Chapitre 1
- Excellent, Miss, dit Winston sans trahir une seule émotion.
La "miss" ne répondit rien et jeta ses deux revolvers encore fumants sur le plateau que lui tendait son majordome, puis arracha la serviette pendue autour de son bras.
- Votre bain est prêt, et le repas le sera dans une heure, Miss.
- Merci, lâcha-t-elle.
Quand elle descendit dans la salle à manger, Lara Croft était transformée. Radieuse et souriante, elle se jeta dans son fauteuil et posa négligemment les pieds sur la table, au grand dam de son majordome.
- Je meurs de faim, Winston ! s'écria-t-elle.
- Ca arrive, répondit-il. Vous avez les journaux du jour à lire.
Il s'éclipsa et revint peu après avec le repas, mais eut la surprise de voir Lara les yeux perdus dans le vague, un des journaux à la main. Il haussa un sourcil interrogateur.
- Miss Croft ? s'enquit-il. Lara ?
La jeune femme resta silencieuse. Puis elle tourna enfin les yeux vers son vieux majordome.
- Henry Jones ? demanda-t-elle soudain.
Winston posa le plateau sur la table en soupirant : il connaissait bien ce regard déterminé.
- Un célèbre archéologue, répondit-il.
- Sa famille ?
- Archéologues de père en fils, tout comme votre père et vous.
- Mais encore ?
Le majordome savait où elle voulait en venir. Elle était si transparente pour lui... Il l'avait quasiment élevée, et aimée comme un père. Mais il joua le jeu.
- Et bien, je pense que son grand-père, ou arrière-grand-père, était le Henry Jones qui mourut lors de la quête du Saint Graal.
Lara le regarda, visiblement satisfaite. Ses yeux repartirent dans le vague.
- Henry Jones Junior, plus connu sous le nom d'Indiana Jones... rêvassa-t-elle.
Elle quitta aussitôt sa rêverie, descendant les pieds de la table, et se pencha vers son majordome.
- Et s'il avait réellement découvert le Graal, Winston ?
- D'après la Bible et tous les écrits sur le sujet, ainsi que les études plus ou moins sérieuses menées... (Lara lui fit signe d'arriver plus vite à la conclusion) il serait devenu immortel !
Winston s'indigna du petit sourire satisfait de la jeune femme.
- Lara, vous n'y pensez pas ! s'écria-t-il.
- Oh si, j'y pense ! Et comme j'ai toujours raison, ce type est le vrai Indiana Jones, l'original, celui de l'époque !
Anglais pure souche, Winston garda son flegme.
- Et que comptez-vous faire, Miss ? s'enquit-il.
- Discuter avec cette légende vivante, bien sûr ! Mon Jet n'est pas encore prêt ?
- Nous allons bientôt atterrir, Miss Croft, fit la voix du pilote grésillant par le haut-parleur.
De son fauteuil, Lara jeta un long regard par le hublot, admirant la majestueuse ville de Bombay. Elle ne voyait, pour l'instant, que les imposants buildings ultra-modernes, qui semblaient être construits directement sur l'océan. Elle était déjà venue, bien sûr, mais c'était une des rares villes au monde dont elle ne se lassait pas. Un petit sourire de contentement aux lèvres, elle attacha sa ceinture.
L'atterrissage se déroula sans encombre. La belle aventurière descendit du Jet et s'avança d'un pas décidé vers la limousine mise à sa disposition par l'université de Bombay. Ne voulant pas se déplacer pour rien, elle avait annoncé son arrivée et sa volonté de rencontrer le docteur Jones. Le nom de son père, quand elle le précisa, avait fait l'effet d'un véritable sésame. Un Indien d'une quarantaine, svelte et à la mise impeccable, portant avec élégance un costume occidental, l'attendait devant la voiture.
- Miss Croft, je suis Rachid Aktar, directeur de l'université et accessoirement ami et collègue du docteur Jones. Je vous souhaite la bienvenue en Inde.
Il baisa la fine main qu'il avait silencieusement demandé en tendant sa propre main.
- Je vous remercie de votre accueil, Mr. Aktar, répondit Lara. Revenir à Bombay est toujours pour moi un pur ravissement.
- Notre humble université s'honore de votre présence, Miss, et le docteur Jones est impatient de faire votre connaissance.
- C'est réciproque, croyez-le bien !
Le professeur ouvrit galamment la portière de la limousine, et Lara s'y engouffra.
- Je vous accompagne a votre hôtel, Miss Croft. Vous pourrez vous reposer de votre voyage et vous préparer pour ce soir.
- Ce soir ? releva Lara.
- L'université organise justement un cocktail, ce soir. Vous y êtes bien entendu conviée, et vous aurez alors tout le loisir de parler avec le docteur Jones.
