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Quand Lara rencontre Kurtis

Quand Lara rencontre Kurtis, Chapitre 6, par Andromaque, le 16 décembre 2003.

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Chapitre 6

Les effluves de la mort se dégageaient au sein de la nappe de brume où Kurtis avait basculé bien malgré lui, avec pour seuls repères tout au long de sa chute libre, l'évanescence et le tumulte assourdissant d'une cataracte semblant interminable. Sans dérogation aucune, la masse de l'homme tout comme le fluide qui l'avoisinait obéissait aux mêmes et implacables lois de la gravité qui avaient toujours cours dans cette portion de l'univers.
Kurtis avait exécuté dans les airs un mouvement de rétablissement pour lequel il était parfaitement exercé et avait déployé toute la surface de son corps afin d'offrir un frein significatif à sa plongée vertigineuse, puis dans sa nouvelle position, il avait envisagé sereinement l'instant fatidique de son impact à la surface des flots qu'il avait le fervent espoir de rencontrer à son arrivée. Bien que sa vue fût brouillée par les embruns qui lui fouettaient le visage, il avait pu nettement pressentir le terme de sa chute, lorsque quatre boutons de sa veste qu'il n'avait pu que négligemment refermer quelques minutes plus tôt avaient cédé. Les feuillets de son manuscrit s'en étaient échappés dans une soudaine envolée sauvage et, par ailleurs alourdis par l'humidité ambiante qui contribuait à en diluer l'encre et les taches de sang qui les imbibaient, ils avaient annoncé ainsi leur congé définitif à leur propriétaire au grand dam de ce dernier qui venait d'assister impuissant à l'anéantissement du fruit de trois longues et laborieuses années de recherches et malgré une fin de parcours heureuse dans l'élément aqueux qui emplissait la cuvette profonde qui l'avait recueilli, à peine en avait-il émergé qu'il avait été sur le point de déblatérer contre son infortune, lorsqu'un cri déchirant suivi d'une déferlante d'échos avait retenti au-dessus de lui et avait couvert le son de sa propre voix.

Les claquements de mâchoires des jeunes reptiles survivants qui prétendaient saisir leur repas au vol avaient résonné dans le dos de Lara qui s'était félicitée d'avoir emporté dans son expédition le petit parachute ventral dont elle s'était équipée en prévision de sa poursuite aérienne.
Le saurien adulte avait freiné brusquement sa course à la frontière du précipice et sur sa lancée, avait balayé vivement l'air de sa queue démesurée dans l'ultime tentative de se venger du couple de bipèdes assassins qui avaient eu la cruelle audace de répandre le sang de sa chair, échouant de peu de percuter la tête de la jeune femme qui s'était projetée au-dessus de l'abîme au moyen d'une puissante détente.
Le corps de Lara figurait à présent un fuseau parfaitement axé sur sa trajectoire verticale. Dégringolant ainsi d'altitude à une vitesse phénoménale, elle avait laissé écouler le laps de temps nécessaire et suffisant lui permettant de bénéficier de toute la sécurité pour enclencher l'ouverture de son parachute sans aucun risque toutefois que la toile de son équipement ne puisse offrir une quelconque prise à la fureur vindicative du thérapode titanesque qui avait été à sa poursuite. Au beau milieu de la descente dirigée mécaniquement, une flopée de feuilles de papier qui semblaient avoir pris vie le temps d'un séjour aérien avait assailli Lara et l'une d'entre elles s'était agglutinée sur son visage l'aveuglant un court instant.
D'un geste prompt, elle s'était débarrassée du masque encombrant qui lui couvrait la vue car elle venait d'apercevoir le corps de Trent surgir à la surface de l'écume bouillonnant au pied de la falaise. Cette apparition avait coïncidé avec le début des lamentations tonitruantes du dinosaure qui, depuis son promontoire, avait semblé vouloir exprimer de cette manière le regret poignant de la compagnie du couple.

Le versant de la vallée que le sort avait contraint les aventuriers d'aborder sous des angles totalement différents offrait sur plusieurs miles des degrés de dénivellations s'enchaînant sur de courtes distances où le fleuve poursuivait son cours et influait inexorablement sur la trajectoire de l'homme qui, sans succès, tentait de brasser l'élément dans l'espoir de regagner la rive.

