Chapitre 13
Il pleuvait abondamment sur
Chicago. Le rideau de pluie, dense, filtrait la lumière et donnait une
ambiance encore plus lugubre à cette ville du nord des Etats-Unis. Blottie à
l'arrière d'un taxi, Lara regardait défiler par les rues parallèles et les
gratte-ciels gigantesques d'un air blasé. Elle décida qu'elle n'aimait pas
cette ville. Arrivée à destination, elle régla le chauffeur et s'engouffra
dans l'hôtel où séjournait la personne qu'elle venait voir. Elle scruta le
hall d'entrée, puis se dirigea vers le bar. Un homme, assis à une table, lui
fit un petit signe timide. Elle s'approcha en souriant.
- Docteur Jackson ? demanda-t-elle en tendant la main.
- C'est bien moi, répondit-il précipitamment, en se levant.
Un peu perdu, il prit la main de la jeune femme et tenta maladroitement un
baise-main.
- Mon assistant m'a présentée en tant que Lady Lara Croft, on dirait,
fit-elle en s'asseyant.
- Euh... oui, en effet.
- Oubliez mon rang, docteur, c'est un vrai boulet que je traîne. Je suis
ravie de vous rencontrer !
- Tout le plaisir est pour moi, Miss Croft.
- Vous êtes à Chicago pour affaires ?
- Une conférence sur une découverte égyptologique fondamentale... Sans rentrer
dans les détails, il est fort probable que les pyramides de Gizeh n'aient
pas été construites par les Egyptiens... Me feriez-vous l'honneur d'y assister
? Elle s'appelle « Egyptologie et Porte des Etoiles ».
- Je n'aurais hélas pas le temps. Un sujet grave me tourmente, et j'ai
besoin de vos compétences de renommée mondiale.
Il rougit sous le compliment, visiblement gêné.
- Ca risque de changer dès ce soir... fit-il pour lui-même. Votre assistant
m'a parlé d'une relique...
- Oui, tout à fait.
Elle sortit le fragment de l'invitation, délicatement enveloppé dans un
tissu, et le tendit à son interlocuteur. Il le prit avec précaution et
chaussa ses lunettes. Il commença à l'étudier, le tournant et le retournant
entre ses doigts.
- C'est un style très occidental, remarqua-t-il. Romain, je dirais... Oui,
romain. (Il rendit l'objet, visiblement très déçu) vous vous êtes trompée de
personne, Miss Croft.
- Ne concluez pas trop vite, docteur. J'ai de bonnes raisons de penser que
ceci n'est que la... moitié d'un objet demi-circulaire. L'autre partie serait
de facture égyptienne, et couverte de hiéroglyphes.
Jackson eut l'air surpris. Il redemanda le fragment, que Lara lui rendit
avec plaisir. Il se remit alors à l'examiner.
- Un artefact commun aux Romains et aux Egyptiens ? Ce serait étonnant... Peu
probable... D'autant que, regardez, les rayons de cet objet sont parfaitement
lisses et rectilignes. S'il y avait un autre morceau rattaché, ils auraient
été découpés au laser, minimum !
- Auriez-vous l'amabilité de m'aider à trouver un objet équivalent dans l'Egypte
ancienne.
- Excusez-moi, j'ai dû paraître grossier. Bien entendu que je vais vous
aider. J'ai presque toutes mes archives personnelles ici. Si vous voulez me
suivre dans ma chambre.
Il se rendit compte presque aussitôt de l'interprétation tendancieuse que
Lara pouvait faire de sa phrase et rougit jusqu'à la racine des cheveux. Il
grommela des excuses, gêné, et se rua vers les ascenseurs. Lara le suivit en
souriant : elle le trouvait terriblement mignon. Ils arrivèrent devant la
grande chambre. Jackson invita la jeune femme à entrer.
- Excusez-moi, ne faites pas attention, ma chambre est un peu en désordre.
Lara s'étonna de l'aplomb avec lequel il venait d'énoncer un tel euphémisme.
La pièce était devenue un véritable champ de bataille. Des malles éventrées
sur des tonnes de livres, des porte-documents jetés pêle-mêle et des
feuilles volantes côtoyaient des valises béantes, pleines de vêtements
froissés et jetés en vrac. Seul un costume de soirée pendait proprement à la
fenêtre, « pour la conférence », pensa Lara. Au milieu de ce dépotoir, elle
identifia le lit, principalement grâce à la forme générale que prenait le
tapis de feuille qui le jonchait. Elle repéra ensuite le bureau, grâce à un
ordinateur portable posé dessus en équilibre plus que précaire. Elle pensait
Bryce bordélique : elle venait de trouver le champion incontesté de la
catégorie. Pendant qu'elle procédait à son examen silencieux, le docteur
Jackson avait commencé à fouiller dans une des malles.
