Chapitre 8
- Legg... murmura Lara. Cette sale pute
revient me faire chier !
Indy écarquilla les yeux, choqué par le langage ordurier de son amie.
Langage à la fois mal venu dans la bouche d'une jeune femme et dans un tel
lieu.
- Lara, je pense que tu t'oublies... Nous sommes dans un lieu saint !
Il était sincèrement outré, et la jeune femme s'en rendit compte. Rougissant
de honte et de colère, elle broya le crayon de papier qu'elle tenait. Le
craquement résonna dans les allées silencieuses de la bibliothèque.
- Calme-toi, maintenant ! continua Indy sur un ton sévère. Et explique-moi !
Tu la connais ?
- Oui, hélas !
Lara respira profondément, pour calmer les hérissements qui parcouraient sa
moelle épinière.
- Et elle ne fait pas partie des « gentils », termina-t-elle.
- Bien, voilà donc un fait nouveau...
- Oui, car nous avons deux cas distincts !
Elle prit d'autorité la feuille sur laquelle Indy avait fait son schéma
initial. Elle écrivit, avec sa moitié de crayon, sous les deux cercles «
Smith », un troisième cercle avec le nom « Legg », puis nota un grand « I »
au-dessus du tout. Puis elle prit une nouvelle feuille, nota « II » et
dessina deux zones : « Smith » et « Stavinson / Legg ».
- J'opterais plutôt pour la première solution, fit Indy, qui avait suivi la
synthèse de son amie.
- Moi aussi... Ce qui nous donnerait trois équipes différentes, et surtout
trois équipes de « méchants ».
- Ou peut-être que deux, finalement... continua Indy, pensif. Je vois
Stavinson avec l'équipe Smith...
- Hein ???
- Un étalage de sa détermination avant de m'embaucher... Peut-être...
- Je trouve ça un peu tiré par les cheveux !
- Moui, c'est possible... Bien, si on s'occupait de François de Salle ?
Lara acquiesça. Il alla chercher une bonne dizaine de livres soigneusement
choisis et les posa sur la table.
Pendant plusieurs heures, ils firent leurs recherches chacun de leur côté,
en silence. Les informations étaient bien entendu vagues, imprécises, et une
phrase d'un livre nécessitait d'être recoupée avec d'autres livres pour
obtenir quelque chose de cohérent et d'intelligible. Des dizaines de
feuilles volantes se remplirent de schémas, de textes et d'annotations.
C'était un travail minutieux, fastidieux, et si Indy n'aimait pas beaucoup
ce côté gratte-papier du métier d'archéologue, Lara détestait carrément ça.
Elle poussait fréquemment de longs soupirs, voire des gémissements, et avait
de plus en plus de mal à focaliser son attention sur les pattes de mouche
calligraphiés sur les ouvrages précieux. Enfin, au moment où la patience de
la jeune femme allait céder, la préparant à pousser un hurlement de
frustration, Indy leva une de ses feuilles de note.
- Voilà une histoire intéressante, fit-il. J'ai trouvé plusieurs récits
parlant de François de Salle, et la synthèse que j'en ai faite est plutôt...
étrange.
Indy tendit le papier à Lara et, retirant ses lunettes, s'étira avec
délectation. La jeune femme se plongea aussitôt dans les notes de son ami.
« Onc ne put empêcher le Sieur François de Salle, pieux chevalier envoyé
par Notre Mère l'Eglise, au nom de Jésus Christ Notre Seigneur, pour libérer
la Ville Sainte du joug des impies, de se détourner de la Voie qui était
sienne. »
- Premier point ! fit Indy en souriant. Il a volontairement quitté la
Croisade en chemin, et plutôt à l'aller.
Lara se rendit compte qu'elle avait lu à voix basse, mais distinctement.
Encouragé par son ami, elle continua.
« Journal de la Sainte Croisade, An de Grâce 1148. Le Templier François
de Salle fut trouver errant dans le désert. Seules ses armoiries nous
permirent de l'identifier comme tel, car son âme semblait possédée par le
Démon. Il affirma avoir passé plusieurs années seul en territoire
hellénique. »
Lara releva la tête. Indy jubilait sur sa chaise.
- Deuxième et troisième point ! expliqua-t-il. Il est allé en Grèce et il
vécut anormalement vieux !
- Euh... Ah ?
- La seconde Croisade, commencée en 1147, s'est déroulée presque cinquante
ans après la première !
La jeune femme partagea soudain la ferveur d'Indy. Elle reprit sa lecture.