Les couloirs d'air chaud et ascendant tissés au-dessus de la profonde dépression naturelle avaient permis à Lara de suivre l'évolution de son compagnon durant plusieurs minutes, et peu de temps avant son atterrissage en bordure du fleuve, elle avait pu admirer les reflets de jade d'un lac paisible dans lequel ce dernier semblait achever son parcours. La pièce d'eau offrait au regard un équilibre harmonieux de teintes, avec toutefois pour seule ombre au tableau une vilaine impureté sombre et circulaire en son centre.
Tandis que Lara avait procédé machinalement au repliement méthodique de son parachute, elle s'était interrogée sur la tache repérée au milieu de l'étendue qui conférait à cette zone les symptômes d'une profondeur abyssale. Un mouvement presque imperceptible qu'elle n'aurait pu d'emblée attribuer à un flux avait paru l'animer et son rythme lui avait rappelé une lente et régulière respiration. Cette évocation avait suscité chez l'anglaise une étrange sensation qui lui avait fait soudain presser le pas en direction de l'embouchure du fleuve où elle savait que le corps de Trent avait été nécessairement charrié, tout dans l'espoir que celui-ci eusse survécu à son voyage.

Le courant avait entraîné Kurtis sur une distance qu'il n'aurait pu estimer. Il avait dû rapidement convenir à la vanité des efforts qu'il avait déployés en vue de s'y soustraire pour se résoudre en définitive à exploiter le peu d'énergie dont il disposait encore afin de maintenir la tête hors de l'eau, une entreprise qui s'était également révélée être loin d'une mince affaire.
Lorsqu'au bout de sa course, l'élément apaisé avait enfin daigné lui laisser un répit, il avait nagé en direction du rivage et au bord de l'épuisement, il s'était hissé tant bien que mal sur la berge meuble hérissée de joncs pour s'y affaler.

La subtile essence d'un bois exotique avait flatté les narines de Kurtis et ses yeux s'étaient rouverts sur une voûte céleste obscure piquetée de luminaires. Il s'était redressé sur un coude afin d'observer les alentours, et avait aussitôt étouffé un juron. Ses articulations étaient couvertes d'ecchymoses et le faisaient méchamment souffrir. Il fut surpris d'y sentir le parfum mentholé d'un baume qu'une âme charitable avait pris soin d'appliquer sur ses blessures durant sa période d'inconscience. Dans sa proximité, se consumait un brasier qui éclairait la zone où il avait été transporté et ses habits avaient été étendus sur des piquets de fortune dessous lesquels trônait son sac à dos intact. Il avait pris son courage à deux mains afin de se relever et vérifier le contenu de ce dernier, lorsqu'un bruit de clapotement non loin lui avait indiqué qu'il se situait vraisemblablement près d'un point d'eau et que des bribes de sons inquiétants avaient soudain heurté ses tympans.
Kurtis avait enfilé prestement son pantalon aux pans lacérés, puis s'était muni de son couteau de combat et de son desert eagle afin d'aller se rendre compte de l'origine du phénomène. A mesure qu'il s'en était rapproché, ce qu'il avait tout d'abord pris pour des plaintes poussées par une bête sauvage nocturne lui était parvenu plus distinctement, et la grimace de défiance qui avait tantôt assombri les traits de l'homme avait laissé rapidement place à un sourire ravi lorsqu'il s'était finalement retrouvé en présence de la créature qui émettait toujours sa désagréable cacophonie. A la faveur de l'aube naissante qui diffusait un film d'or et velouté sur les eaux d'un lac, le corps pâle et sublime d'une naïade lui était apparu. La tête penchée au-dessus de l'onde, elle était occupée à démêler sa chevelure au rythme d'une rengaine et ne l'avait pas entendu arriver.
Regrettant par avance d'interrompre une scène si charmante, Kurtis avait effectué quelques pas dans sa direction et d'un raclement de gorge peu élégant, il s'était annoncé.