- Votre objet me dit vaguement quelque chose... fit-il sans la regarder. Ce
genre de forme était très courant, surtout pour des bijoux, mais pas avec de
l'écriture dessus. Ca devrait donc me garantir l'unicité de la relique, et
donc un spectre de recherche moins étendu...
Il continua à marmonner, pour lui-même. Lara, par une chance inouïe, trouva
une chaise. Se débarrassant des papiers qui l'encombraient, elle s'assit et
attendit. Après trente minutes de recherches intenses, ayant menées au
palier supérieur dans le capharnaüm, le docteur Jackson se redressa, un
livre ouvert à la main.
- Voilà, dit-il en tendant l'ouvrage. Ca pourrait être ça.
Lara regarda la photographie, perdue au milieu d'un flot de texte. Elle
représentait bien un quart de cercle en or. Un crayon, posé à côté, sur la
photo, donnait une échelle pour la taille de l'objet. C'était tout à fait
satisfaisant. De plus, il était couvert de hiéroglyphes.
- C'est exactement ça, aucun doute possible ! dit-elle avec jubilation.
- Alors vous ne pourrez pas l'obtenir.
Il referma le livre d'un coup sec avant de le jeter sur le lit.
- Il est conservé au Louvre, à Paris, expliqua le docteur Jackson. Il faut
passer par le ministère de la culture, ou, à la rigueur, à des
universitaires.
- Pas le temps en paperasseries. J'en ai un besoin vital. Je me contenterais
donc de l'emprunter.
Jackson lui jeta un regard choqué.
- Vous comptez cambrioler le Louvre ???
- Pas de gros mots, je vous prie. Je compte emprunter ça, car je n'ai pas le
choix, et le ramener ensuite.
- C'est du vol !
- C'est un emprunt.
Devant l'air déterminé et froidement calme de la jeune femme, Jackson
s'assit sur le lit en soupirant.
- Ce n'est ni la Joconde, ni la Vénus de Milo, fit-il, radouci. Ce genre
d'artefacts n'est protégé qu'en tant qu'objet en or. Sa valeur marchande est
supérieure à sa valeur culturelle, et de toute façon, ça n'atteint pas des
sommets... Je me demande même s'il est exposé... Il ne serait pas étonnant qu'il
reste dans l'entrepôt du musée. Et pas dans le même coffre que la Joconde !
Enfin, la vraie Joconde, je veux dire.
Lara le laissait parler, sans rien dire. Elle suivait son raisonnement avec
intérêt, attendant qu'il arrive à sa propre conclusion. Ca ne tarda pas.
- J'ignore le pourquoi, j'ignore le comment, et ça me va très bien comme ça,
reprit-il. Comme vous n'avez pas l'air d'une voleuse, vous pouvez partir
tranquille. Je ne dirais rien.
Lara se leva en souriant. Elle lui tendit la main, qu'il s'empressa de
serrer.
- Merci beaucoup pour votre aide, docteur Jackson, dit-elle. Je vous
souhaite bonne chance pour votre conférence de ce soir.
En sortant, elle l'entendit marmonner une dernière phrase
- ils ne croiront jamais que ce sont des extra-terrestres qui ont construit
les pyramides...
***
Lara commençait à ressentir
les effets des voyages et des décalages horaires. Elle n'avait pas dormi
depuis plus de vingt-quatre heures, et elle était si épuisée qu'elle se
sentait légèrement nauséeuse. Heureusement, il faisait un temps superbe à
Paris. Contrairement à Chicago, elle aimait beaucoup la capitale française.
Le seul défaut, c'est que c'était rempli de français... Elle fit un crochet
par un hôtel afin de réserver une chambre puis se dirigea vers le Louvre. La
file d'attente de touristes sortait allègrement de l'impressionnante
pyramide de verre. Elle s'installa au bout, se préparant à la patience. Un
petit panneau marquait la limite « une heure ». Malgré la fatigue, elle
lutta contre le sommeil, afin de ne pas somnoler debout. Elle finit par
obtenir son billet. Par réflexe, en souvenir du temps où elle visitait le
musée avec son père, elle fit un détour par la Victoire de Samothrace, la
Vénus de Milo, la Joconde, le Sacre de Napoléon et le Radeau de la Méduse,
avant de foncer dans la partie égyptienne inaugurée récemment. Elle arpenta
les allées avec fébrilité, se forçant à regarder les vitrines une par une en
détail pour trouver ce qu'elle cherchait. Un homme d'une trentaine d'années
s'approcha d'elle alors qu'elle était plongée dans l'étude d'une multitude
d'objets dans une vitrine. Il lui murmura quelque chose à l'oreille, qu'elle
ne comprit pas.
