Chapitre 6
- Lara ?
- Hmmmmm.... Winston ? gémit la jeune femme en remuant dans son lit. Quelle
heure il est ? J'ai mal dormi...
Elle se sentait pâteuse, voire patraque, et avait du mal à émerger de son
sommeil. Elle finit par ouvrir les yeux : elle se trouvait au milieu d'un
décor assez éloigné de sa chambre du manoir Croft. Elle était dans une
cellule. Ou une cave. Des murs nus, sales et recouverts de salpêtre. Une
forte odeur de renfermé, de moisi. Elle était assise par terre, les jambes
allongées, et le tronc dans les bras d'un Indiana Jones penché sur elle.
- Désolé de te ramener à la dure réalité, dit-il.
- Pas de problème, ç'aurait pu être pire. Où sommes-nous ?
- Aucune idée. Qui est Winston ?
- Mon majordome. Indispensable.
Lara se sentait étrangement calme et rassurée dans les bras de Jones. Elle
leva les yeux sur lui et découvrit un visage tuméfié par les coups, et
recouvert de sang séché par endroit.
- Très réussi... sourit-elle. C'est une oeuvre d'art ?
- Tu n'es pas spécialement belle à voir non plus, se défendit-il en lui
rendant son sourire.
Elle lui tira la langue. Passant son bras autour du cou de son ami, elle
tenta de prendre appui, sans succès : elle n'avait plus de force, et ne put
se relever.
- Okayyyy... gémit-elle. Là je panique... Je ne sens plus mes jambes !
- Tu t'en servais beaucoup, de toute façon ? demanda Indy.
- Ahah, ahah... Hilarant... Une vanne sur un tel sujet signifie donc que c'est
temporaire, n'est-ce pas ?
- Ca l'est, en effet.
La porte s'ouvrit alors, dans un grand fracas de verrous et de gonds mal
huilés. Le colosse français entra, un grand sourire innocent illuminant son
visage carré.
- C'est un malentendu et vous venez nous libérer ? demanda Lara en
français.
Le sourire de l'homme s'accentua encore.
- Non, hélas, répondit-il. Je viens juste vous chercher, charmante
demoiselle.
Lara hocha la tête et leva son visage vers Indy.
- Il dit qu'il vient...
- J'ai compris, l'interrompit-il.
- Vous parlez tous les deux français ? s'étonna le colosse.
- Les notions de base, répondit Indy. Mais nous ne sommes pas là
pour tenir salon sur nos compétences linguistiques, n'est-ce pas ?
- En effet...
Le colosse s'approcha et s'accroupit. Passant ses bras sous les jambes et le
dos de Lara, il la souleva comme une plume. Lâchant le cou d'Indy, elle
passa son bras autour du cou du français. Même temporairement, elle était
paralysée, dépendante de cet homme. Du haut de son perchoir, elle constata
alors qu'Indy était solidement attaché au mur par de grosses chaînes. Si ce
n'était la tenue de son amie, elle se serait crue revenue dans un cachot
médiéval. Le colosse sortit de la cellule avec Lara dans les bras. Il
referma la porte d'un bon coup de talon.
- Où m'emmenez-vous ? demanda Lara.
- Chez M. Smith, répondit-il simplement.
- Chouette... Encore la machine à baffes...
Le colosse haussa les épaules.
- Je tiens à m'excuser pour le comportement inadmissible de mon employeur,
Miss Croft. Frapper une jeune femme est une honte, surtout aussi belle que
vous.
Il avait l'air sincèrement désolé. Lara aurait pu se prendre d'amitié pour
cet homme un peu bête, qui semblait obéir sans jugement critique. Mais elle
n'oubliait pas la situation, et ce colosse, aussi amical soit-il, était
quand même un de ses ravisseurs. De plus, elle le sentait mal à l'aise quand
elle s'adressait à lui en français, sa langue maternelle. Il revenait
rapidement à l'emploi de l'anglais, comme s'il tentait de se convaincre que
ça permettait de garder une distance morale nécessaire et suffisante. Mais
elle s'égarait à l'étude de ce français. Elle revint à des considérations
beaucoup plus urgentes. L'air de rien, elle se mit à noter mentalement le
parcours et l'environnement qui défilait sous ses yeux : un escalier pour
sortir de la cave, un hall d'entrée richement décoré, dans un style «
renaissance », puis une double porte donnant sur un salon. Plusieurs hommes
de main en costume se tenaient immobiles dans la pièce, les revolvers bien
en évidence. Le français s'approcha d'un grand bureau et déposa Lara sur une
chaise, en face de son tortionnaire.
- Mr. Smith, je suppose ? demanda-t-elle.
Le vieil aristocrate la regarda intensément.
- Votre nom ? fit-il enfin, après un long moment de silence.
Lara entendait sa voix pour la première fois. Elle était très cohérente avec
le personnage : sèche, sévère, sans âme. Un brin nasillarde. Une voix de
sadique.
- Angelina, rétorqua-t-elle, sans se presser, en le regardant droit dans les
yeux.
- J'ignorais que Jones avait les moyens de se payer une pute de luxe...