« - Déjà sur pieds, Mister ? » demanda Lara qui tentait de dompter sa crinière en une natte sage et docile.
« - Oui et cela grâce à vos bons soins, je suppose. Je vous en remercie. A me ménager de la sorte, j'irai jusqu'à croire que vous commencez à apprécier ma compagnie !» dit Trent qui ne s'était pas gêné pour la détailler.
« - Je veille sur mes intérêts, Mister… Seulement sur mes intérêts… »
Tout en parachevant sa coiffure, la jeune femme s'était dirigée vers les racines des palétuviers ancrées en bordure du lac et sur lesquels elle avait suspendu ses effets le temps d'une baignade. Elle avait fait signe à l'homme de se retourner.
Kurtis s'était exécuté et était parti s'asseoir sur un petit carré de verdure. Se sentant momentanément désoeuvré durant la séance de rhabillage de sa compagne, il s'était penché sur sa propre tenue, et de quelques coups de lame, il avait ôté les franges disgracieuses qui flottaient au bas de ses jambes.
« - Vous récupérez plutôt vite ! Lorsque je vous ai retrouvé hier soir, j'ai crû que vous aviez définitivement pénétré le séjour des morts ! » fit remarquer Lara.
« - Rassurez-vous ! Si cela avait été le cas, vous auriez eu de très bons atouts pour m'en faire revenir ! »
« - Ah ? » fit la jeune femme, surprise.
« - Je pensais à votre prestation de tout à l'heure. Je crains que John Lennon n'ait dû se retourner plus d'une fois dans sa tombe. » dit-il sur un ton railleur.
« - Mais c'était un morceau des Rolling Stones ! » s'exclama Lara, en feignant l'indignation.
« - Bien, justement, je n'aurais pas pu le jurer, voyez-vous ! » expliqua Kurtis.
« - Trêve de plaisanteries, Mister… Seriez-vous déjà suffisamment en état de poursuivre notre expédition dès aujourd'hui- même ? »
« - Oui, votre baume semble avoir agi avec grande efficacité. Si nous sortons tous deux vivants de cette aventure, je vous serai gré de m'indiquer votre fournisseur. »
« - Cataplasme aux vertus magiques, dont le secret de fabrication m'a été jadis été transmis par un moine tibétain... Bon, ça y est, j'ai terminé ! Vous pouvez regarder ! » dit-elle enfin.
Lorsque Kurtis avait à nouveau fait face au lac, les rayons éblouissants du jour réverbérés à sa surface avaient temporairement troublé sa vue, et il avait eu quelques difficultés pour repérer la silhouette mouvante perchée sur les bois noueux de la mangrove, qui semblait venir dans sa direction. Il lui avait trouvé une épaisseur plutôt singulière pour appartenir à la svelte stature de sa compagne. Puis il avait réalisé avec stupéfaction qu'il s'agissait non pas d'une mais de deux formes qui se côtoyaient intimement, et qui s'étaient soudain détachées l'une de l'autre durant un bref instant mais suffisant pour que Kurtis comprît très rapidement le danger qui pesait sur la jeune femme et que cette dernière ne semblait bizarrement pas encore avoir détecté.

