Chapitre 9
Lara stoppa la puissante moto de location
devant une large grille. Vérifiant une dernière fois l'adresse à l'aide de
la carte de visite, elle sonna. Deux chiens de combat, probablement des
dobermans, surgirent de nulle part et sautèrent sur la grille, tous crocs
dehors, aboyant à tout rompre contre la jeune femme. Elle fit une grimace.
Les molosses repartirent comme ils étaient venus, subitement, au coup de
sifflet de leur maître. Un homme en costume, lunettes noires et mine
patibulaire, s'annonça alors à la grille. Lara nota mentalement la
similitude avec les deux chiens, et s'attendit presque à le voir sauter sur
elle.
- Croft, dit-elle simplement en réponse à son mouvement de tête
interrogateur. Elle m'attend.
Le porte-flingue la détailla de la tête aux pieds puis, sans un mot, ouvrit
la grille. Lara envoya les gaz et franchit l'allée menant à la propriété à
grande vitesse. Elle s'arrêta net devant la porte d'entrée, où l'attendait
déjà Miss Legg.
- Contente de vous voir ici, Lara, dit-elle simplement, comme la jeune femme
descendait de moto.
- Vous doutiez ?
- J'avoue que ça m'a traversé l'esprit. Suivez-moi, je vais vous faire
visiter.
Elles entrèrent de concert dans la demeure, avançant dans un large couloir
richement décoré.
- Vous allez constater par vous-même que j'ai mis en place une logistique
sans faille pour trouver ce tombeau, continua Legg en marchant.
- Vraiment ? Vous lanceriez-vous dans une aventure sans cobaye ni
expériences interdites ?
Legg s'arrêta et se tourna vers la jeune femme.
- Lara, oublions nos différends. Sur cette histoire au moins, faisons table
rase du passé. Vos péripéties à Londres et votre tentative d'assassinat sur
ma personne ne doivent pas interférer avec notre objectif commun !
- « Tentative d'assassinat » ? s'étonna Lara. Vous êtes gonflée !
Elles descendirent de petits escaliers menant au sous-sol. Lara était d'une
humeur massacrante, bien qu'elle arrivait à le cacher. Le plan d'Indy se
déroulait pour l'instant plutôt bien, mais c'était du côté personnel que
quelque chose clochait : se retrouver ainsi, à assister sa pire ennemie...
D'autant que Legg avait conscience de la situation, et affichait fréquemment
un petit sourire de victoire morale. Lara aurait donné cher pour le lui
faire ravaler à coups de poing. Elle était à deux doigts d'assouvir son
envie quand elles débouchèrent dans une petite salle. Un homme, véritable
clone de Bryce, était assis devant deux ordinateurs, et semblait très
affairé. Lara se tourna vers son ennemie.
- C'est ça, votre logistique sans faille ?
- Vous vous méprenez sur la stratégie à mettre en place, chère amie (Lara
grinça des dents) ! Nous allons tous au même endroit, il est fort probable
que nous y arrivions en même temps. Nous serons donc bien obligés de
travailler main dans la main...
- En clair, vous vous attendez à ce que le spécialiste du russe, Jones et
moi entrons ensemble dans la tombe ?
- Précisément. C'est une fois à l'intérieur que je compte sur vos talents
propres pour recueillir des informations que je serais la seule à posséder,
prenant ainsi de l'avance sur mes... concurrents.
Lara secoua négativement la tête.
- C'est idiot. Indiana Jones a beaucoup plus de culture archéologique que
moi. Il doit comprendre une demi-douzaine de langues mortes. Quant au russe,
il y a de fortes chances pour que ce soit pareil. Vous avez misé sur le
mauvais cheval, Legg ! Je vais finir troisième de cette petite compétition.
- Vous vous sous-estimez, Lara... Vous avez d'autres talents... je vous vote mon
entière confiance ! Vous me remonterez les informations que je désire avant
les autres, que ce soit par le fait de votre charme ou de votre... sens de la
persuasion.
Les deux femmes se regardèrent droit dans les yeux, en silence.
- On descend dans la tombe à trois, je remonte seule ? demanda-t-elle
doucement.
Legg ne répondit pas, se contentant de sourire. Lara sentit de nouveau
monter en elle l'irrépressible envie de lui refaire le portrait.
- Oh, et puis j'oubliais ! intervint Legg. Comme nous savons toutes les deux
que vous m'accompagnez juste pour m'empêcher d'atteindre mon but, il est
inutile que je vous paye !
