Chapitre 5
Indiana Jones roulait à une vitesse
modérée, sur le chemin du retour à sa villa. Non seulement l'absence de
pare-brise donnait une grande prise au vent, mais de plus, l'état général du
roadster, constellé d'impacts de balles, attirait suffisamment l'attention
pour ne pas en plus faire un excès de vitesse.
- J'ai trouvé ! s'écria-t-il soudain, faisant sursauter sa passagère.
- Hein ? Quoi ? Ce qu'ils cherchaient dans ton bureau ?
- Angelina Jolie !
Lara le regarda, les yeux écarquillés.
- Tu planquais une actrice dans la fac de Bombay ?
- Angelina Jolie ! répéta-t-il. Tu ressembles à Angelina Jolie ! Depuis que
je t'ai rencontrée, je cherchais à qui tu me faisais penser. Et ça m'est
venu comme ça, d'un coup !
Il soupira d'aise, visiblement soulagé. Il se tourna vers elle : elle était
paralysée par la stupéfaction.
- Désolé... rit-il.
- Tu es in-cro-yable...
Ils arrivèrent à la villa, mais Indy ne prit même pas la peine de rentrer.
Il passa d'un véhicule à l'autre et enfourcha une moto. Il jeta un casque à
Lara. Elle le lui rendit aussitôt.
- Merci, mais je reste là, dit-elle.
- Trop d'émotions ?
- Rien à voir, j'ai des recherches à mener de mon côté.
- Sois honnête... J'ai réussi à te dompter, en fait, non ?
Il démarra en trombe devant le regard furibond de la jeune femme. Elle le
regarda s'éloigner, puis rentra dans la villa. Le majordome indien s'enquit
aussitôt de ses désirs : elle lui commanda un thé, puis fonça récupérer ses
affaires dans sa chambre. Elle était venue vérifier que le docteur Jones
était immortel, et elle se trouvait embarquer dans un début d'enquête avec
lui. Une bonne nouvelle, après ces quelques mois d'inactivités. Elle
s'installa dans le canapé et posa son ordinateur portable sur la table
basse. Elle s'étira, puis fit craquer ses doigts pour les assouplir.
- Bienvenue dans l'ère d'Internet, docteur Jones !
Et elle commença ses recherches.
***
Indy revint trois heures plus tard. Il
empestait les cendres froides, et Lara le lui fit comprendre par un regard
très appuyé. Il jeta un imposant sac sur la table basse. Elle lorgna dessus
sans poser de questions, puis revint à son écran d'ordinateur.
- Un docteur Jones lavé serait fortement apprécié, clama-t-elle sur le ton
de la conversation, sans le regarder.
- Je suppose que tu ne veux pas m'accompagner... demanda-t-il.
Négligemment, elle lui jeta un coussin en pleine tête. En riant, Indy
s'absenta, pour revenir vingt minutes plus tard, propre comme un sou neuf.
- Notre ami Rick Stavinson travaille dans le bâtiment, à Minneapolis,
Minnesota, expliqua Lara en désignant une photo sur son écran. Marié, pas
d'enfant. Employé du mois à deux reprises l'année dernière. Paye ses impôts,
participe à la vie sociale de son quartier, fidèle, amoureux.
- Un citoyen modèle, en somme... soupira Indy. Ce qui a tendance à me donner
raison.
- A propos de ?
- De la secte. Comment un brave type peut se retrouver à mettre le feu à une
université à l'autre bout du monde sans avoir été endoctriné ?
- C'est vrai... Mais ça ne cadre pas... Quelque chose cloche...
- Beaucoup de choses clochent. Je n'ai rien trouvé dans les ruines. Tout a
brûlé...
- Peut-être que les deux événements, je veux dire l'incendie et la présence
de Stavinson, ne sont pas liés.
- Ca ferait une drôle de coïncidence...
