Chapitre 4
- Comment va-t-il, docteur ?
- Votre ami est très gravement brûlé, docteur Jones. J'ai bien peur que ses
chances de survie soient très faibles.
De rage, Jones donna un violent coup de poing au mur. Lara restait en
retrait, par respect, les bras croisés. Elle avait le regard fixé sur le
malheureux professeur Aktar, allongé dans son lit, entièrement momifié par
des bandages. Il était quasiment méconnaissable, d'autant qu'il respirait
avec une aide artificielle. Lara revit l'élégant professeur indien
l'accueillant sur le tarmac de l'aérodrome, à peine une dizaine d'heures
plus tôt.
- Faites de votre mieux, docteur, reprit Jones. Sauvez-le !
- Nous ferons évidemment de notre mieux, je vous le garantis.
- Merci. Venez, Lara, nous avons à faire !
Ils quittèrent l'hôpital. Il était encore tôt dans la journée, le lendemain
du sinistre. Les pompiers avait bataillé près de douze heures pour maîtriser
l'incendie, et n'avait déclaré le feu terminé que quelques heures plus tôt.
- Vous avez prévu quelque chose ? demanda Lara.
- Evidemment ! répondit-il d'un air mauvais. Excuse mon ton, se
rattrapa-t-il immédiatement.
Lara releva mentalement le tutoiement spontané1.
- Tu es tout excusé.
- Commençons par rentrer, proposa-t-il sans relever non plus le tutoiement
de la jeune femme. Nous prendrons un bon repas et un peu de repos, puis
j'enfilerais des habits plus confortables.
- Et tu retourneras dans les ruines de l'université...
- Bien sûr.
- Pour y trouver... ?
- Les confirmations de mes soupçons... qui s'avèrent à peu de choses près les
mêmes que les tiens !
Une fois tous les deux dans la voiture, il démarra en trombe.
Ils revinrent au centre de Bombay en milieu d'après-midi. Le cordon de
sécurité autour de la faculté était devenu minimal, et Jones le passa sans
problème, sans même cacher la vérité : son bureau avait brûlé, il venait
voir l'étendu des dégâts. Quelques pompiers étaient encore affectés à la
surveillance des ruines fumantes, en cas de nouveau départ de feu. L'odeur
ambiante était âcre, difficilement respirable, bien que le vent du large ait
fait son oeuvre de dissipation. La chaleur intense du brasier se faisait
encore sentir. C'était, finalement, assez oppressant. Jones et Lara
avancèrent parmi les ruines, enjambant des gravats, se baissant pour éviter
une poutre calcinée. Ils progressaient difficilement, le souffle rapidement
coupé, les sens aux aguets. Ils se dirigeaient vers le bureau de Jones... s'il
en restait quelque chose.
- Voilà, dit Jones. On appro...
Soudain, il se jeta sur Lara. La prenant violemment dans ses bras, il lui
fit un plaquage d'école pour la faire atterrir derrière un pan de mur, au
moment où un claquement sec se produisit, immédiatement suivi par une rafale
sonore de mitraillette. L'impact des balles faisait gicler des morceaux de
béton, qui tombèrent sur le couple allongé par terre. Jones protégea Lara de
son corps, et se couvrit la tête. Les tirs cessèrent. Des pas précipités
s'éloignant se firent entendre.
- Rien de cassé, Lara ? demanda-t-il.
Elle secoua négativement la tête. Il se releva et sortit son arme, un vieux
Colt à six coups totalement démodé. Il tendit la main pour aider la jeune
femme à se redresser.
- Reste ici ! ordonna-t-il. Ca pourrait être dangereux !
Il partit en courant au milieu des ruines, à la poursuite de leur agresseur.
Lara le regarda s'éloigner. Tranquillement, elle s'épousseta, puis soupira
profondément.
- Ciel, du danger ! s'écria-t-elle en prenant une petite voix ridicule et
exagérément apeurée. Moi, pauvre chose, faible femme sans défense, attendant
dans l'appréhension que son homme revienne en un seul morceau !
Toute seule au milieu des ruines, elle sourit. D'un sourire carnassier.
Gourmand. Elle dégaina ses deux impressionnants magnums automatiques,
vérifia qu'ils étaient bien chargés, prêts à l'emploi, puis les rangea. Elle
se lança à la suite de Jones. Elle le rattrapa au moment où il s'engouffrait
dans sa voiture. Elle monta à ses côtés.
- Jamais tu n'écoutes ce que te dit un homme, Lara ? s'étonna-t-il en
fronçant les sourcils.