***
Plusieurs heures plus tard, un jet civil se
posa sur une des pistes du petit aérodrome d'Ankara, en Turquie. Lara
s'était changée en vol et portait maintenant sa tenue favorite : short
marron, haut vert, lourdes rangers au pied, lunettes de soleil rondes et
colorés en rouge et indispensable petit sac à dos. Elle avait rangé ses
magnums dans celui-ci : inutile d'attirer l'attention plus que de raison en
portant des armes à la ceinture. Il était près de midi, et le soleil cognait
dur sur le sol turc. L'humidité étant de plus rare, la chaleur était
étouffante. Lara réajusta sa queue de cheval et en profita pour s'offrir un
rapide tour d'horizon. Inutile de chercher bien loin : les deux autres jets
qu'elle s'attendait à trouver étaient bien présents. L'un d'eux était arrivé
récemment, puisque des mécaniciens s'affairaient encore dessus.
- Ils sont en avance, fit-elle remarquer à Legg, qui descendait derrière
elle.
- Peu importe. Ils n'entreront pas dans la tombe sans vous.
- Vraiment ? Pourquoi cela ?
Legg ne répondit pas, malgré le regard insistant de la jeune femme. Elle
était vétue, malgré l'environnement, de son éternel tailleur de haute
couture.
- Legg, vous partez du principe que je connais la position de la tombe,
reprit Lara. Or je l'ignore.
La femme blonde posa sa main à plat contre son front pour scruter les
environs en se protégeant du soleil.
- Votre employé ne devrait pas tarder, non ? fit-elle avec son petit sourire
narquois. Grâce à son système de traçage et l'émetteur que vous avez
gracieusement offert au docteur Jones, nous retrouverons vite leur trace !
Lara la regarda d'un air mauvais. Serrant les poings, elle lutta de nouveau
contre son envie de meurtre. Elle se planta devant son ennemie. Sensiblement
de la même taille qu'elle, elle approcha son visage. Leurs nez étaient à
quelques millimètres l'un de l'autre.
- Tu me paieras tout ça, Legg... murmura la jeune femme entre ses dents, droit
dans les yeux. Cher... Très cher...
- J'en ai autant à ton service, Croft, répondit-elle sur le même ton.
Lara rompit soudain le combat psychologique et dégaina son téléphone
portable. Sans quitter son ennemie du regard, elle le porta à son oreille.
- Bryce, mon chou, tu peux venir, dit-elle simplement. Les choses
s'accélèrent, plus la peine de jouer à cache-cache.
Elle raccrocha. Moins de deux minutes plus tard, une jeep arriva sur le
tarmac. Encore deux minutes et une limousine suivit. Lara ricana.
- Vous comptez traverser le désert là-dedans ?
- Bien sûr que non... Nous allons rejoindre un petit héliport privé. De là
nous volerons jusqu'à la tombe.
- Vous savez parfaitement où elle se trouve, n'est-ce pas ? Vous êtes de
connivence avec les autres.
- Nos intérêts divergeront dès la sortie de la tombe. Mais je sais où elle
se trouve, en effet. Smith m'a téléphonée pour me le dire. Vous venez ?
- Merci, mais votre compagnie m'insupporte. Je vais faire le voyage en jeep.
- Comme vous voulez. Ne traînez pas trop, Lara, vous avez du travail !
Legg entra élégamment dans la limousine. Lara la regarda s'éloigner, en
maugréant un certain nombre de réjouissances qu'elle prévoyait pour son
ennemie. Elle évacua la tension du moment en soupirant plus fort que le
Sirocco puis s'approcha de la Jeep. Elle ouvrit la porte côté conducteur et
donna un bon coup de poing dans la cuisse de Bryce, pour le faire changer de
place.
- Aïe !!! s'écria-t-il. Ca fait mal !!!
- Bouge, je conduis !
- Je suis aussi content de te voir, Lara.
Il s'exécuta. La jeune femme s'installa au volant. Se penchant, elle lui fit
un petit bisou sur la joue, très tendre. Bryce passa aussitôt à la couleur
rouge pivoine.
- Je t'écoute, mon chou ! fit Lara.
- Ne m'appelle pas comme ça. J'aime pas quand tu m'appelles comme ça.
- Mais on est bougon, aujourd'hui !
En riant, elle fourragea sa main droite dans les cheveux en bataille de son
jeune ami, qui se dégagea, boudeur.