Soudain, dans un fracas épouvantable, une vitre explosa. Dans un bel
ensemble, Indy et Lara se tournèrent vers la source du bruit. Ils virent une
dizaine de grenades rouler à vive allure dans leur direction, provenant de
la baie vitrée cassée. Ils restèrent fascinés par la menace mortelle qui
s'approchait inexorablement. Heureusement, ils reprirent leurs esprits à
temps : dans un même élan, ils se ruèrent dans la direction opposée. Les
explosions simultanées dévastèrent le salon et ébranlèrent toute la villa,
effritant même le plafond, faisant tomber des morceaux de plâtre. Le souffle
projeta les deux aventuriers contre un mur. Ils s'écroulèrent par terre,
abasourdis. Indy se releva en titubant en premier. Il aida Lara, qui était
assez sonnée.
- Ils dévastent ma voiture, et maintenant mon salon ! gémit-il.
Plusieurs hommes encagoulés, armés de mitraillettes, firent irruption dans
le salon dévasté. Leur tenue comme leur façon d'investir le lieu en se
séparant pour couvrir chaque zone indiquaient qu'ils s'agissaient de
militaires ou, plus évident, de para-militaires. Indy poussa Lara dans la
pièce à côté, par une petite porte. Au même moment, il poussa un petit
gémissement et arracha la seringue qui venait de se planter dans sa cuisse.
- Fuis, ils ne me tueront pas, ordonna-t-il, et son ton ne laissait aucune
place pour la contestation.
- Je m'occupe de tout. Ils ne m'auront pas, et je reviendrais te chercher.
(elle regarda la seringue hypodermique) bonne nuit, docteur Jones !
Elle se rua dans l'escalier proche. A mi-chemin, elle aperçut deux commandos
passer la porte. Elle termina sa montée poursuivie par une salve de
mitraillette, dont les impacts firent voler des morceaux de mur tout près
d'elle. Elle entendit aboyer des ordres, sans les comprendre. De toute
façon, elle n'avait pas le temps de les écouter. Elle déboucha dans un
couloir, qu'elle traversa en courant. De fait, elle repassa au-dessus du
salon. En un coup d'oeil, elle vit Indy inconscient par terre, au milieu des
paras. Une nouvelle salve, venue d'en bas, manqua de peu la rattraper. Elle
se rua dans le couloir opposé et, d'un bon coup d'épaule, entra dans sa
chambre. Sans reprendre son souffle, elle bondit de l'autre côté du lit,
effectuant une roulade sur celui-ci. Des bouts de tissu et des plumes
volèrent sous les balles. Elle saisit ses deux magnums, et leurs crosses
rugueuses la rassura quelque peu. D'une puissante roulade, elle retraversa
le lit, mais par en-dessous. Elle déboucha donc du côté de la porte, mais en
bas. Les deux commandos n'eurent pas le temps d'abaisser leurs mitraillettes
: elle les tua de plusieurs balles chacun. Elle resta allongée, les bras
levés vers la porte, les magnums visant l'entrée. Elle était bloquée par la
tension et le stress. Elle entendit des pas cadencés dans l'escalier
principal.
- Allez, bouge, ma fille... s'exhorta-t-elle. Bouge, bouge, BOUGE !
Au prix d'un gros effort de volonté, elle réussit à se lever. Sautant
par-dessus le lit, elle se jeta par la fenêtre. Dans son élan, prenant appui
sur le rebord, elle bondit vers un petit balcon en contre-bas, de l'autre
côté de la cour intérieure. Au zénith de la courbe que décrivait son saut,
elle tourna sur elle-même, latéralement, pour se retrouver face à la chambre
qu'elle venait de quitter. Le commando qui venait d'émerger par la fenêtre
mourut avant de comprendre. Lara poursuivit son mouvement de rotation,
atterrit violemment sur le balcon et exécuta quelques roulades pour amortir
la chute. Elle venait de traverser une cour en sautant, à cinq bons mètres
du sol, et en s'offrant le luxe de se retourner en l'air pour descendre un
de ses poursuivants. Et elle était arrivée vivante à destination.
