflet insupportable en
renvoyant les rayons du Soleil rouge.
« Vois-tu ...Lara...cette dague, renferme une petite partie du pouvoir de la
mort. À son contact des immortels tel que moi, deviennent sensibles à la
douleur et à la mort. »
Il stoppa alors, marquant également un temps d'arrêt dans son discours
obscur. Ses yeux se posèrent alors sournoisement sur le jeune homme...
« Tu veux une démonstration ? »
« REGARDE ! »
La seconde suivante explosa dans le sang, un mouvement si brutal... John se
plia en avant dans un horrible gémissement. Son sang s'écoula le long de son
dos et de son ventre jusqu'à ses jambes tremblantes sous la douleur. Lara
hurla, un cri qu'on ne pouvait comprendre. Le jeune homme porta ses doigts à
son ventre, il sentit le métal froid de la dague, fusionner avec son corps
bouillant.
La douleur, il ne l'avait jamais rencontrée face à face, il n'avait jamais
vraiment su ce que c'était, pas à un tel point, ni la mort...
Il leva les yeux vers son assassin, la vue floue, ne lui laissait distinguer
que des ombres spectrales effrayantes, la peur l'envahissait, une sueur
glaciale commença à prendre les traits de son visage déformé par la
souffrance. Quinze se pencha à l'oreille de sa victime et d'une voix
sadique, lui murmura ces derniers mots.
« Voilà ce que l'on ressent... quand on est un véritable humain... mon frère. »
Il tourna alors la dague, procédant à son extraction brutale dans un son
monstrueux son de chair comprimée. Le sang trempait les vêtements du jeune
homme d'un rouge vif. John, sentant ses forces l'abandonner, se laissa
tomber en arrière dans un demi-tour.
Enfin délivrée de son ensorcellement, Lara
se précipita pour le rattraper. Accroupie, John dans ses bras, elle ne put
que, paniquer devant l'éclatement de la vérité. Son ami se vidait de son
sang. Ses vêtements, déchirés, trempés du liquide infect collant à sa peau
dégoulinant de sueur glaciale. La jeune femme sentait le sang s'écouler le
long de ses cuisses, avant de former une flaque autour d'elle. Le corps de
John sursautait, de par sa respiration saccadée et maladroite. La blessure
était d'une profondeur affolante, transperçant le ventre et le dos du jeune
homme...souriant à son ami...voulant fondre en larmes. Il en avait reçu des
coups, Lara l'avait vu, saigner et presque mourir, mais toujours il s'était
relevé, alors pourquoi, ô oui John pourquoi ne te relèves-tu pas maintenant
?
Le jeune homme souffrait à chaque syllabe déformée tentant de fuir de ses
lèvres asséchées.
« Et toi tu le savais que je n'étais que le fruit d'une expérience douteuse...
?! Oui c'est ça que tu me cachais depuis tout ce temps ?! Ça te faisait
tellement honte, de me dire... que je n'étais pas véritablement humain ?! »
Elle se hurlait à elle-même de lui dire, dis-lui bon sang que tu es désolé.
Hurle-lui que tu avais peur, que tu doutais, pourquoi n'arrives-tu pas à lui
dire ?! Tes mains sont trempées de sang, vois-tu, tu te noies dans cette
peinture infecte. Tu n'ignores pas ce qu'il va se passer, alors, Lara,
pourquoi tu ne lui dis rien...
« Tu sais...Lara...quand tu m'avais dit qu'on se serrerait les coudes... même si
c'était un mensonge parmi tant d'autres... ça m'a fait plaisir. »
Ses paupières tremblaient, elles se battaient dans l'infinie, pour rester
ouvertes, toujours un peu plus, ne voulant pas se fermer. Et là, Lara, les
yeux grands ouverts sur l'horreur, se haïssait, de les avoir laissé si
longtemps fermés.
La voix de John se faisait faible et douloureuse, exposant une pénible
exacerbation grandissante, mais aussi mourante. Il sourit légèrement, ses
yeux bleus se noyaient dans la genèse de chaudes larmes pétillant sous les
rayons de la lumière flamboyante.
« Si tu savais comme je t'aim ... »
Ses yeux se fermèrent doucement, son corps, dans une dernière expiration,
s'aplatit. Plus un mot ne s'éleva dans les airs, ses doigts s'étendirent,
desserrant ceux de Lara. La tête du jeune homme bascula en arrière ses
cheveux traînant dans le sang et la poussière. La bouche de Lara tremblait
violemment, prise de convulsions tout le visage de Lara se mit à transpirer,
elle attrapa alors John par le col et le souleva.
« Et bien John vas-y, termines ta phrase ! Si je savais quoi ? Hein John je
veux la suite ! John j'attends !!!»
Elle le lâcha, il retomba au sol sans le moindre geste. La jeune femme se
leva, hurlant vers le ciel les mains entourant son visage. Elle criait
tellement qu'elle en croyait que ses poumons explosaient dans sa poitrine
douloureuse.
« NNNNOOOONNNNN !!!! »
Tous les bons moments défilèrent en une traite. Le film, il était horrible,
toute sa vie lui brûlait l'esprit... sa voix, lui, le passé, plus d'un an
qu'ils se connaissaient « Miss Croft, c'est un honneur pour moi de vous
voir en chair et en os ! », « Et bien, Lara, on n'arrête pas de se
voir en ce moment ! Je te manquais déjà ? », « Je suis ton ami, tu me
dis toujours tous ? » « Je t'aime ! »
La jeune femme serrait sa tête tel un boulon entre ses mains. Elle marmonna,
ses mots déformés n'étaient presque pas compréhensibles.