- Pardon ? dit-elle en français. Je ne comprends pas bien le
français ?
C'était un mensonge, mais elle comptait jouer de cette différence de langue
pour se débarrasser de ce qu'elle sentait être un dragueur. Comme pour la
conforter dans son opinion, l'homme lui fit un sourire sans équivoque.
- Vous êtes belle, mademoiselle, dit-il en articulant chaque mot,
pour bien se faire comprendre.
Il ne se gêna pas pour détailler Lara, s'arrêtant sur des parties charnues.
Ce regard agaça la jeune femme autant qu'il la mit mal à l'aise.
- Merci, répondit-elle froidement.
Le gêneur ne se laissa pas démonter par le ton. Hardiment, il passa son bras
autour de sa taille, l'attirant contre lui.
- Puis-je être votre guide ? proposa-t-il.
- Vire tes pattes de là, sac à merde !
- Pardon ?
- Non merci, reprit-elle en français, et en se dégageant de sa prise.
Une idée lui traversa soudain l'esprit.
- Vous voulez être mon guide ? demanda-t-elle, toujours en français.
Vous connaissez bien la partie égyptienne du musée ?
- Par coeur !
- Je cherche un quart de cercle en or, couvert de hiéroglyphes.
- Facile, c'est par là !
D'un geste ample, il l'invita à le précéder. Lara y voyait plus que de la
galanterie, ne doutant pas une seconde de la direction du regard de son «
guide ». Ils débouchèrent dans une nouvelle salle, et l'homme lui indiqua
une vitrine. Plongeant son regard dedans, Lara eut un sourire de
satisfaction : l'invitation se trouvait bien là. Hormis les hiéroglyphes
supplémentaires, l'objet était rigoureusement identique à celui qu'ils
avaient trouvé dans le tombeau, en Turquie. La jeune femme se préparait à
partir quand le dragueur revint à la charge. Sans hésitation, il la prit une
nouvelle fois pas la taille et l'attira encore plus près contre lui.
- J'ai droit à une belle récompense, j'imagine, dit-il d'une voix
charmeuse.
Soudain, il s'écroula en gémissant, se tenant l'entrejambes. Lara rangea
gentiment son genou, une de ses armes les plus efficaces.
- Un malaise, expliqua-t-elle aux touristes surpris.
Elle s'éloigna, laissant le dragueur sur le sol, et quitta le musée.
Une fois certaine, grâce aux renseignements glanés ça et là, que la vitrine
convoitée était amenée dans l'entrepôt souterrain la nuit, Lara retourna à
son hôtel, muni d'un plan détaillé des célèbres égouts de Paris. Elle passa
le reste de l'après-midi et la soirée à peaufiner son plan, à la fois simple
et risqué : entrer dans l'entrepôt par-dessous.
Lara quitta l'hôtel à une heure du matin. Elle était vêtue normalement en
apparence, mais son blouson léger cachait une combinaison en cuir
entièrement noire. Même à cette heure tardive, des voitures continuaient à
circuler en direction de la place de la Concorde, et Lara mit un bon moment
avant de trouver un accès situé dans un endroit suffisamment discret pour y
entrer sans être vue. Un dernier coup d'oeil à l'extérieur, et la jeune femme
disparut dans les ténèbres des égouts de Paris.
Grâce à son plan, elle put se repérer facilement dans le dédale de galeries.
Elle se retrouva rapidement sous la rue de Rivoli. S'approchant enfin du
Louvre, elle stoppa soudainement. Dans l'obscurité, de fins rayons laser
apparurent en travers du couloir.
- Les Français sont paranoïaques... se dit-elle. Avec raison, d'ailleurs,
rajouta-t-elle en souriant.
Toujours immobile, elle passa le faisceau de sa torche tout autour d'elle.
Une dizaine de mètres en avant, elle repéra une petite porte. Un coup d'oeil
sur son plan lui permit de confirmer que c'était une des issues de
l'entrepôt. Tout excitée, Lara se força au calme avant d'entamer sa lente
progression au travers des lasers de sécurité. Rampant, enjambant, se
contorsionnant, elle finit par attendre la petite porte, bien évidemment
dépourvue de poignée, du moins côté extérieur. Elle tapota dessus en
plusieurs endroits, cherchant l'emplacement de la pêne. Un son sourd par
rapport aux sons creux lui donna l'endroit exact où placer sa charge.