- Coupez, elle est bonne ! murmura-t-elle pour elle-même.
Sans perdre de temps, elle quitta le balcon en sautant dans la cour. Une
fois au sol, elle s'accroupit, les sens en alerte. Quelques secondes plus
tard, elle sentit le contact froid et désagréable d'un objet métallique
contre l'arrière de son crâne, au milieu de ses cheveux. S'ensuivit alors le
craquement familier d'un fusil à pompe que l'on arme. Elle tenta de réguler
sa respiration courte et de calmer son coeur galopant. Puis elle jeta ses
magnums au loin et leva les mains.
- Vous êtes surprenante, mademoiselle, dit une voix d'homme derrière elle.
Efficace, pleine d'initiative, audacieuse... Belle, également. Les apparences
sont délicieusement trompeuses, vous concernant.
Il parlait calmement, sans aucun stresse, avec un fort accent français.
- A qui ai-je l'honneur ? osa-t-elle demander, en français.
- Vous parlez français ? s'étonna sincèrement l'homme.
Lara ne répondit pas. Elle sentit une légère déception de la part de
l'inconnu.
- Auriez-vous l'obligeance de mettre vos charmantes mains dans votre tout
aussi charmant dos ? demanda-t-il poliment, reprenant en anglais.
Elle s'exécuta en silence. D'un geste rapide et précis, l'homme lui passa
une solide paire de menottes, puis, l'empoignant fermement par un bras, la
remit debout en la soulevant comme il aurait soulevé une plume. Elle en
profita pour le regarder : elle découvrit une armoire ambulante. Taillé dans
la masse, le visage carré, brun, il portait un costume ample et élégant.
Lara, pourtant pas minuscule, sembla ridicule à côté de cette masse vivante.
Il respirait la sérénité et l'absence totale d'émotions négatives. Mais il
ne donnait pas pour autant l'impression d'être un benêt. Ensemble, ils
retournèrent dans le salon en ruine. Lara dénombra seize commandos, qui
tenaient position aux quatre coins de la pièce. Au centre, un homme
approchant les soixante ans était penché au-dessus d'un Indiana Jones
paisiblement endormi. Le chef du groupe se redressa et se tamponna la bouche
et le nez avec un carré de soie. Il était élégant et agissait en
conséquence, à la limite de la préciosité. Soudain, il se tourna vers le
couple entrant et s'approcha d'un air mauvais. Lara recula, mais buta contre
le colosse français derrière elle. Maintenant face à elle, l'aristocrate la
gifla violemment, d'un air parfaitement détaché. La brutalité et la
soudaineté du coup amena Lara au bord des larmes. Elle les refoula et tenta
de se recomposer une dignité.
- Frapper une femme attachée, c'est très élégant de votre part...
ironisa-t-elle.
Sans un mot, et toujours dans le plus grand silence, il la giflé de nouveau,
sur l'autre joue, et avec autant de violence que la première fois. Lara
sentit quelques gouttes de sang s'écouler de son nez.
- Le principe de l'interrogatoire, c'est de poser les questions d'abord, et
de frapper ensuite, fit-elle en souriant. Vous ne lisez jamais de polars ?
Elle encaissa une nouvelle gifle. Elle commençait à flancher sur ses jambes,
mais surtout à ressentir des sueurs froides le long de son échine. Ce type
allait la battre à mort sans dire un mot et sans même hausser un sourcil !
Ou alors son but était de l'assommer avec la paume de la main. Elle leva les
yeux vers lui. Elle avait du sang dans la bouche, provenant certainement de
sa lèvre fendue ou de ses gencives. Prenant une grande inspiration, elle lui
cracha au visage. Sans se départir de son impassibilité, il essuya
délicatement le sang et la salive avec son carré de soie. Il fit un petit
signe : un des commandos s'approcha, dénuda violemment l'épaule de Lara et
lui planta une seringue dans la chair. La jeune femme chavira et perdit
connaissance.
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