Couvrant une superficie de 23 km², c'est le site archéologique le plus large de cette
partie des Andes. La ville possédait un plan centré qu'elle conserva au long de
son histoire. Tiwanaku a été l'une des villes les plus importantes des Andes
pendant près de 600 ans (entre 500 et 1150 de notre ère), pourtant elle reste encore
très mystérieuse. On sait qu'elle fut occupée dès la Préhistoire (- 800),
probablement par des chasseurs de lamas, mais les constructions de cette époque
ont été effacées par les grands temples construits bien plus tard.
Entre 500 et 800 de notre ère, les souverains de Tiwanaku lancèrent un vaste
programme de construction : temples, canaux souterrains et égouts furent bâtis
dans toute la ville. Des palais réservés à l'élite furent construits au centre,
en briques et en pierre sculptée. Le centre-ville, entouré d'une muraille,
abritait aussi les édifices publics. A son apogée, Tiwanaku comptait entre
10.000 et 30.000 habitants.
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A la même époque, la ville élargit son pouvoir politique et économique. Elle devait en
outre posséder une force militaire impressionnante. Aussi la culture de Tiwanaku
devait-elle toucher entre 400.000 et 500.000 personnes. Son influence
s'étendait du nord du Chili au nord du Pérou.
Le pouvoir de Tiwanaku commença à décliner vers l'an 1100. La ville se dépeupla
très rapidement, peut-être en raison d'une sécheresse dévastatrice qui
commença à cette époque et dura près de cent ans. Les souverains,
qui jusque là étaient tenus pour garants de la prospérité de leur civilisation,
furent sans doute considérés comme coupables de cette punition divine.
A l'époque de la conquête espagnole, en 1532, les Incas apprirent aux conquistadors
que, selon la légende, leurs origines remontaient à Tiwanaku. Cette
civilisation brillante avait donc laissé des traces dans les mythes,
mais ils ignoraient tout des véritables souverains qui avaient habité
cette ville 700 ans plus tôt et dont ne restaient plus que des ruines.
Par ailleurs, Tiwanaku ne connaissait pas l'écriture. En l'absence de sources
écrites, ce que l'on sait de cette civilisation tient donc surtout aux
sources matérielles de l'archéologie et des objets issus de collections...
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Vie domestique
On a longtemps cru que Tiwanaku n'était qu'un centre cérémoniel et qu'aucun peuple
n'y vivait quotidiennement. Des études récentes ont montré que le site comprenait
autant d'édifices de culte, comme le temple semi-souterrain et la célèbre "Porte
du Soleil", que d'habitations. Le centre-ville était séparé par des rues
perpendiculaires, entre des blocs de maisons accolées les unes aux autres
selon un schéma strict. Les maisons elles-mêmes constituaient une seule unité,
dans laquelle vivait une famille. Les demeures les plus simples comptaient
généralement une pièce centrale, dans laquelle on cuisinait, on élevait les
enfants et on procédait à des cérémonies, ainsi qu'un patio extérieur où avaient
probablement lieu les activités artisanales (tissage, céramique,...) si le
temps le permettait. Pour apporter chance et prospérité à leur famille, les
habitants de Tiwanaku avaient pour habitude d'enterrer un foetus de lama
sous le sol de la maison.
Royauté
C'est en partie la culture de Tiwanaku qui, avant les Incas, a introduit l'idée
d'empire dans les Andes. Sans témoignage écrit, il est difficile de savoir exactement
comment les souverains ont réussi à étendre leur pouvoir. Tiwanaku était très connue
pour son rôle rituel : beaucoup de pèlerins s'y rendaient pour des célébrations.
Il est possible qu'à l'image d'autres villes d'Amérique du Sud, Tiwanaku ait
assis sa puissance grâce à la religion.
Certaines célébrations étaient organisées par l'élite au pouvoir, et à
cette occasion, les souverains donnaient les ordres qui devaient être
exécutés. Ils pouvaient ordonner des travaux aux champs, ou de grands
ouvrages de construction. La population, en remerciement des fêtes données,
devait exécuter ces ordres. C'est ainsi que cette civilisation, constituée de
petites cultures séparées, a maintenu sa cohérence pendant plus de 600 ans.
Culte
De nombreux temples couronnaient la cité, dont plusieurs pyramides à degrés,
mais il n'en reste aujourd'hui plus que des ruines. Les forces de la nature,
comme le vent, la pluie et le tonnerre, étaient révérées. Ces éléments étaient
considérés comme animés par des forces spirituelles sur lesquelles les hommes
pouvaient avoir de l'influence. Le temple de Puma Punku, au sud de la ville, était
célèbre dans toute la région et constituait un lieu de pèlerinage pour les habitants
des villages environnants. Le pèlerinage commençait sans doute sur les rives du lac
Titicaca, d'où le dieu fondateur avait émergé, selon la légende.
En outre, deux îles situées sur le lac, appelées Île du Soleil et Île de la Lune,
possédaient caractère sacré. Peu à peu, le pèlerinage prit plus d'ampleur, et en
700 de notre ère, on retrouvait à Tiwanaku des gens venus de tout le pourtour du
bassin. Le temple, situé entre le lac et le sommet le plus haut de la région, se
situait entre ciel et terre dans l'imaginaire de l'époque.
La maçonnerie du temple de Puma Punku est extrêmement précise : les blocs de grès
qui constituaient son pavement étaient ajustés exactement au moyen de joints en bronze.
La pierre n'était pourtant pas apparente à l'époque : d'après les archéologues, les
murs étaient tapissés de feuilles d'or et d'argent, de tissus bariolés incrustés de
pierres précieuses et de peinture verte, rouge et bleue. La Porte du Soleil, l'un des
vestiges les plus célèbres du site, constituait peut-être l'entrée principale du temple.
Cette porte est ornée d'un linteau représentant le dieu principal de Tiwanaku, parfois
appelé "Dieu aux bâtons", entourée de ses adorants, des hommes-oiseaux.
Vie et mort
On sait déjà que les habitants de Tiwanaku enterraient des foetus de lamas sous
leurs maisons. La mort des humains accompagnait la vie quotidienne : à côté de petits
cimetières, les humains étaient aussi ensevelis près des maisons. Cette pratique suggère
un culte des ancêtres, tradition très répandue parmi les population des Andes aujourd'hui
encore. En général, les familles gardaient auprès d'elles les ossements de leurs
ancêtres ou leurs momies, dans une jarre ou un panier à proximité, ce qui permettait
à la fois de prouver la légitimité de l'habitant et de demander conseil aux ancêtres
quand le besoin s'en faisait sentir.
Il est possible que les souverains aient ordonné le déplacement de ces momies
dans la capitale, afin d'assurer une importance à Tiwanaku. Les souverains
eux-mêmes se faisaient sans doute ensevelir dans des sépultures monumentales,
mais aucune d'entre elles n'a encore été retrouvée (ou identifiée comme telle)
à Tiwanaku. A Wari, un site concurrent localisé au Pérou, le souverain s'est
fait ensevelir dans une gigantesque tombe souterraine en blocs ajustés,
dont le plan général a la forme d'un lama.
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- V. Morell, Les empires andins, National Geographic, Juillet 2002
- Ch. Stanish et al., Advances in Titicaca Bassin Archaeology, LA, 2005
- G. R. Willey, An Introduction to American Archaeology, EC, 1971
- M. Young-Sanchez, Tiwanaku. Ancestors of the Inca, Denver, 2004
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