Chapitre 10
Indy arriva à Heathrow, l'aéroport
international de Londres, après cinq heures de vol particulièrement
épuisantes. Il avait lu et relu ses notes, résultat de deux jours de
recherches laborieuses. Il savait maintenant qu'il fallait se présenter
devant les portes d'Asgard avec une femme vierge et pure, brandir la lance
et, une fois à l'intérieur, la rendre à Odin en personne, sous la bonne
garde de Walkyries. Ensuite, ils pourraient demander les ingrédients
mythologiques nécessaires pour refaire une laisse à Fenryr, le Loup Géant
dont le réveil perturbait depuis une semaine la météo sur l'hémisphère nord.
Indy aurait presque pu se décourager devant l'ampleur de la tâche si ce
n'était déjà fait par l'annonce que lui avait faite Marcus, cinq heures
auparavant : Lara avait été arrêtée pour meurtre. Ce fait l'inquiétait
énormément, bien sûr, car il craignait pour sa jeune amie. Mais ce qui le
gênait également, c'était cette petite, cette infime partie de son
inconscient qui affirmait qu'elle était réellement coupable de meurtre.
***
Lara était appuyée contre la vitre en
plexiglas de sa cellule, dans les sous-sols de Scotland Yard. Elle n'était
qu'en garde à vue, simplement soupçonnée de meurtre, mais elle se sentait
déjà prisonnière. Mentalement comme physiquement. La grande cellule
contenait ce que Lara aurait qualifié de rebuts de la société si elle
n'était pas du même côté de la serrure. La plupart des femmes présentes
étaient des junkies en manque, des vagabondes ramassées ça et là, et des
prostituées qui avaient racolé la mauvaise personne. Et Lara. Finalement la
pire de toutes les femmes enfermées. Une meurtrière. La jeune femme secoua
la tête pour chasser ces pensées atroces et reporta son regard sur
l'extérieur. Sur les flics qui vaquaient à leurs occupations. Sur la
liberté. Un policier en uniforme s'approcha enfin, ouvrant la cellule.
- Lara Croft ? demanda-t-il.
- C'est moi, répondit-elle.
- Votre avocat vient d'arriver. Suivez-moi.
Elle s'exécuta immédiatement, trop heureuse de quitter ce cube de plexiglas.
Le policier l'amena dans une petite pièce nue, certainement dotée d'un
miroir sans tain, où l'attendait un vieil homme en costume. Lord Carrew
était un avocat de renom, célèbre pour avoir défendu de graves affaires très
médiatisées, mais également un vieil ami de la famille Croft.
- Lara, ma pauvre petite, fit-il en serrant la jeune femme dans ses bras.
Elle accepta la franche accolade : si ce vieil homme lui faisait peur étant
enfant, il était maintenant son ultime salut.
- Lord Carrew, fit-elle, la voix nouée par l'émotion. Dites-moi tout, je
vous en prie.
L'avocat la fit asseoir en face de lui, à la table nue et vissée par terre.
- Ca va être compliqué, ma petite, je ne te le cache pas, commença-t-il
d'une voix chevrotante.
- C'est à dire ?
L'avocat ouvrit un dossier et, chaussant ses lunettes rondes, le parcourut
rapidement.
- Ce monsieur West a porté plainte pour coups et blessures, et...
- Je ne le nierais pas. Je l'avouerais sans problème. Je veux savoir pour
Penny.
- ... et il témoignera à charge, certifiant que tu as réclamé à voir la
victime juste avant de l'assommer.
- Ca ne fait pas de moi la meurtrière.
- Non. Certes, non. Mais ce n'est pas à moi d'en décider mais à un jury
populaire.
Lara serra les dents.
- Je vais être amenée aux assises ?
- Lara, tu es accusée de meurtre !
- Mais je suis innocente !
Carrew resta silencieux, compulsant ses notes. Il leva régulièrement les
yeux sur la jeune femme, sans rien dire. Simplement avec tristesse.