Elle serra les dents sous l'insulte, mais ne répondit pas.
- Vous devez être dans sa fourchette de prix, néanmoins, puisqu'il vous
garde comme s'il tenait à vous... Vous êtes en solde ? Ou vous lui faites un
prix parce qu'il est généreux avec vous, comme dans ce film ridicule, «Pretty
Woman » ?
- Vous faites erreur, je ne suis pas une prostituée, lâcha enfin Lara, plus
pour son moral et sa réputation que par réelle volonté d'informer le
sadique.
- Vraiment ? Vous en avez l'air, pourtant...
Lara s'imagina seule avec lui, avec l'usage de ses jambes. Elle pensa à
toutes les réjouissances qu'elle lui ferait subir pour de telles insultes.
Devant le mutisme de la jeune femme, Smith ouvrit le dossier qui se trouvait
devant lui, sur le bureau. Il chaussa une paire de petites lunettes rondes
qui accentuait encore son air sadique.
- Lady Lara Croft, née le 14 février 1967, à Timmonshire, dans le Surrey, en
Angleterre, lut-il. Orpheline de père et de mère. Archéologue autodidacte,
tendance aventurière de l'extrême. Connue dans le milieu sous le surnom de...
Tomb Raider.
- Chouette, j'ai enfin trouvé mon biographe officiel ! s'exclama-t-elle. Un
pourcentage des ventes, ça vous convient ?
Ignorant l'intervention de la jeune femme, Smith referma le dossier et
retira ses lunettes. Lentement, afin d'entretenir le stress de Lara. Elle
dut admettre que ça marchait à merveille : elle avait les nerfs en pelote.
- J'ai besoin de Jones. De ses connaissances centenaires et de ses talents
d'aventurier et d'archéologue.
- En détruisant sa maison, son université et en le kidnappant ?
Smith bougea les lèvres en une sorte qui aurait pu passer pour un sourire.
Lara en fut terrifiée.
- Comme vous venez de le constater, la diplomatie et le tact ne sont pas mon
fort. J'ai tendance à utiliser des méthodes plus directes pour arriver à mes
fins. Et celle dont je compte me servir maintenant est très personnelle, et
j'en suis plutôt fier : soit il m'aide, soit vous mourrez.
- Simple et efficace, bravo, ironisa Lara.
- Ceci dit, j'ai appris de Beauchamps que vous étiez plutôt efficace. Loin
de la jeune fille terrorisée que l'on pourrait imaginer en vous voyant. Je
me suis donc dit que vous ne vous laisseriez pas abattre aussi facilement.
De plus, je préférerais vous garder vivante le plus possible, puisque vos
talents propres pourront compléter ceux de Jones.
- C'est gentil, merci... Et donc ?
- Donc je vous ai fait inoculer un virus très puissant. Il circule
actuellement dans vos veines, mais en sommeil. Je peux déclencher son «
réveil » grâce à une petite télécommande. Très pratique...
- De la nanotechnologie ! siffla Lara, admirative. Vous avez les moyens !
- Je les ai, oui. Bien sûr, je ne peux pas promettre à Jones de lui donner
la télécommande en échange de son aide, il ne me croirait pas. Il existe
donc un antidote qui supprime définitivement ce virus. Bien sûr, inutile de
foncer chez un médecin, il est aussi rare que compliqué à fabriquer. Et au
moindre doute, j'appuie sur le bouton...
- Formidable !
- Jones est déjà au courant du marché que je lui propose et, bien entendu,
il est d'accord... Je voulais juste vous mettre au courant.
- Bien aimable.
- Considérez-vous donc comme mon invitée.
- Ca va être dur...
Sans répondre, Smith la congédia d'un geste condescendant. Elle attendit son
« porteur ». Beauchamps ne tarda pas et la prit dans ses bras. Ils sortirent
du salon.
- Et maintenant ? demanda-t-elle en français.
- Repos, bains, bon repas, bref, requinquage complet !
- « Re » quoi ?
- Excusez-moi, c'est un mot d'argot français. Disons, remise en forme
complète !
Il rejoignit l'étage par de larges escaliers et entra dans une chambre,
vaste mais se contentant d'un lit et d'une baignoire. Il déposa Lara sur le
lit et décrocha le téléphone. Il marmonna deux mots.
- Une domestique, une femme, va venir vous aider à prendre votre bain, le
temps que vous récupériez l'usage de vos jambes, dit-il.
- Merci de votre élégance, répondit-elle, consciente qu'il aurait pu le
faire lui-même sans qu'elle ne puisse aller contre.
Il inclina la tête et prit congé. Quelques minutes plus tard, une femme de
ménage entra pour aider la jeune femme.
***
Lara était allongée sur le lit, en peignoir
de soie. Elle venait de se relaxer près de deux heures dans un bain, et se
contentait maintenant de lire des magazines. Elle s'était maquillée, moins
par coquetterie que pour effacer les traces de coups et les bleus qui
ornaient son visage.
- Entrez ! cria-t-elle en réponse aux coups discrets données à la porte de
sa chambre.
