Chapitre 3
Lara se leva et alla immédiatement à la
porte pour la fermer à clé. Une fois assurée de sa tranquillité, elle se
passa la main sur la nuque, sous ses cheveux. Elle était perplexe.
Intriguée. En colère, bien sûr. Mais surtout très intriguée. Elle fit
rapidement le tour de la chambre : la pièce était décorée et meublée en
style indien, avec quelques touches occidentales, voire typiquement
américaines, disséminées un peu partout comme un effort de garder son
identité culturelle. Chose qu'elle comprenait parfaitement. Elle s'approcha
de la fenêtre et en écarta les rideaux : sa chambre donnait sur une cour
intérieure typiquement moyen-orientale, avec une fontaine ouvragée au
centre. Très joli. Elle relâcha les rideaux. De retour au centre de la
chambre, elle laissa tomber la robe de soirée. Elle poursuivit son
investigation entièrement nue. Elle trouva les deux choses qu'elle cherchait
: la salle de bains et ses affaires. Elle trouva ses valises dans une
penderie. Une rapide fouille lui permit de sentir la présence rassurante de
ses armes.
- Bien, bien, bien... se dit-elle à voix basse.
Elle se jeta dans la salle de bains.
Après une bonne douche, elle se choisit une
tenue complète et plus adéquate : pantalon de toile souple, chemisier léger
et chaussures confortables. Elle s'habilla. Elle avait récupéré de sa
difficile soirée et se sentait parfaitement détendue. Elle s'étira et repéra
un grand bureau dans le coin opposé de la chambre. Sans hésitation, elle
ouvrit les tiroirs à la volée. Dans l'un d'eux, elle trouva un simple
morceau de papier : « vous êtes très curieuse, Miss Croft ». Elle ne put
s'empêcher de sourire. Ah, il voulait jouer à ça avec elle ? Quand Lara
descendit, elle se fit l'effet d'une héroïne de vieux films traitant de
l'époque coloniale. Les grands escaliers latéraux, incurvés à leur base pour
déboucher en face d'un salon meublé dans le style colonie anglaise, un
majordome portant un sari, des fauteuils en osier, une table basse posée
sous un immense ventilateur au plafond, dont les pales tournaient lentement.
Le docteur Jones l'attendait là, assis sur un canapé les fauteuils
typiques ayant été remisés plus loin, nouvelle preuve des touches
occidentales face à un copieux petit déjeuner. Galant, il se leva
immédiatement pour l'accueillir.
- Vous êtes absolument radieuse, très chère ! assura-t-il en s'inclinant
légèrement.
- Vous êtes bien aimable, Jones, mais ça ne pardonnera pas votre
inexplicable félonie, répondit-elle en s'asseyant dans le canapé opposé,
face à lui. Je meurs littéralement de faim !
- « Félonie », comme vous y allez !
Elle ne répondit pas. Elle prit un des plateaux de biscuit et s'installa
confortablement, puis claqua des doigts. Le majordome indien accourut
aussitôt pour lui servir une grande tasse de thé.
- Sans sucre ! précisa-t-elle.
Un peu désarmé, Jones se rassit, prit à son tour sa tasse et sirota son thé
en silence. Lara dévora l'intégralité du plateau, vida sa tasse et posa le
tout sur la table basse.
- Ca va mieux ! s'exclama-t-elle, satisfaite.
Elle croisa les jambes, passa un bras derrière le canapé et dévisagea son
hôte.
- Alors, Jones, quand retournons-nous à l'université ? demanda-t-elle de but
en blanc.
L'éminent docteur s'attendait à n'importe quelle question, sauf à celle-ci.
Son trouble dût se lire sur son visage, car la jeune femme afficha un
sourire satisfait.
- Vous ne vouliez pas une explication ? s'étonna-t-il.
- La qualité de vos réponses me la fournira. Alors, quand y allons-nous ?
- « Nous » ? releva-t-il.
- Evidemment, « nous » ! Vous ne pouvez nier que je me retrouve impliquée !
Donc je compte bien vous assister dans votre enquête.
- Mon « enquête » ?
- Oui. Vous connaissez-vous des ennemis ici, à Bombay, docteur Jones ?