« Se basant sur les délires du Templier errant, qui parla plusieurs fois
d'une Assemblée, les Saints Inquisiteurs soumirent François de Salle à la
Question. Ils conclurent que le Templier avait renié Jésus Christ notre
Sauveur et confié son âme au Malin lors de son séjour en Hellénie. Les
Saints Inquisiteurs, emplis de mansuétude, libérèrent le Templier du lourd
fardeau qu'était devenue son existence et renvoyèrent son âme égarée vers
son Créateur, Seul Juge de ses péchés. »
- Ils rigolaient pas, à l'époque ! s'étonna Lara. Le quatrième point, c'est
qu'il a été tué par les siens, et vraisemblablement enterré sur place, dans
le désert.
- Exactement.
- J'ai un truc sur ça... (elle fouilla dans ses propres notes) un petit
mausolée enfoui dans un canyon en plein désert turc !
- Encore une similitude avec le Graal, soupira Indy. Mais quelque chose
m'inquiète, et c'est le cinquième point...
- Quoi donc ?
- L'Hellénie... L'actuelle Grèce. Ca nous fait maintenant un lien avec la
mythologie grecque, donc romaine, mais aussi hindou, égyptienne ou
scandinave !
- Ce qui multiplie à l'infini les possibilités sur le but de cette
expédition.
- Oui, à l'infini ! s'exclama Indy, avant de revenir un ton plus bas. Il y a
tellement de légendes... C'est quasiment impossible de savoir ce que nos amis
recherchent !
- T'as oublié un sixième point, reprit Lara. Cette assemblée.
- En effet. Assemblée, avec un « a » majuscule, en pleine phrase...
- Tu en conclus quoi ?
- Que François de Salle a donné un nom propre : l'Assemblée.
- Je comprends rien...
- Moi non plus, Lara, moi non plus.
Indy soupira et commença à plier bagages, regroupant ses notes et refermant
les précieux ouvrages. Ils les remirent en place et sortirent de la
bibliothèque, non sans saluer l'ecclésiastique. Ils quittèrent le Vatican et
rejoignirent leur voiture.
- Au moins deux psychopathes milliardaires s'intéressent à un Templier qui
s'est paumé en Grèce lors de la première Croisade... résuma Lara en
s'installant dans le siège passager.
- Oui. Et, on peut en être sûr, pas pour un quelconque trésor des Templiers.
On ne voit que 0.01% de l'iceberg, Lara...
- Ca devient passionnant, pas vrai ?
- Plus que je ne le croyais au début de la matinée !
Il démarra la voiture et partit dans les rues de la Ville Eternelle.
***
Ils arrivèrent à la villa de Smith en fin
d'après-midi. Reprenant un air grave après une journée magnifique, ils
entrèrent sans hésitation dans le bureau. Le vieil aristocrate les
attendait, toujours entouré de ses hommes de main. Il les accueillit avec
une ébauche de sourire.
- Alors ? demanda-t-il simplement.
Indy lui fit un résumé de leurs recherches, sans omettre un seul détail. Il
joua franc-jeu avec son employeur forcé, et Lara en fut quelque peu étonnée.
Il parla de la Grèce, de l'Assemblée, de l'âge du Templier au moment de sa
mort, du mausolée en Turquie, etc. Smith écouta avec attention,
n'interrompant le récit que pour demander de courtes précisions sur tel ou
tel point. Enfin, il joignit ses mains et afficha un air satisfait. Sans un
mot, il ouvrit un tiroir, y préleva une sorte de pistolet et se leva. Il
tendit l'injecteur à Lara.
- Votre antidote, dit-il simplement.
Lara prit l'objet. Après un moment de réflexion, elle plaça l'injecteur
contre son cou et pressa la détente. Elle grimaça sous la douleur puis
rendit l'appareil. Smith consulta sa montre. Après deux minutes, il sortit
la petite télécommande et pressa le bouton. Lara se crispa, mais rien ne
vint. Pas de douleur au coeur.
- Le travail du docteur Jones pour moi est terminé, et avec succès. Je tiens
donc parole.
Il retourna à son bureau et rangea l'injecteur.
- Vous êtes dorénavant libre de partir. Je vous remercie pour votre
concours.
Indy accueillit cette phrase avec un sourire mauvais.
- Nous savons tous les deux que je reste à vos côtés, Smith. Vous aurez
besoin de moi, surtout si vous voulez prendre vos... concurrents de vitesse.
Smith émit un rire sans joie.
- Comme nous nous comprenons, docteur Jones. Notre collaboration va donc
continuer. Elle ne sera pas basée sur la confiance, mais sur un but commune
: vous avez tout intérêt à ce que je trouve ce que je cherche en premier...
afin d'être là pour m'en empêcher !
- Précisément, oui.
- Alors, je vous engage avec plaisir, docteur Jones ! Miss Croft ?