La trame étroite de bois arqué sur lequel évoluait Lara traçait un chemin au-dessus du lac scintillant et l'agilité la jeune femme rendait tel un jeu d'enfant son parcours. Se préparant à exécuter une rondade afin de parfaire l'exercice, elle s'était maintenue immobile un court instant, autorisant le souffle d'une onde fraîche à sonder les profondeurs des replis de ses vêtements et à pénétrer ainsi jusqu'à la surface de sa peau moite, alertant ses sens que quelque chose avait remué l'air dans sa proximité. Une ombre tubulaire projetée sur le pont frêle naturel et vibrant avait surgi autour de la sienne, confirmant ce que la jeune femme avait pressenti dans la seconde précédente. Lara avait exécuté la rondade prévue et avait enchaînée aussitôt sur une pirouette, tout en dégainant simultanément ses pistolets pour s'apprêter à parer l'assaut d'un hypothétique animal sauvage, mais celui-ci semblait s'être vivement rétracté et avait disparu à une vitesse fulgurante dans les profondeurs noires du lac dont il semblait provenir, avant même qu'éberluée, elle ne puisse en déceler les contours.
« - Vous avez eu le temps de voir ce que ce que c'était ? » demanda Lara.
« - Pas vraiment… J'avais juste le soleil de front… » avoua Kurtis.
« - Un potentiel ancêtre de l'anaconda, vu le genre de faune auquel nous avons été confrontés jusqu'ici ? »
« - Peut-être. Mais à votre place, j'éviterais tout de même de retourner faire trempettes dans ces eaux. » dit Kurtis tout en scrutant d'un air perplexe les remous qui ridaient encore la surface du lac. Il s'était maintenu aux aguets jusqu'à ce que sa compagne l'eut rejoint.
« - Avez-vous une idée de l'endroit où nous avons atterri ? »
« - Pas des moindres, mais dans notre périple, j'ai pu conserver quelques feuillets de mon journal et le schéma de la carte que bien heureusement j'ai eu le temps de glisser dans une des poches de mon pantalon plutôt que dans ma veste. » répondit Kurtis ainsi qu'il se le rappelait à lui-même à mesure qu'il parvenait à rassembler ses souvenirs.
Il avait dégagé d'une poche latérale un amas de feuilles pliées qui à son plus grand désarroi n'avaient plus que l'apparence d'un paquet de pâtes bouillies désormais devenues indissociables les unes des autres. Il plongea sa main une seconde fois dans sa poche et en ressortit cette fois une feuille plus rigide qu'un film plastique semblait avoir épargné des dommages du bain forcé. Il se félicitait intérieurement d'avoir pris le soin de protéger le schéma de sa carte en prévision d'un tel séjour, en maudissant toutefois sa maladresse qui avait été à l'origine de la perte de son précieux journal. Il avait déployé le plan à ses pieds, et au moyen de succinctes courbes de niveau, qui y avaient été reportées, il tentait de l'orienter. Lara était venue y jeter un oeil également.
Aux quatre points cardinaux de la zone qui encerclait le lac, étaient disposées deux figures en forme de cercle ainsi que deux figures en forme de triangle et indiquaient vraisemblablement que le couple aurait à s'affranchir d'une nouvelle énigme.
« - Il se pourrait bien qu'il s'agisse d'une coïncidence, mais j'ai pu relever de pareilles inscriptions sur le mur du couloir souterrain où nous avons risqué de nous faire émincer, à la différence près qu'il y était fait référence à une espèce de cloche… Ou plutôt une arche. » fit remarquer la jeune femme.
« - Fort à parier qu'il y a un lien entre les objets que nous avons trouvés dans les marécages et ces points. Je propose qu'on commence par aller vérifier sur place. D'après la carte, nous nous trouvons à seulement 2 miles de l'un des emplacements en forme de triangle. »

