Partie 2 : A Dream of Red Hands
Chapitre 7 : Suspicions
Étrangement, si une chose vous préoccupe,
vous êtes toujours certain de la retrouver dans vos rêves d'une manière ou
d'une autre. Ces nuits-ci, Werner, le linceul, le Sanglyphe et Kurtis se
sont ainsi retrouvés dans les miens.
Rêves de meurtres, de mauvais souvenirs...Mais la question que ces cauchemars
m'amenaient à me poser était : oui ou non, étais-je responsable d'une part
de l'assassinat de mon ancien mentor ? C'était une énigme dont je ne
trouvais pas la clef, d'autant plus que ma mémoire restait occultée - une
fois de plus...Plus j'essayais d'y réfléchir, plus la scène s'effaçait de mon
esprit, et je retrouvais le remords dans mes songes.
Aussi pris-je la décision de me considérer à nouveau comme coupable, jusqu'à
ce que je me prouve mon innocence. Non, quelque chose n'allait décidément
pas chez moi. J'ignorais encore quoi...mais je me considérais comme pouvant
être encore sous l'emprise de mes démons intérieurs. Comme Putaï me
manquait, à ces instants emplis de profonds doutes et de malsaines pensées...
Seule bonne nouvelle de la semaine, Kurtis
était assez guéri pour se mouvoir normalement ; mais s'il n'y prenait pas
garde, sa blessure aurait tôt fait de se rouvrir. J'imagine que c'était la
raison de sa mauvaise humeur...A moins que ce ne soit la conversation de la
veille qui l'eusse rendu si bougon.
-Alors, vous seriez une pilleuse de tombes
? avait-il dit hier soir.
J'avais acquiescé, plongée dans le nettoyage de mes Uzis.
-Et...vous avez beaucoup de trésors pillés ?
J'avais haussé un sourcil, avant de répondre :
-Evidemment. Sauf que je préfère dire que ces trésors, je les ai récupérés
pour éviter qu'ils ne tombent en de plus encore mauvaises mains.
-Mauvaise conscience, hein ?
J'avais haussé les épaules, indifférente. Après tout, pourquoi faire une
collection d'artefacts s'ils étaient tous légaux à trouver ? Cela n'avait
aucun intérêt. Et si cela permettait de mettre des bâtons dans les roues à
des ennemis, tant mieux.
-Z'avez trouvé quoi, récemment ?
J'avais pris mon Uzi et m'étais tournée vers lui, tenant l'arme d'un geste
désinvolte.
-Un linceul. Pourquoi cela vous intéresse-t-il tellement ?
Il a secoué la tête.
-Questions comme ça, rien de plus.
Il s'est tu un moment, avant de redemander brusquement :
-C'est quel genre de linceul ?
-Poussiéreux, gris et rapiécé.
-Mais encore ?
J'ai levé les yeux au ciel, exaspérée.
-Le genre de linceul qui recouvrira votre corps dans votre future tombe si
vous continuez à me questionner.
Je lui jetai un regard noir, tentant de lui faire comprendre que je n'avais
pas envie de répondre à d'autres questions. Il avait dû comprendre, car il
se mura à nouveau dans le silence, tandis que je finissais de nettoyer mes
armes et partais les ranger dans ma chambre, alors que je repensais à mon
horrible cauchemar où son corps était effectivement recouvert du linceul...
Oui, c'était sûrement cette conversation
qui l'avait rendu boudeur, d'autant plus qu'il m'avait encore demandé ce
matin s'il pouvait voir mes artefacts, ce à quoi j'avais opposé un refus
définitif. Je n'avais pas oublié le vol de ma Peinture du Louvre. Et après
tout, je ne le connaissais pas tant que ça.
Alors que je retournais dans ma chambre
afin de nettoyer les armes m'ayant servi à Paris et à Prague, je croisai
Winston qui sortait de la chambre d'artefacts.
-Un problème dans mon petit pays des merveilles, Winston ?
Il eut un faible sourire.
-Non, aucun. Je descendais vérifier que tout était en ordre et j'ai passé un
instant à regarder vos trésors, Lara. Il y a eu une coupure de courant une
minute.
Une ombre passa dans ses yeux, du moins en eus-je l'impression. Je penchai
légèrement la tête vers lui avant de demander :
-L'électricité est revenue, n'est-ce pas ?
Il leva les yeux vers moi.
-Oui, Lara, absolument. Non, c'est juste que le linceul que vous avez
récemment acquis m'a rappelé quelque chose.
Devant mon air étonné, il expliqua :
-Que si les linceuls en général n'étaient pas prévus pour quelqu'un, ils
rendaient fous les gens l'entourant. Par le fait qu'ils représentent la
mort.
J'hochai la tête en esquissant un sourire amusé.
-Une vieille superstition, oui...
Il me lança un regard inquiet.
-Cela peut se révéler vrai.
Je secouai la tête négativement. Pour moi, les linceuls n'étaient pas des
objets rendant fous. N'est-ce pas ? Après tout, c'était un vieux drap blanc
et usé, rien de plus.
Ce fut au moment où cette pensée me traversa que le manoir fut soudain
plongé dans le noir, d'un seul coup. Surprise et agacée, je levai les yeux
au ciel.
-Allez voir le générateur, Winston, je vous prie.
Il passa à côté de moi, tandis qu'il murmurait qu'il avait de toute façon
l'intention de le faire après la coupure de mon pays des merveilles, comme
je surnommais la chambre des artefacts.
L'air siffla autour de moi.
-Kurtis ? demandai-je à voix haute. C'est vous ?
Mais s'il s'agissait de son Chirugaï, où était passée la lumière rouge qu'il
émettait habituellement ? Je ne voyais rien dans une telle obscurité.
J'espérais que Winston ramènerait vite la lumière. J'aurais dû installer des
lampes de secours. Je sentis le Chirugaï virevolter encore quelques instants
à mes côtés, avant de disparaître.
Prudemment, à tâtons, je continuai mon chemin vers ma chambre. Il fallait
attendre le retour de l'électricité.
Je m'assis sur mon lit et patientai. Un long moment s'écoula. Autour de moi,
je pouvais à peine distinguer les contours des meubles et des murs. Un autre
instant passa, semblable à une éternité. Et si l'extension de la Coterie
avait organisé la coupure d'électricité ? Alarmée à cette idée, je fouillai
dans mes tiroirs, saisissant mon vieux casque de communication et un 9mm.
J'allumai la lumière du casque. Merci Zip, malgré qu'on se soit perdus de
vue...J'enlevai le cran de sûreté de l'arme, et la tenant à deux mains, je
m'engageai dans le couloir et descendis silencieusement au salon.
Je venais de poser un pas sur l'escalier quand une détonation retentit,
suivie d'un gémissement. Je me mordis la lèvre inférieure. Winston !
Je réglai la puissance de ma lampe pour qu'elle soit très faible, avant de
sauter par-dessus la rampe d'escalier, me rétablissant assez brutalement au
sol. Des lampes-torches éclairaient le salon, peinant à percer les ténèbres
régnant dans le manoir. J'en comptai cinq. Je vis une silhouette à terre,
celle de mon majordome.
Plus loin, une lumière rouge indiquait la présence de Kurtis.
Durant un instant, une seule pensée me traversa.
Ce n'était pas moi qu'on voulait, mais le dernier membre du Lux Veritatis.
L'instant d'après, je me précipitai dans le salon et fit feu.
|