Fouillant dans son petit sac à dos, elle sortit un peu de plastique, qu'elle
colla à la porte. Elle y ficha une électrode et recula de deux bons mètres.
- Tout en finesse et subtilité, ma belle... se dit-elle.
Elle fit exploser la charge à l'aide d'une petite télécommande. La serrure
partit en fumée et la porte s'ouvrit toute seule, lentement. Une alarme très
aiguë se déclencha aussitôt. Sans perdre de temps, la jeune femme se rua
dans l'entrepôt. Dans la préparation de son vol, elle avait compté trois
minutes pour trouver la vitrine : elle ne s'était pas trompée dans son
estimation. Elle ouvrit délicatement le panneau de verre et en sortit le
morceau d'invitation en or. Elle en fit aussitôt une photo. Elle rangea
l'objet dans son sac et, prenant un stylo, écrivit un message au dos du
polaroid, qu'elle laissa dans la vitrine. Cinq minutes plus tard, elle était
en dehors de l'entrepôt. Vingt minutes et quelques fumigènes lancés pour
couvrir sa retraite plus tard, elle était de retour dans sa chambre
d'hôtel. Elle se jeta sur le lit et sortit les deux objets, qu'elle fit
tourner entre ses doigts. Elle ne doutait pas que la Police n'allait pas
traquer l'ennemi public numéro un pour un vol aussi mineur. Surtout avec un
petit mot, au dos de la photo, expliquant ce qu'elle avait « emprunté » et
ce qu'elle comptait rendre. Enfin, pour finir de la rassurer, l'assurance du
musée couvrirait largement la perte occasionnée. Bref, elle rangea les deux
quarts de disque en or et put enfin s'endormir, après un périple épuisant.
***
Dès le lendemain, Lara
repartit pour Rome. Elle prenait le risque d'attirer l'attention sur elle, à
repartir ainsi le lendemain d'un vol, surtout en rajoutant son arrivée la
veille du vol. Mais l'aventure et les problèmes étaient loin d'être finis,
et elle ne pouvait se permettre de perdre du temps. Une fois à Rome, elle
s'installa dans son pied-à-terre et se mit en tête d'obtenir des
informations sur ses compagnons. Elle alluma donc son ordinateur et grâce
aux compétences de Bryce, elle obtint l'image d'un planisphère, avec trois
points clignotants. Le premier était au milieu de l'Italie elle-même,
donc. Le second se trouvait à Moscou, le troisième au Pérou. Elle en fut si
étonnée qu'elle décrocha son téléphone. Elle hésita, puis composa le numéro
d'Alex West.
- West, c'est toi qui est au Pérou ? demanda-t-elle immédiatement. Non?
Moscou ? Ok... Non... Non, je t'appelle pas pour te demander en mariage! hein
?.... Encore moins ! Bon, arrête, tu l'as trouvé ?... Ouais, moi aussi...
Impeccable, je te ferais un bisou... Non, sur la joue !
Elle raccrocha en pestant. Son ancien ami et amant avait toujours cette
mentalité de gamin obsédé qui l'irritait, qui le mettait en colère, qui la
désespérait. Et pourtant... Trois ans après l'avoir quitté, elle l'avait
retrouvé changé. Toujours délirant, toujours en train de dire des bêtises,
de sourire, de rire, de parler de sexe... Mais ses beaux yeux bleus
exprimaient dorénavant autre chose. Une dureté froide et sérieuse. Alex West
aurait-il finalement mûri. Il n'empêche que sous cette tente, en plein
désert turc, lorsqu'il était entré, accompagné par Indy, elle l'avait trouvé
beau comme un dieu.
Entre une conversation avec Legg et une balade relaxante dans les rues de
Rome, Lara fit rapidement son choix. Optant pour une tenue estivale légère,
elle profita du temps splendide pour flâner dans les rues de la ville
éternelle. Elle s'offrit même le luxe de s'asseoir à une terrasse, près du
Colisée, pour siroter une menthe à l'eau rafraîchissante. Ce n'est que
quatre heures plus tard qu'elle revint à son appartement. Elle sortit la
petite mallette contenant les artefacts et l'ouvrit : elle était vide. A la
place des morceaux de disque en or, elle trouva un petit mot : « Merci
beaucoup pour vos efforts. Miss L. ». Lara referma la mallette, la
rangea et s'assit sur le bord du lit. En souriant, elle se laissa tomber en
arrière, les mains derrière la tête. Elle regarda le plafond, un sourire aux
lèvres.
- La salope... soupira-t-elle.
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