Si les calculs de Lara étaient exacts, ils ne se situaient apparemment pas sur une planète aux mêmes propriétés ferromagnétiques que la Terre, car elle avait constaté que sa boussole ne lui avait été d'aucun secours depuis leur arrivée dans ce monde étrange. Ils avaient effectué une marche incessante durant toute la matinée et, le souffle court, ils étaient parvenus au sommet d'un plateau recouvert de buissons épineux et touffus sur toute sa surface, qui selon le plan de Kurtis aurait dû constituer théoriquement une étape marquante au franchissement de l'enceinte de la cité des créatures. Leur parcours s'était résumé en une escalade de petits sentiers escarpés où la roche était à nu, et qui leur avaient fait occuper tour à tour des positions qui devaient très certainement figurer un arc de cercle d'environ trente degrés en vue aérienne. Or, suivant les repères visuels que la jeune femme avait relevés depuis leur campement, l'aiguille de sa boussole avait indiqué à son gré des directions totalement anarchiques.
Le soleil avait gagné lui aussi de la hauteur, et dardait à présent ses rayons menaçants sur l'aire désertique où le couple avait fait halte. La végétation hostile et abondante qui recouvrait un sol rocailleux témoignaient que les lieux semblaient n'avoir jamais connu la marque artificielle d'êtres intelligents, qu'ils fussent hommes ou créatures.
« - Êtes-vous sûr que nous sommes au bon endroit ? » demanda Lara.
« - Certain ! On peut voir d'ici la zone du lac où vous vous êtes baignée ce matin. » fit Kurtis.
Lara n'était que peu convaincue par les déductions de l'homme, et était venu le rejoindre à son point d'observation afin de juger par elle-même. Tandis qu'elle était occupée à vérifier leur position, Kurtis s'était agenouillé et trifouillait d'une main ses effets contenus dans son sac à dos. Elle avait jeté un bref coup d'oeil en direction du lac, qui confirma très rapidement les dires de son compagnon, puis s'était tournée vers celui-ci pour lui faire part de son désappointement. Le sourire qu'il arborait indiquait qu'il avait vraisemblablement trouvé ce qu'il avait cherché avec frénésie. Se sentant subitement observé, il avait pris un air solennel et d'un geste emphatique tel un magicien s'apprêtant à sortir un objet mystérieux de son chapeau, il avait tiré sur quelque chose, mais qui, à l'instant crucial, avait contrarié son geste annihilant l'effet voulu. Le tour amusa beaucoup la jeune femme qui tenta de réprimer un éclat de rire. Au premier regard, elle avait constaté qu'il s'agissait d'une étoffe à mailles larges et kaki qui restait visiblement coincé par un bout au fin fond de son paquetage. Il réitéra son geste avec plus d'énergie et de succès, mais l'extraction de l'accessoire fut accompagnée par trois projectiles qui partirent dans trois directions différentes.
« - Zut ! Les artefacts ! J'avais complètement oublié que je les avais emballés dans cette écharpe ! » grommela Kurtis.
« - J'en ai vu partir un de mon côté, le deuxième ne doit pas être loin de l'endroit où vous vous tenez... Et il me semble avoir entendu retomber le troisième par là-bas. » dit aussitôt Lara.
Ils avaient pu rapidement mettre la main sur les objets de forme pyramidale qui avaient atterri respectivement près de leurs pieds, mais peinaient pour retrouver la sphère. A quatre pattes, ils s'étaient mis à sonder le sol en tentant de se faufiler parmi les branches épineuses.
« - Le plateau est légèrement en pente, elle aurait très bien pu rouler vers l'intérieur. » fit remarquer Lara.
« - Ça y est, je l'ai retrouvée ! » annonça enfin Kurtis sur un ton triomphant.
Ils étaient allongés sur le lit craquelé et rocailleux, sans confort aucun depuis quelques minutes. Ils avaient jugé bon néanmoins tous les deux de profiter un moment de la fraîcheur de l'ombre des buissons, où le geste maladroit de l'homme les avait conduits, mais qui se révéla plus propice à la réflexion que l'air étouffant qui régnait plus haut.
« - Au fait, que comptiez-vous faire de votre écharpe ? » demande soudain Lara, intriguée.
« - M'en couvrir le crâne. Je n'en pouvais plus de cette chaleur torride ! » dit simplement Kurtis en joignant le geste à la parole.
« - J'ai vérifié moi aussi notre position et je dois admettre que vous n'avez fait aucune erreur… J'en conclus donc que soit le plan que vous possédez est inexact, soit nous avons fait fausse route depuis le marécage et la chance ne nous a pas du tout souri comme nous l'avions cru lorsque la course-poursuite hasardeuse de la veille nous a conduits droit vers ce lac. »
« - Je pense pourtant qu'il doit s'agir du bon lac. Il suffit de comparer sa forme avec celle de l'esquisse du plan. Elles correspondent parfaitement. »
« - Effectivement… Curieuse coïncidence. »
« - En parlant de chose curieuse, n'avez-vous rien noté d'étrange tout à l'heure lorsque les artefacts ont été éparpillés sur le plateau ? »
« - Pas vraiment. J'ai pu repérer très rapidement ceux qui étaient tombés près de nous parce que je les avais vus... »
La fin de la phrase resta en suspens sur le bord des lèvres de Lara qui se tourna vers son compagnon avec une lueur d'interrogation dans le regard. Il hocha de la tête comme s'il avait deviné qu'ils en étaient arrivés mentalement au même raisonnement.
« - Je crois me souvenir que la sphère a heurté le sol de ce côté. » dit-elle en rampant avec hâte dans la même direction.
Kurtis l'avait suivie. Tandis que la jeune femme inspectait le sol, il tapotait ce dernier au moyen de la sphère qu'il tenait encore en main jusqu'à ce qu'il entendit le bruit insolite que l'objet avait produit plus tôt lors de sa chute. Il le rangea rapidement afin d'entreprendre de dégager à l'aide de ses deux mains les pierrailles tout autour de l'endroit qu'il venait de découvrir. Un petit canal rectiligne métallique large d'un pouce et inséré dans la roche apparaissait à présent distinctement. Lara s'était redressée pour observer la chose de plus haut.
« - Cela ressemble à un sillon orienté d'un côté vers le lac et de l'autre vers le flanc de la roche par-delà les buissons. » dit-elle.
Kurtis avait continué à dégager le tracé en direction du lac, laissant à Lara le soin de le faire en marchant dans le sens inverse.
« - Le tracé s'arrête au bord du plateau ! » entendit-elle Kurtis crier au loin.
« - De mon côté, il s'arrête sur une petite alvéole triangulaire au creux de la roche. A mon avis, ça doit correspondre avec les petites pyramides que vous avez trouvées » cria à son tour Lara.
Kurtis avait couru pour lui apporter les objets. Il s'efforçait d'essuyer la sueur dégoulinante de son front avec un coin de son écharpe et avait laissé à sa compagne la tâche de trouver le bon angle d'insertion de l'un des deux prétendants. Les tétraèdres étaient en tout point identiques, et il fallait espérer que leurs matières fussent jumelles sinon, ils risquaient d'avoir à effectuer un aller-retour entre les deux plateaux diamétralement opposés cernant le lac.
Le deuxième plateau avait présenté une niche circulaire et le troisième à nouveau une alvéole semblable à la première comme ils l'avaient supposé. Lorsque la dernière pièce avait été posée, la nuit était presque tombée. Comme il ne se passa rien à cet instant précis, tout comme dans les minutes qui avaient suivi d'ailleurs, le couple conjecturait sur l'éventuelle mauvaise disposition des artefacts et le quatrième manquant, quand il avait fait subitement nuit noire et que l'événement s'était produit.
« - Dans ses écrits, Tixlhuoc rapporte qu'afin d'assurer leur fuite, il avait ordonné à quatre de ses guerriers de dessertir les clés du lac et d'aller les cacher dans les marais, mais que l'un d'entre eux avait failli à sa mission et que celui-ci ne serait même pas parvenu à atteindre le quatrième plateau. » expliqua Kurtis.
« - Mais comment savoir avec certitude si la pierre est bien toujours en place après toutes ces années si ce n'est en allant le vérifier sur place nous-même ? » dit-elle.
Lara était excédée par ce qu'elle jugeait comme un gaspillage de temps précieux en de vaines paroles. Elle avait l'impression de se répéter depuis plus d'une demi-heure.
« - La voilà, notre certitude ! » répondit alors joyeusement l'homme, les yeux rivés en direction du lac.
Elle tourna son regard dans la même direction que son compagnon et vit ce qu'il voyait. Quatre faisceaux de lumière blanche avaient jailli au-dessus du lac dont la surface était devenue aussi noire que la nuit, mais qui sous l'influence d'une force mystérieuse émanant du ballet nocturne lumineux était devenu progressivement opalescent en un point précis et semblait y refléter une lune virtuelle. Kurtis s'était extirpé le premier de l'effet hypnotique que le phénomène avait produit sur lui, et il avait promptement allumé son briquet et saisi sa carte afin d'y marquer l'endroit. Lorsqu'à son tour, Lara avait également repris ses esprits, elle avait fait part à son compagnon de sa première pensée dans laquelle résidait une implication à la fois redoutable et impérative pour la poursuite de leur périple.
« - Je crains fort qu'il aille falloir retourner faire trempette… » articula-t-elle à mi-voix.