- Si je suis déclarée coupable ? demanda-t-elle enfin.
Carrew soupira : sa phrase lui en coûtait.
- Quinze ans de prison, que je pourrais ramener à dix grâce à ta réputation.
Il avait à peine terminé sa phrase que des larmes jaillirent des yeux de la
jeune femme. Serrant les dents, elle pleura un moment en silence. L'avocat
resta silencieux.
- Lara, il me faudrait un miracle, reprit-il à voix basse. Retrouver le
véritable meurtrier.
La jeune femme releva soudainement la tête, les yeux écarquillés.
- Mais j'ai vu le meurtrier ! s'exclama-t-elle. Un jeune, brun ! Il m'a même
menacé de son arme !
L'avocat prit aussitôt de quoi écrire.
- Voilà qui change tout ! Tu peux déclarer ça à l'inspecteur qui procédera à
l'interrogatoire. Je l'obligerais alors à lancer un mandat de recherche sur
cette personne.
- Mais je ne suis pas libre pour autant...
- Non, Lara, tu devras rester en préventive le temps de l'enquête. Désolé.
- Impossible... Les intempéries vont s'accélérer, le monde va sombrer dans le
chaos si je ne l'empêche pas.
- Pardon ?
- Rien. Je parle toute seule.
- D'accord. Peux-tu me décrire cet homme ?
- Assez grand, brun, mignon. Un bouc. Une cicatrice sous l'oeil gauche. Un
regard bleu très froid. Vous pourriez prévenir quelqu'un de ma... situation ?
- Bien sûr.
- Docteur Indiana Jones.
- C'est noté. Bien, passons à l'interrogatoire. Ce n'est pas quelque chose
de facile. Ils vont mettre la pression pour t'arracher des aveux. Je
contrôlerais bien entendu, afin d'éviter les abus, mais ils ont tous les
droits, ou presque. Tu es suspectée de meurtre, et ils n'ont que toi sous la
main. Ils rêvent donc de te mettre sous les verrous pour très longtemps. De
plus, ton standing les fait saliver d'autant. Et puis... la victime était
mineure.
Les larmes de Lara remontèrent à ses yeux. Elle les refoula d'un revers de
main rageur.
- Je suis prête, fit-elle. Passons à l'interrogatoire.
***
Une cicatrice sous l'oeil gauche. Fine et
assez discrète, et pourtant le regard y était invariablement attiré. C'est
ce qu'Indy constata quand le jeune homme l'accosta, à l'aéroport de Londres.
- Docteur Jones ? demanda l'inconnu.
- Lui-même. Vous êtes ?
- Kurtis Trent. Je suis enchanté, docteur.
Indy secoua la main que le jeune homme lui tendait avec ferveur. Il ne
cachait néanmoins pas sa méfiance : personne ne savait qu'il serait sur ce
vol, puisque sa présence en Angleterre résulte d'un fait exceptionnel. Il ne
s'agissait donc que d'un admirateur l'ayant reconnu. Pur hasard. Cependant
quelque chose dans le comportement du jeune homme gênait beaucoup Indy. Les
mouvements du jeune homme trahissaient un simple fan, tout excité de
rencontrer son idole, mais son regard était tout autre : il était dur et
froid, sans âme. Bien loin de l'excitation d'un fan. Indy n'avait jamais vu
un tel regard chez quelqu'un d'aussi jeune. Son malaise s'accentua, mais il
n'en montra rien.
- Je peux vous aider, monsieur Kurtis Trent ?
- Ce serait plutôt l'inverse, docteur. Si vous acceptez toutefois de
m'accorder un entretien privé.
- Je suis désolé, mais ce ne sera pas possible. Je suis très pris, et le
temps me manque. Y compris tout de suite. Je suis en retard à mon
rendez-vous.