- C'est parfait !
Quelques heures plus tard, la limousine était de retour aux pieds du somptueux hôtel. Lara Croft descendit les quelques marches, vêtue d'une superbe robe de soirée noire, joliment fendue. Un collier de valeur scintillait discrètement a son cou. Le professeur Aktar en resta bouche bée, puis bafouilla quelques compliments peu assurés.
- Miss Croft, vous êtes... absolument sublime ! finit-il par articuler.
- Merci, vous êtes gentil, répondit-elle en souriant.
Elle s'installa dans la limousine. Il referma la porte sur elle et fit le tour de la voiture, un sourire aux lèvres: ce bon vieil Indiana allait encore s'en payer une bonne tranche !
Apres quinze bonnes minutes de trajet, la limousine stoppa devant l'université. C'était un bâtiment magnifique, dont l'architecture était clairement influencée par l'art roman occidental : des arches, des colonnes sculptées, des ogives, des vitraux, etc. L'université était composée d'un seul bloc rectangulaire, avec quatre tours dans les angles et une plus grande tour centrale, posée contre la façade avant du bâtiment. Le professeur Aktar offrit son bras à une Lara conquise et la guida à l'intérieur du prestigieux édifice. Dans l'immense hall d'entrée, qui servait donc de salle de réception, plusieurs groupes de discussion s'étaient déjà formés, tous composés de vieux professeurs à barbe ou de femmes richement vêtues et affichant un certain âge. Lara se rendit compte avec amusement de l'émoi général qu'elle suscita, étant clairement la plus jeune de l'assemblée. Elle inclina poliment la tête plusieurs fois tandis que son cavalier la mena directement a un groupe éloigné. Les quatre hommes se turent aussitôt, tandis que le professeur plaça élégamment Lara face au plus jeune du groupe. Il avait une bonne quarantaine, mais d'allure charmeuse et sportive, et un regard aussi pénétrant que malicieux: elle ne pouvait pas confondre. Lara lâcha le bras de son hôte et proposa sa main a son interlocuteur.
- Lady Croft, dit-elle. Lara Croft.
L'homme se saisit doucement de la main et posa un léger baiser dessus, sans la quitter des yeux.
- Je suis complètement sous le charme, dit-il avec un sourire gourmand, et sans lâcher la fine main. Je suis le docteur Jones. Indiana Jones.
- Indiana ? releva-t-elle, innocemment. Sans vouloir vous offenser, on dirait le nom d'un chien.
- Vous ne m'offensez pas, et c'est une longue histoire, avoua-t-il. « Indiana » est en effet un surnom que j'ai, à l'instar de mon grand-père, pris pour prénom principal.
- Ah oui, votre grand-père... Le célèbre Indiana Jones. La légende. Le mythe qui a trouvé le Saint Graal au nez à et à la barbe d'Hitler. On raconte que la coupe du Christ offre l'immortalité à celui qui y boit...
Le sourire du docteur Jones se figea quelque peu. Un léger trouble voila son regard, imperceptiblement. Lara fut la seule à le remarquer. Elle s'inquiéta également d'avoir trop poussé trop vite, de l'avoir brusqué. Il fallait jouer plus finement que ça, encore.
- Et vous, charmante demoiselle, reprit-il. Seriez-vous la fille de Richard Croft ?
- Ci fait.
- De vraies célébrités, père comme fille ! Ceci dit, si je puis me permettre, la fille est autrement plus belle que le père. Du moins de mon propre goût... Vos propres exploits sont dignes d'intérêt, Miss Croft. On raconte que vous auriez trouvé la fabuleuse dague de Xian ?
Lara réajusta élégamment sa robe de soirée. Elle comptait faire passer ce silence à la fois pour une approbation et pour une modestie délicate. Le docteur Jones ne tomba pas dans le piège. Bien au contraire.
- Voyons, la légende dit que la dague de Xian transforme quiconque la possède en dragon invincible. Si je suis immortel grâce au Graal, seriez-vous un immense dragon ?
Les quelques convives présents dans le groupe se mirent à rire. Le docteur Jones poussa son avantage.
- En ce cas, vous cachez fort bien vos écailles, Miss Croft !
Les rires se firent de plus en plus appuyés. Mais le docteur Jones les ignora. Il avait le regard fixé sur celui de la jeune femme, qui le soutint, menton levé, d'un air de défi. Ils s'étudièrent un moment en silence, immobiles, face à face comme deux gladiateurs dans une arène. Les rires s'estompèrent.
- Auriez-vous l'amabilité de m'offrir à boire, docteur Jones ? s'enquit-elle.
- Avec le plus grand des plaisirs, Miss, sourit-il, les yeux pétillants.
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