La plage où ils s'étaient tenus au matin constituait à l'évidence l'accès le proche de la zone pointée par la combinaison des faisceaux et la prudence leur dictait d'affronter de jour ce dont, étrangement, le manuscrit de Tixlhuoc n'avait pas fait mention et qui avait probablement été posté bien après le départ de son armée. Un ennemi vif, aussi fugitif qu'une ombre, de surcroît invisible les aurait, certes, considérablement désavantagés. Ils étaient exténués, et la faim qui s'était également fait ressentir avait pu être temporairement comblée par une collation aux biscuits secs avant qu'ils ne s'autorisassent tous deux à sombrer dans un sommeil réparateur.
Ils s'étaient remis en marche aux premières lueurs de l'aube. Le terrain était en pente et ils avaient opté pour la ligne droite, en estimant qu'ils allaient pouvoir rejoindre le premier campement avant la fin de la matinée. Sur le trajet, Kurtis s'était arrêté sporadiquement pour débiter quelques bouts de bois choisis, qui s'étaient présentés sur son passage, anticipant ce qui était le plus à craindre. Leurs munitions étaient presque épuisées et il avait perdu son fusil lors de son saut périlleux au-dessus de la cascade. Il en possédait encore néanmoins un chargeur presque rempli et avait prémédité le seul usage qu'il pouvait encore en faire. Pour l'instant, ils s'étaient estimés heureux de ne pas avoir été amenés à en gaspiller depuis deux jours. A l'exception d'un petit serpent bicéphale et cornu sur lequel Kurtis avait buté en longeant le quatrième plateau, ils n'avaient fait jusqu'alors aucune rencontre qui l'avait requis.
« - Je ne sais pas quelle est la nature exacte de l'obstacle qui se cache sous les profondeurs de ce lac, mais quel qu'il soit, nous devrons le vaincre à défaut de pouvoir le contourner… Combien de munitions vous reste-t-il, Miss ? » demanda-t-il à sa compagne, tout en lui tendant le fagot qu'il avait déjà récolté à mi-chemin.
Lara qui avait rapidement deviné ce que l'homme comptait en faire, l'avait chargé dans son carquois vide.
« - Les chargeurs de mes pistolets sont pleins et j'en ai encore un de réserve, mais j'ai utilisé avant-hier, les deux dernières balles de mon revolver. » dit-elle.
« - Bien. Quant à moi, j'ai encore deux grenades à fragmentations, et les sept balles dans mon desert eagle sont les dernières qu'il me reste… Euh, rectification : plus que six, puisque la septième est logée dans notre déjeuner. »