- Non, merci, répondit-elle en se levant. Vos méthodes sont détestables, et
cette histoire m'exaspère au plus haut point. Je n'ai que faire de votre
histoire commune, à Jones et à vous.
Elle se pencha pour embrasser Indy sur la joue. Puis elle se redressa et
regarda Smith de nouveau.
- Comme vous avez tenu parole, je pars sans vous tuer, Smith. Mais ne
recommencez plus !
Elle quitta le bureau, puis la villa sans se retourner. Elle avait le coeur
qui battait la chamade. Elle espérait avoir accompli son rôle avec justesse,
car c'était sur la crédibilité de son retrait que dépendait le plan d'Indy.
Avec ses quelques euros en poche, elle appela un taxi et partit pour son
appartement fraîchement loué.
A peine la porte refermée, elle se jeta sur le lit, puis sur son téléphone.
- Bryce, mon chou ! Ca va pas tarder à devenir chaud, par ici ! Alors bouge
ton petit corps frêle et amène-le jusqu'ici, avec tout ton nécessaire de
parfait petit hacker. Notamment ton système de traçage. J'ai besoin de toi,
mon chou, alors fais vite !
Elle raccrocha et s'allongea sur le lit. Scrutant le plafond uni, elle
laissa ses pensées vagabonder. Quitter l'équipe Smith et attendre que
l'équipe Legg prenne contact avec elle. Voilà quel était le plan d'Indy.
Deux équipes différentes, donc deux gentils dans chaque équipe pour
contrôler le tout. Lara avait accepté sans broncher, pourtant elle doutait
que Legg fasse appel à ses services... Après l'aventure de Londres... Elle en
était là de ses pensées lorsqu'on frappa à la porte. Brusquement tirée de sa
rêverie, Lara sursauta. Elle prit son Desert Eagle et alla ouvrir,
son arme braquée sur l'arrivant.... qui était une arrivante. Lara laissa
échapper un petit rire narquois. Legg y répondit par un petit sourire
complice.
- Bonjour, Lara, dit-elle d'une voix douce.
- Je pensais justement à vous, Miss Legg, répondit-elle. Mais entrez donc!
La femme blonde s'exécuta et alla spontanément s'asseoir sur le lit. Elle
regarda la malle, pourtant fermée, avec ironie. Lara la visait toujours de
son arme.
- Vous m'attendiez, peut-être ? demanda-t-elle.
- Plus ou moins, oui. Ca marche toujours, les produits anti-rides « Legg»?
Legg fit une moue bizarre.
- J'ai appris que vous aviez précipitamment quitté Mr. Smith... reprit-elle.
- Les nouvelles vont vite, ça fait tout juste deux heures !
- J'en profite donc pour venir vous débaucher, Lara. En personne. Et le plus
sincèrement du monde. Sans piège ni nano-virus.
- Je vois ça... Le Templier, un parent à vous ?
- Pas du tout. Je m'intéresse à ce qu'il a découvert en Grèce. Tout comme
Smith. Mais dans un but beaucoup plus humaniste.
- Vous faites dans l'humour, Legg, maintenant ? Alors, c'est quoi ? Le
pouvoir absolu ? Immortalité, fortune éternelle ?
Legg haussa les épaules, mais sans répondre. Les deux ennemies se jaugèrent
un moment. Soudain, Lara désarma son Desert Eagle et le rangea.
- Racontez-moi tout, Legg... fit-elle.
- Hormis Smith, qui a recruté Indiana Jones et donc moi, qui viens de vous
embaucher, il y a dans la partie un mafieux russe du nom d'Otrianov. Il est
assez logique de penser qu'il a lui aussi engager un... « archéologue ». Je
veux donc arriver avant eux, et je compte sur vous pour cela.
Elle se leva et lissa ses habits d'un air tranquille. Elle posa sa carte de
visite sur le lit.
- Rejoignez-moi à cette adresse dans quatre heures. Nous partirons ensemble
pour la Turquie.
Elle sortit de l'appartement avec un petit clin d'oeil provoquant. Lara lui
claqua littéralement la porte au nez. Elle jeta son arme sur le lit et
reprit son portable.
- Bryce, mon chou, changement de programme ! Tu vas suivre les deux
émetteurs en même temps. J'ai placé le « A » dans la veste de Jones, je
garde le « B » avec moi. On part tous en Turquie, mais peut-être en décalé.
En tout cas pas ensemble. Tu nous suis en temps réel, et tu me rejoins
là-bas avec tout le matériel. Ok ? Hein ? Je suis une quoi ? Dépêche mon
chou, et n'oublie pas qui paye ton Coca !
Elle raccrocha. Sans hésiter, elle fonça sous la douche, puis dans le lit
pour une petite sieste réparatrice.
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