- Allez, dis-moi tout !
- « Tout », répondit Bryce avec le plus grand sérieux.
Lara lui tira la langue. Le jeune homme sortit son ordinateur d'un sac et
l'installa sur ses genoux. Il commença à taper sur le clavier.
- Ok... Le traceur du docteur Jones est à 450 km d'ici, en plein désert. A 300
km au sud-est, nous pouvons rejoindre la ville de Kayseri. Les hélicos
seront de toute façon obligés de s'y arrêter pour faire le plein. Pour nous,
c'est de la route tout le long, nous pouvons y arriver avant la nuit. On
loge là-bas, et on fait la partie « désert » demain matin. C'est-à-dire 150
km vers l'est, 100 km avant l'Euphrate.
- Impeccable, tu as tout prévu ! Et le traceur de Jones est immobile ?
- Oui.
- Il est donc arrivé à destination... Il doit piétiner en attendant Legg !
Et elle démarra en trombe, manquant renverser son jeune ami.
Ils arrivèrent à Kayseri quatre heures plus tard. Le voyage fut pénible :
bien que la route fut goudronnée d'une extrémité à l'autre, comme prédit par
Bryce, son entretien global laissait à désirer et les cahots furent
innombrables. Lara dut s'arrêter une fois pour permettre à son jeune
compagnon de rendre tripes et boyaux. La ville était de taille moyenne, dans
un vrai style ottoman, mais offrait un confort tout à fait correct. Les
maisons étaient basses et très blanches. Après avoir réservé deux chambres
dans un petit hôtel charmant, les deux voyageurs s'installèrent à la
terrasse d'un café. Bryce retrouva avec bonheur des canettes de Diet Coke
qu'il but à la chaîne, avec délectation. Lara se contenta de siroter une
menthe à l'eau, perdue dans ses pensées. La soirée comme la nuit
s'annonçaient reposantes. Le calme avant la tempête.
Le lendemain, ils reprirent la route de bonne heure, quasiment à l'aube. La
route goudronnée se transforma rapidement en simple piste, qui s'estompa peu
à peu pour laisser place à un véritable champ de bosses, de trous, de sable
et de pierres. Ca secouait beaucoup plus que la veille, à tel point que même
Lara commençait à se sentir nauséeuse. Et pourtant, Bryce ne bronchait pas.
- Tes épinards te font de l'effet, Popeye ! ricana Lara.
- I'm Popeye the sailor maaaannnn ! fredonna Bryce en tenant un stylo dans
sa bouche telle une pipe.
Lara sourit de sa bêtise. Soudain, la console de Bryce émit un bip
répétitif, dont les saccades se rapprochaient de plus en plus.
- On approche ? s'enquit-elle.
- Oui, m'dame ! confirma-t-il.
- En même temps, j'aurais pu m'en douter...
Elle tendit le menton, désignant un ensemble de tentes, de véhicules divers
et de personnes s'agitant au milieu d'un véritable camp de base engoncé dans
un large canyon aux parois bien verticales. Lara s'arrêta non loin des
autres Jeeps et des hélicoptères. Descendant de voiture, suivie par Bryce,
elle traversa sans hésiter le camp et entra d'autorité dans la plus grande
tente, située au centre, dont la taille rappelait un Etat-Major militaire en
campagne. Toutes les personnes présentes tournèrent la tête à son entrée.
Lara prit le temps de détailler tout le monde : Miss Legg, Smith, Beauchamps,
le colosse français et un homme d'une trentaine d'années, au regard très
clair, qu'elle nomma « Otrianov».
- Alors ? demanda-t-elle.
- Ravi de vous revoir, Miss Croft, fit Smith avec son sourire sans joie.
Otrianov se contenta de la saluer d'un hochement de tête.
- Le docteur Jones pilote actuellement le déblaiement de la porte du
mausolée, expliqua Legg. Ils devraient avoir fini sous peu.
Lara se tourna vers le mafieux russe.
- Qui est votre archéologue attitré ? demanda-t-elle.
Il n'eut pas le temps de répondre : deux hommes entrèrent précipitamment
dans la tente. Indy portait un fin pantalon brun, une chemise beige, un
chapeau Stetson et un fouet en cuir enroulé à sa ceinture. Lara lui sourit,
puis regarda le second entrant, l'archéologue du russe. Son sourire disparut
aussitôt. Il portait un short long, une chemise à manches courtes, et une
casquette portée à l'envers. Alex West.
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