L'éminent docteur Jones fit alors son entrée. Marqué lui aussi de coups,
arborant un gros pansement sur le front, il avait visiblement profité d'un
bain et d'une nouvelle garde-robe. Le costume lui allait à ravir.
- Je ne suis pas présentable, Indy, lui reprocha-t-elle en refermant
machinalement son peignoir.
- Comment vas-tu ?
- Pas trop mal pour une morte en sursis...
Indy s'assit sur le bord du lit, à ses pieds.
- Je suis vraiment désolé de t'avoir embarquée là-dedans... Tes jambes,
splendides d'ailleurs ?
- Ca commence à me picoter... Je récupère des sensations, mais je suis
toujours... handicapée.
Ils restèrent silencieux un moment.
- Tu peux me transporter derrière le paravent ?
Indy s'exécuta et la déposa sur une chaise. Il repassa de l'autre côté et
alla se servir une bonne rasade de scotch au mini-bar.
- Alors, Jones ? dit Lara de derrière le paravent. Si tu m'expliquais ce que
veut ce Smith ?
Il fit tournoyer son whisky dans son verre, pensif. Il entendait les
froufrous des vêtements qu'on enlève et qu'on met.
- Le trésor des templiers, finit-il par répondre.
- Ben voyons, ricana Lara. Et tu y crois ?
- Ai-je le choix ?
- On l'a toujours... Il a presque été prouvé que la branche combattante de l'Eglise
avait été dissolue et ruinée, et que, de fait, leur trésor n'est qu'un
fantasme entretenu depuis des siècles.
- C'est vrai...
- De plus, pourquoi prendre autant de risques pour enquêter sur une histoire
aussi... banale. Nous kidnapper, me tuer à petits feux, ce sont des moyens
assez disproportionnés, non ?
- C'est vrai aussi...
- Tu ne me dis pas tout, n'est-ce pas ? Tu peux venir ! fit-elle sans
attendre la réponse.
Indy la ramena sur le lit : elle s'était habillée. Puis il se rassit sur le
lit et se remit à siroter son verre, perdu dans ses pensées. Lara souleva
ses jambes mortes l'une après l'autre, pour les faire bouger.
- Un verre ? proposa soudain Indy.
- Son petit frère, répondit-elle en désignant son verre du menton.
Il retourna au mini-bar et entreprit de servir un second scotch.
- C'est en effet un brin plus compliqué, finit-il par reconnaître, sans la
regarder.
Il revint sur le lit et tendit le verre. Lara le remercia en silence.
- Je connais Smith depuis une vingtaine d'années. Disons que nous avons
collaboré au début des années 80... Il avait déjà une forte tendance à ne voir
en toutes choses que son profit personnel. Et comme notre collaboration
concernait une idole assez rare, et que j'ai eu... disons le dernier mot, ça
s'est relativement mal fini. J'ai ramené l'idole dans un musée, le privant
d'une certaine somme d'argent...
- Quelques millions, en gros ?
- Oui, quelques... Bref, Smith était un pilleur qui revendait ses trouvailles
au marché noir. Mais ça restait... de petite envergure. Jamais il ne serait
allé jusqu'au meurtre pour obtenir ce qu'il voulait. Les méthodes qu'il
emploie aujourd'hui sont étonnantes...
- Les gens changent, répliqua Lara sans conviction.
Elle avait l'esprit obnubilé par ses affaires pliées en tas au pied du lit.
Elle avait commencé à loucher dessus lors de l'explication d'Indy. Elle
rampa sur le lit et récupéra le paquet. Indy la regarda faire avec d'autant
plus d'étonnement qu'elle déballait le tout avec empressement.
- Ahah ! s'écria-t-elle en exhibant ses chaussures d'un air triomphal.
- Tes rangers... Tu es si bien que ça, dedans ? Ou elles ont une valeur...
Lara l'interrompit d'un geste brusque et entreprit de démonter les deux
talons. Sous l'oeil ahuri de son ami, elle en sortit plusieurs morceaux de
plastique qu'elle assembla prestement, jusqu'à obtenir un petit appareil
plat. Elle appuya sur deux boutons et porta le tout à son oreille.
- Bryce, c'est Lara, dit-elle. Tu as trente secondes pour trouver d'où je
t'appelle et me le dire. Tu lâches ta canette de Coca et tu localises à
partir de mon... top !
La jeune femme se tourna vers Indy en souriant : il était totalement
abasourdi, incapable de prononcer un mot. De sa main libre, elle lui ferma
la bouche en appuyant sur son menton et lui fit un clin d'oeil complice.
- Oui, je t'écoute, mon chou, reprit-elle. Tu es sûr ? ... Ok, nouveau défi :
il te reste, disons, quatre heures pour me louer un petit appart' et pour le
remplir du matériel habituel ! Si tu me réussis ça, je te ferais un gros
bisou... Non, mon chou, n'exagère pas ! Allez, au boulot !
Elle raccrocha et jeta le téléphone de fortune près d'elle, sur le lit. Elle
regarda Indy, un grand sourire aux lèvres : son ami commençait à peine à se
remettre de sa stupéfaction.
- Rome, tu connais bien ? fit-elle en souriant.
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