En silence, il reposa sa tasse sur la table et s'essuya les lèvres avec une
serviette. Lara venait de marquer un point décisif, elle le sentait : il
venait de comprendre qu'il n'avait pas à faire à une « charmante idiote ».
- Ma visite était impromptue. Donc on peut sans peine penser que c'est vous
qui étiez visé hier soir...
- Pourquoi pas, après tout, répondit-il. Ce serait intelligent. Ils droguent
votre verre en espérant que notre coup de foudre et notre amour intense et
instantané nous pousse à échanger nos verres dans une embrassade romantique...
- Vous avez un humour décapant, docteur, grinça la jeune femme.
- Comment ?? s'offusqua-t-il ironiquement. Le coup de foudre n'est pas
réciproque, belle Lara ?
Elle garda le silence, ignorant la pique. Elle changea de position pour se
retrouver penchée dans sa direction, les coudes sur les genoux.
- On me drogue, je m'écroule en public, devant témoins... On vous accuse, on
vous arrête. Le temps de vous dépêtrer, les « méchants » ont les coudées
franches.
Jones redevint sérieux. Il écouta l'hypothèse sans un mot, puis, fronçant
les sourcils, il se leva. Il déchira la housse plastique dans laquelle était
emballé son smoking avant son départ pour le pressing. Il fouilla les
différentes poches du veston et finit par en extraire un petit sachet
contenant une fine poudre jaunâtre. Il revint s'asseoir et jeta le sachet
sur la table.
- Théorie très intéressante, Lara, dit-il simplement.
- Vous devez faire des recherches sensibles, en ce moment, non ?
ironisa-t-elle avec un petit air de triomphe.
Il haussa les épaules sans répondre. Il se leva de nouveau et sembla se
perdre dans une intense réflexion. Il posa un regard grave et pesant sur la
jeune femme.
- Je vais à l'université, finit-il par dire. Vous m'accompagnez ?
- J'adore vraiment votre humour, vous savez ?
D'un geste galant, il l'invita à le suivre jusqu'au garage. Jones s'installa
au volant d'un puissant roadster. Lara monta à ses côtés.
- Intéressant « piège à gonzesses »... remarqua-t-elle, acide.
- Nous sommes en Inde, Lara, pas dans votre Angleterre débauchée !
Et il démarra.
La villa du docteur Jones était située bien
à l'extérieur de la métropole indienne, dans une zone résidentielle de haut
standing. L'accès à Bombay passait par un petit col, qui permettait, une
fois au sommet, d'avoir une jolie vue plongeante sur la ville construite au
bord de l'océan indien. Quand le roadster arriva sur le site, Jones stoppa.
Il faisait un temps superbe en cette fin de matinée, et la fumée noirâtre
qui s'élevait haut à partir d'un coin de la ville n'en était que plus
visible. Jones eut l'air contrarié, sans paraître surpris pour autant.
- je suppose que la fac est située à peu près dans cette zone ? demanda Lara
en indiquant la colonne de fumée.
Jones lui jeta un regard en biais, sans un mot. Puis il appuya violemment
sur l'accélérateur. Le puissant roadster bondit et avala la route à pleine
vitesse. Heureusement pour eux, la circulation était fluide, les cyclistes
nombreux mais disciplinés, et ils atteignirent l'université en deux dizaines
de minutes.
Le spectacle offert était navrant. L'aile droite du somptueux bâtiment était
dévorée par les flammes. Une demi-douzaine de camions de pompiers
bombardaient leurs mousses. L'agitation autour était intense : des personnes
continuaient de sortir en courant par la porte principale, aussitôt prises
en charge par les secours. Les forces de police tentaient de circonvenir la
foule qui s'amassait pour « admirer » la catastrophe. Cris, craquements
sinistres, murs qui s'écroulent, sirènes hurlantes, tout cela réunit offrait
un véritable vacarme aux oreilles des curieux. Dont les occupants du
roadster. Lara et le docteur Jones sortirent de la voiture et, jouant des
coudes, s'approchèrent du cordon de sécurité établi par la police.
- Je vais encore être sarcastique, mais votre bureau était par là ? demanda
Lara.
Jones sembla se détendre, comme s'il s'était résigné à voir brûler une
partie de sa vie.
- Oui, répondit-il simplement.
- Vos recherches doivent vraiment être passionnantes, docteur !
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