- Oublie tes théories Grand Siècle, j'ai compris que tu avais 100 piges !
Inutile de me le prouver à chaque instant avec tes idées rétrogrades !
- Mes idées rétrogrades ???
- L'émancipation de la femme, ça te parle ? Figure-toi, qu'en plus, je sais
conduire, donc si tu ne veux pas que je prenne le volant, démarre !
Jones ouvrit la bouche pour répondre. Mais, soufflé, il se contenta de
sourire.
***
Se lancer dans une course poursuite à
l'américaine dans les rues de Bombay aurait été pure folie, celles-ci étant
bondées de piétons et de cyclistes innocents. Jones se contenta donc de
suivre à distance la camionnette blanche, dans laquelle le mystérieux
mitrailleur s'était engouffré au sortir de l'université.
- J'ai pas le temps de m'ennuyer, avec toi, remarqua Lara, en admirant la
ville.
- Essaierais-tu de me faire croire que ce n'est pas ce que tu cherchais,
inconsciemment, en venant me voir ?
- Pas faux...
Ils avançaient à un train de sénateur. La poursuite la plus lente du monde.
Original.
- Ce n'était pas un hindou, reprit Jones en conduisant tranquillement. Un
occidental.
- Et si tu me parlais un peu des recherches que tu effectues en ce moment ?
Un sujet sensible.
- Tu ne vas peut-être pas me croire, mais je ne travaille sur rien de
précis. Je suis dans une phase où je ne fais que donner des cours
magistraux.
- Etonnant... Pourquoi essaierait-on de faire des petits trous dans un
professeur d'université ? Aurais-tu vexé une demoiselle de haute lignée,
dont la famille voudrait laver l'honneur ?
- Voyons, Lara, tu sais bien que tu es mon seul amour !
La jeune femme le regarda de biais.
- Il faut absolument que tu sortes un livre avec tes meilleures vannes de
drague !
Jones éclata de rire. Lara lui répondit par un sourire. Ils étaient toujours
englués dans le trafic, eux comme la camionnette. La jeune femme se vautra
un peu plus dans son siège et posa les pieds sur le tableau de bord, devant
elle.
- Il cherchait quelque chose, c'est évident... reprit Jones.
- Evident, évident... Pour récupérer quelque chose, on ne commence pas par y
mettre le feu !
- Sauf s'il savait que ce quelque chose résisterait aux flammes ! Et comme
un incendie permet de faire fuir les gens, et d'orienter l'enquête de police
vers un pyromane...
- Admettons. En tout cas, il ne l'a pas trouvé, ce quelque chose...
- Puisque nous l'avons interrompu...
- Il nous faut donc retourner là-bas.
- Non, c'est inutile tant qu'on n'est pas sûr de ce qu'il cherchait. Donc
nous devons plutôt le rattraper pour le lui demander. D'ailleurs,
accroche-toi, ça ne va pas tarder à commencer...
Lara regarda autour d'elle : ils quittaient enfin le centre populeux de
Bombay et entraient sur les grands axes. La camionnette blanche accéléra
régulièrement. Jones fit de même. Ils roulaient plus vite, mais toujours
tranquillement. Ils étaient encore dans l'agglomération, donc au milieu
d'innocents. Drôle de course poursuite, vraiment...
- Ils nous ont déjà repérés, tu penses ? demanda Lara.
- Bien évidemment.
- Ils savent donc qu'ils ne pourront pas te semer...
- C'est probable.
- Ca sent le rodéo, tout ça...
Ils firent encore une trentaine de kilomètres avant que la camionnette ne
quitta l'autoroute. Jones suivit. La vitesse atteinte était maintenant plus
en rapport avec la notion de poursuite. Le roadster bondit pour se retrouver
au contact du pare-choc arrière. Soudain, les deux portes arrières
s'ouvrirent à la volée, laissant apparaître deux hommes lourdement armés.
Sans hésiter, ils firent feu. Les balles crépitèrent sur le roadster,
feuilletant entièrement le pare-brise. Jones fit une violente embardée et se
mit à faire des zigzags pour compliquer la tâche des arroseurs. En
marmonnant quelques jurons bien sentis, il dégaina son six-coups et, de la
main gauche, tira par la fenêtre.
- Couche-toi ! cria-t-il à Lara.
- Ca fait deux fois en moins de deux heures que tu me fais le coup de
l'homme surpuissant et protecteur, protesta la jeune femme. Accroche-toi à
ton volant et à ton slip, je m'occupe du reste !