Indy commença à s'écarter pour se diriger vers un taxi.
- C'est bien dommage, docteur Jones. Mon aide vous serait précieuse.
- Et bien envoyez-moi un CV, répondit-il, agacé.
Il s'éloigna, sans se retourner. Il sentit néanmoins que le jeune homme le
suivait à distance. Il s'engouffra dans un taxi, mais ne put en fermer la
portière : Trent la bloquait.
- Je ne veux pas me faire insistant, docteur Jones, mais je peux vous être
utile : je connais bien la mythologie scandinave.
L'espace d'un souffle, Indy fut totalement décontenancé. Il se reprit
incroyablement vite, mais c'était trop tard : le jeune homme avait compris
qu'il avait fait mouche. Il plongea aussitôt sur l'opportunité.
- Je vous laisse ma carte, docteur. Si vous changez d'avis.
- La mythologie scandinave ne fait pas partie de mes attributions, répondit
Indy, tout en empochant le petit bout de bristol. Je suis très en retard...
Le jeune homme lâcha la portière. Indy la ferma aussitôt, et le taxi
démarra.
***
Ce ne fut que lendemain, après une nuit
assez courte dans un hôtel, qu'Indy put avoir accès à la prison pour femmes,
là où Lara avait été transférée en attendant son procès. Il s'y présenta
donc avec la ferme intention de remonter le moral de sa jeune amie,
totalement désespérée d'après son majordome. Une gardienne l'amena au
parloir, où il s'installa. En attendant Lara, il joua avec la carte de
visite du mystérieux fan. Il avait parlé de mythologie scandinave.
Sciemment. Ca ne pouvait pas être une coïncidence : cet inconnu était
également au courant de la véritable raison des bouleversements climatiques.
Même si ce jeune homme semblait du côté d'Indy, son intervention restait
inquiétante. Perdu dans ses pensées, il posa la carte sur la table et revint
à la réalité. Lara arriva alors, accompagnée d'une gardienne. Elle
s'installa de l'autre côté de la vitre en plexiglas et décrocha le combiné.
- Ca boume, Indy ? demanda-t-elle en souriant.
Indy ne fut pas dupe : la jeune femme luttait pour ne pas s'effondrer. Elle
avait les traits tirés, le visage très pâle, et ses longs cheveux n'étaient
pas coiffés, en plus d'être d'un blond platine.
- Sympa, ta couleur de cheveux, fit joyeusement Indy. Avec des mèches
mauves, en plus ! C'est joli.
Le coeur n'y était pas. Indy aurait voulu la prendre dans ses bras pour la
consoler. Mais c'était impossible. Emu et profondément affecté, il regarda
sa jeune amie fondre en larmes devant lui, derrière une vitre de plexiglas.
- Lara... commença-t-il, la gorge nouée.
- Excuse-moi, fit-elle en essuyant ses larmes. Mais dix ans en prison, ça me
retourne la tête. Et te voir là, si proche et si lointain...
- Lara, écoute, tu vas t'en sortir. On va tout faire pour te faire sortir de
là. Tu es innocente !
- Tout m'accable, Indy...
- Mais tu as vu le meurtrier, non ?
- Oui. Mais le Yard n'a ni l'envie, ni les moyens de retrouver un type
quelconque, brun et portant un bouc.
- Mais si... Et si la police ne le fait pas, moi je le ferais. Je trouverais
ce type.
- C'est gentil, mais c'est impossible. Je vais passer dix ans en prison !
- Courage, ma chérie. Tiens le coup, je vais te sortir de là !
Une gardienne arriva alors, signifiant à Indy que la visite touchait à sa
fin. A contre-coeur, il reposa le combiné et regarda sa jeune amie retourner
à sa cellule. Attristé, il se leva à son tour et quitta la prison. Derrière
lui, la gardienne rangea la chaise et jeta le carré de bristol qu'il venait
d'oublier sur la table.
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