« Ô John parle-moi, pourquoi tu ne dis plus rien ?! »
Son visage, souriant, toujours, oui toujours il lui souriait, « J'ai décidé
de ne plus déprimer, et de sourire pour ne pas t'inquiéter ! ». Oui il était
triste, et pourtant, il souriait. Ce si joli sourire, comme elle aimait le
voir sourire. Mais maintenant, il ne sourira plus jamais, plus jamais...
« John...souris-moi...s'il te plaît... »
Elle voulait le préserver, comme il était, comme elle l'aimait. Elle se
fichait bien de ce qu'il pouvait être, c'était ce sourire qu'elle ne voulait
pas perdre. Brûler le passé et vivre l'instant présent. Mais l'instant
présent, il n'est que mort, désespoir et tristesse, oui le sourire est
parti, il s'est éteint. John ne rira plus, ne se mettra plus en colère, il
ne sourira plus...
« IL EST MMMOORRTTT !!!! TU L'AS TUE !!!! JOHN !!! JOHN EST MORT !!»
Lara tomba à genoux, près du corps inerte de son ami. Le sang gicla dans le
choc du corps, éclaboussant un peu plus le visage flamboyant de
l'aventurière. Elle étouffa son visage dans ses mains ensanglantées avant de
s'effondrer sur le corps de John, le serrant dans ses bras tremblant,
pleurant toutes les larmes de son corps.
« NON PAS ÇA !!! PAS TOI !! NNNNOOOONNNNN !!!!!! »
La brume noire l'entoura, dans un tourbillon de cris et de larmes, tout
disparut, tout s'effondrait autour d'eux, il ne restait plus rien, seul le
chant de la mort résonnait dans les noires ténèbres et tout s'évapora dans
une brume rouge.
Le flux se laissait aller, la douce musique
des vagues venant et repartant, embrassant la plage d'un baiser fougueux
avant de repartir vers le large, enveloppant le silence. La plage était
déserte, seul le sang se mélangeait au sable blanc, seul le chant de Lara
pleurant dansait avec la musique des vagues, exposait une petite vie bien
triste.
« J'adore la mer. C'est tellement beau. Tellement reposant. Tu n'es pas
d'accord avec moi...Lara ?! »
Le Soleil se mourrait lui aussi, s'engouffrant dans la mer l'embrasant d'une
couleur sanglante. La nature se couchait, s'éteignant, la pierre de John se
laissa tomber dans le sable, le cristal recouvert de sang se noya dans la
poussière d'or.
Lara passa son bras le long de ses yeux afin d'en chasser ses larmes
brûlantes. Tout son visage était trempé de sang, sa peau la brûlait-elle,
qu'elle ne pouvait s'arrêter de pleurer.
« Je n'ai pas menti, non je ne t'ai jamais menti. Je voulais... je voulais
juste te garder comme tu étais... mon ami...celui que je voulais... n'avait pas
besoin de passé. »
Elle se leva, regardant l'horizon, scrutant plus loin que l'infini, voyant
des choses que seuls ses yeux malheureux pouvaient trouver. Restant, en cet
instant à écouter les vagues lui murmurer leur doux secret. Une mouette se
laissa planer, disparaissant dans le lointain, disparaissant ...dans le
lointain...
La jeune femme se baissa, soulevant délicatement le corps de John sans même
le regarder. Elle sentait un corps froid, plus froid que le plus inconnu des
glaciers, plus pâles que le plus délicat des flocons, plus silencieux que le
plus triste des mots.
John dans ses bras, elle s'avança vers le large, marchant à petits pas tout
en soulevant un léger voile de sable marin sous ses semelles. Le sang
fusionnait avec l'eau, se dissipant dans le vaste Océan. Le liquide chantait
doucement, un son poétique, mais aussi bien maussade et solitaire.
L'eau remontait doucement, les mollets, les cuisses, les hanches, la jeune
femme ne faisait pas attention aux caresses de la nature, pourtant si
agréables. Des caresses douces, avec une petite sensation de malice, comme
celles d'un être aimé.
Lara stoppa alors, toujours en dévisageant le Soleil couchant. Ses cheveux
se laissaient porter par le vent, la brise marine, caressant et asséchant le
visage regrettable de la jeune femme.
Ses bras se laissèrent alors tomber, doucement, sûrement, dans l'eau.
La mer emporta John dans ses bras rassurants, entraînant celui –ci dans les
profondeurs, l'enlevant à Lara, pour ne plus jamais le lui rendre. Le corps
disparut dans les flots, s'enfonçant ainsi dans les abysses.
La jeune femme quitta le Soleil, s'enfuyant
également, la nuit l'envahit, les étoiles piquèrent une à une le ciel,
totalement dégagé de nuages. La voix lactée borda les constellations, la
nature s'endormit dans le calme. Lara laissait l'eau caresser sa peau, cette
douceur, qu'elle n'avait jamais assez respectée. On pouvait distinguer
proche du corps, l'eau former de petits cercles, s'agrandissant jusqu'à
disparaître, pourtant...il ne pleuvait pas...non c'était Lara qui pleurait
encore, qui se laisser pleurer maintenant...
Le vent se faisait frais, vraiment d'un froid horrible, la peau de Lara
frissonnait. Elle se serra alors dans ses propres bras.
« J'irais jusqu'au bout...et je tiendrais... ma promesse ! »
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