Leur progression depuis la veille formait un circuit, et en longeant le dernier miles en bordure du lac, ils n'avaient guère été surpris lorsqu'ils avaient découvert sur leur route ce qu'ils avaient attribué aux vestiges du guerrier que Tixlhuoc avait évoqué : celui qui avait probablement été empêché de récupérer le quatrième artefact. Dans le prolongement de ce qui avait été autrefois son bras droit, Lara avait découvert la pointe d'un harpon dont le métal avait vraisemblablement bravé deux millénaires et qu'elle avait jugé très utile d'emporter.

Arrivés au campement, Kurtis avait rallumé le feu, et pendant que sa compagne s'était attribuée la tâche d'accommoder leur plat de résistance, il avait vidé les cartouches de calibre 7.62 de son chargeur, et avait commencé la délicate opération de récolte de la poudre qu'elles contenaient.
Le fumet qui se dégageait de la bête à deux têtes que Lara était occupée à faire rôtir était fort heureusement plus appétissant que son apparence. Elle observait de temps à autre l'homme qui se tenait à ses côtés et qui était affairé dans une besogne qu'elle avait elle-même été amenée à accomplir par le passé. Elle se pencha soudain vers lui et glissa une main vers l'étui de sa ceinture pour y emprunter son couteau. Les sens constamment en alerte, il avait intercepté son geste avec un vif réflexe et l'avait déséquilibrée, neutralisant temporairement les mouvements de la jeune femme. Kurtis affichait une expression suspicieuse.
« - Que voulez-vous faire avec ça ? » demanda-t-il avec gravité.
« - Eh bien, je m'étais dit que pendant que vous jouerez au forgeron, je pourrais me charger de la menuiserie. J'ai toujours adoré la pêche au gros. » lui susurra-t-elle avec candeur.
« - Puisque vous avez deviné mes intentions, je suppose que vous savez aussi que j'aurai besoin de la pointe de harpon que vous avez trouvée tout à l'heure. Pourrais-je l'avoir ? »
« - Je pourrais vous la donner sans problème… A condition que vous me libériez les mains, bien entendu. Elle est dans ma sacoche. »

Kurtis avait battu le métal des cartouches pour les réduire au mieux en pointes effilées tandis que Lara avait conféré aux bouts de bois le fuselage qui convenait pour en faire seize nouvelles flèches pour son arbalète. Ils avaient suffisamment de poudre pour en enduire seulement quatre pour produire l'effet escompté, mais pouvaient recouvrir quatre autres du venin récupéré dans les glandes soustraites au petit serpent. Pendant qu'elle tendait les traits un à un à son compagnon qui les dotait de fonctions offensives, ils débattaient pour savoir qui des deux allait servir d'appât pour attirer la créature tentaculaire hors de son élément.

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