Sans attendre la réponse de Jones, sans même voir son visage outré, elle se
laissa glisser le long de son siège, replia les jambes tout en les relevant,
et lança ses pieds de toutes ses forces contre le pare-brise feuilleté.
Ejecté, il s'envola, égratignant la carrosserie du toit au passage.
- Ma voiture... gémit Jones.
Lara se redressa, les cheveux virevoltant, et entreprit de sortir de la
voiture par l'ouverture béante laissée par le pare-brise.
- Que fais-tu ? hurla Jones. Tu es devenue folle ???
Malgré la vitesse et les violentes secousses, Lara s'allongea de face sur le
capot du roadster, vers l'avant, se tenant du bout des pieds à l'armature
basse de feu-le pare-brise.
- Elle est folle... Elle est folle...
Une fois calée, elle dégaina ses magnums et tira. Les deux agresseurs,
s'écroulèrent, gravement touchés. L'un d'eux bascula dans la camionnette,
l'autre dehors. Jones fit un écart désespéré pour éviter le corps roulant
par terre. Lara ne s'arrêta pas là : visant les roues arrières, elle fit
exploser les deux pneus. La camionnette fit aussitôt de violentes embardées,
quitta la route et s'écrasa contre un arbre dans un fracas épouvantable.
Jones stoppa le roadster sur le bord de la route. Lara glissa du capot et
s'épousseta de nouveau.
- Tu aimes me voir sale, on dirait, Jones, ironisa-t-elle.
- Mais tu es complètement folle ??? hurla-t-il, visiblement en colère. C'est
de l'inconscience !! De l'insanité mentale ! De la débilité !
- Du calme, Indy ! Contrairement à ce que tu sembles croire, je suis tout
sauf une gentille fille à papa de la noblesse anglaise.
- C'est possible, mais de là à faire des acrobaties suicidaires pour
m'impressionner...
- J'ai arrêté le mitrailleur avec style, c'est ce qui compte !
En silence, ils se jaugèrent, le regard plongé dans les yeux de l'autre,
debout, face à face. Ce fut Jones qui céda le premier, en soupirant. Il
s'approcha de la camionnette et, arme au poing, ouvrit la portière
conducteur. Lara s'approcha de l'homme qu'elle avait descendu, maintenant
allongé dans l'herbe.
- Le conducteur est mort, fit Indy en revenant vers elle.
- Celui-là est encore vivant... Mais plus pour très longtemps...
Indy s'accroupit près de lui et lui souleva la tête pour l'aider à respirer.
Il avait effacé plusieurs balles en plein ventre, et il ne lui restait en
effet plus beaucoup de temps.
- Qui es-tu ? demanda Lara. Et que cherchais-tu ?
L'homme toussa, cracha, suffoqua et se mit à ricaner lamentablement.
- Tu fais une erreur, si tu veux mon avis, reprit-elle. Tu vas crever ici
sans raison, en emportant ton secret... A quoi ça sert ? Tu devrais parler...
- Trop tard, intervint Indy. Il est mort.
Lara se redressa en soupirant. Jones se mit à étudier les poignets, le
torse, le cou, et d'autres parties du cadavre.
- Tu fais quoi, là, exactement ? s'inquiéta Lara.
- Je cherche un tatouage. Ce genre de « distributeur de paradis » appartient
généralement à une secte, ou à une organisation mafieuse ou secrète, ou un
groupuscule d'illuminés voulant conquérir et dominer le monde... Rien !
finit-il, déçu.
La jeune femme se pencha et, plongeant la main dans la veste du cadavre, en
ressortit son porte-feuille. Elle commença à le décortiquer sous l'oeil
halluciné d'Indy.
- Un « méchant » qui se ballade avec ses papiers ??? béa-t-il.
- Bienvenue au 21e siècle, docteur, à l'ère de la fermeture hermétique des
frontières ! (elle sortit enfin ce qu'elle cherchait : le passeport) Rick
Stavinson, ressortissant américain.
Indy lui arracha le passeport des mains d'un air contrarié.
- Ne restons pas là, fit-il. La police va arriver, et nous avons encore
beaucoup de choses à faire !
Il repartit vers le roadster. Lara le suivit, les mains croisées derrière la
tête.
- Mais que tu es mauvais joueur ! s'exclama-t-elle.
(1) NDA : Lara et Indiana Jones se parlent
en anglais, langue qui ne différencie pas le tutoiement et le vouvoiement de
politesse. Néanmoins, afin de bien décrire l'évolution de leurs
comportements l'un envers l'autre, j'ai utilisé cette notion pour des
raisons pratiques.
|