Chapitre 15
- L'ascenseur aussi, remarqua
Alex en entendant la machinerie.
- Ouais, et je parie sur l'escalier de secours, aussi, confirma Lara à voix
basse. Ils arrivent en force !
- Tu peux parler normalement. Ils se rendront vite compte que nous sommes là
et prêts à les attendre. La meilleure défense étant l'attaque...
Lara acquiesça. Elle s'attendit néanmoins à une remarque contraire de la
part de Jones, mais celui-ci approuva également. Même l'éminent docteur
savait quand il fallait faire parler les armes. De plus, il avait
naturellement abandonné les responsabilités au profit de West, beaucoup plus
aguerri pour ce genre d'actions. Tout le monde se rangeait derrière les avis
de Jones lorsqu'il s'agissait d'archéologie pure, mais, avec l'attaque de
porte-flingues venus pour les tuer, ils entraient de plein pied dans le
domaine d'Alex. Lara sourit à cette pensée.
- Je commence à douter de votre sociabilité, à tous les deux, fit Indy, se
méprenant sur le sourire de la jeune femme. Prendre du plaisir à faire ce
genre de choses...
Alex ricana.
- On a jamais dit qu'on était des anges, Jones !
- On en reparlera, Indy, si tu veux bien, fit Lara.
Sans attendre, elle se rua dans les escaliers. Elle se pencha légèrement à
la rambarde : plusieurs hommes gravissaient les marches quatre en quatre,
quelques étages plus bas. La jeune femme se rejeta en arrière juste à temps
pour éviter une rafale de mitraillette qui claqua bruyamment.
- Oups... dit-elle.
- Alors, ça donne quoi ?
- Une petite douzaine, à vue de nez. Où est Indy ?
- Il est passé par la fenêtre. Si on rajoute au moins quatre dans
l'ascenseur...
- Plus ceux qui attendent dehors...
- Ca nous fait une vingtaine. Il reste combien d'étages au-dessus ?
- Trois.
- Le toit est accessible ?
- Aucune idée. J'ai cet appart' depuis une semaine, je te rappelle.
- Bon, ben on fonce, on verra !
Des coups de feu claquèrent sèchement. Des morceaux de plâtre volèrent près
d'eux. Alex, les deux magnums de Lara dans les mains, déboula devant les
marches et tira plusieurs fois. Sans attendre, il retourna à couvert pour
éviter la riposte. Lara était déjà en train de gravir les étages quatre à
quatre. Alex se rua à sa suite, faisant feu tout en courant. Il rattrapa son
amie alors qu'elle donnait un solide coup d'épaule à la porte menant au
toit. Sans se retourner, ils traversèrent le sol tapis de gravier. A
mi-chemin, ils s'arrêtèrent pour se cacher derrière les grandes ouvertures
cubiques de la ventilation, chacun d'un côté. Ils reprirent leur souffle.
- T'as perdu de la condition physique, Croft, fit Alex. T'as grossi, non ?
Les balles jaillirent, faisant voler le gravier près d'eux et empêchant la
jeune femme de jeter sa réponse cinglante. Alex s'accroupit et tira à
l'aveugle, derrière lui.
- On sera vite à court de munitions, remarqua Lara. On ne peut pas tenir un
siège sur le toit !
- Certes... (Il la regarda de façon appuyée) tu as vu Matrix ?
Lara en resta bouche bée. L'espace d'un instant, elle oublia complètement
qu'on leur tirait dessus.
- Mais... bafouilla-t-elle. C'est bien le moment de parler ciné ?
- En fait, au début du film, Trinity est poursuivie par des agents de la
Matrice.
- Oui, en effet, et comme nous, elle monte sur le toit.
- Mieux, chérie, elle s'enfuit par le toit.
Il désigna du menton le toit du bâtiment annexe. Les deux immeubles étaient
séparés d'environ six mètres, mais le leur était légèrement plus haut. Lara
comprit soudain et fit une moue dubitative.
- T'as envie que je me tue, c'est ça ? demanda Lara.
- Mais non. J'ai juste envie de voir tes charmantes fesses s'envoler comme
dans le film !
Lara acquiesça, mais surtout parce qu'elle venait de comprendre où il
voulait en venir. Les tueurs n'avaient pas forcément compris qu'ils étaient
deux. S'ils la croyaient seule, ils partiraient à sa poursuite sans se
méfier de qui pourrait rester en arrière. Alex n'aurait alors qu'à les
cueillir.
- Si je n'étais pas convaincue que tu proposes ça surtout pour me mater, je
dirais presque que ton idée est très bonne, fit-elle.
Alex lui sourit de toutes ses dents, puis lui désigna le toit voisin. La
jeune femme se mit en position accroupie et profita d'une accalmie de balles
pour s'élancer. Elle prit le maximum de vitesse que lui permettait la courte
distance et, prenant appui sur le bord de l'immeuble, sauta dans le vide.
Elle sentit quelques balles siffler autour d'elle, sans l'atteindre. Elle
atterrit lourdement et partit aussitôt en roulade pour amortir la violence
du choc. Mais, sur le gravier recouvrant le toit, elle perdit l'équilibre
et, emportée par son élan, glissa douloureusement sur le dos avant de
s'écraser contre la paroi métallique du système de ventilation, la tête en
avant. Sans dessus dessous, elle se remit dans le bon sens et s'assit,
tentant de retrouver ses esprits. Elle passa la main sur sa tête : elle en
était quitte pour une belle bosse.
- Ca a l'air plus facile, dans le film... gémit-elle.
Elle se leva péniblement, arme au poing, et s'approcha de l'immeuble
initial. Alex apparut en surplomb, affichant un grand sourire. Rangeant les
magnums à sa ceinture, il se mit à applaudir.
- Vraiment... dit-il. C'était... Waow ! Splendide ! Un saut incroyable !
- Fous-toi de ma gueule, en plus...
Elle rangea son arme et entreprit de chercher la porte de sortie du toit,
puis de l'immeuble.
Quand elle rejoignit enfin son appartement, elle trouva deux des
porte-flingues saucissonnés et inconscients dans sa salle de bains.
- Alors ? demanda-t-elle en les désignant.
- J'ai pas encore commencé, répondit Alex, un verre de Whisky à la main.
Des voitures de police, sirènes hurlantes, s'arrêtèrent au pied de
l'immeuble. Des portières claquèrent.
- Allez vous planquer avec nos amis, fit Lara. Je m'occupe de ça.
- Comment ? questionna Indy.
- Regarde bien, et admire la performance...
Lara se concentra. Elle ébouriffa ses cheveux, défit sa queue de cheval, et
crispa plusieurs fois son visage. On pouvait presque sentir la tension
monter en elle. Moins d'une minute plus tard, Lara donnait l'impression
d'avoir pleuré pendant une heure.
- Impressionnant... reconnut Indy.
- Allez vous planquer, maintenant, gémit Lara en reniflant bruyamment.
Elle essuya élégamment une larme qui coulait sur sa joue. Alex était de
nouveau hilare en s'enfermant dans la salle de bains. Une fois seule, Lara
se déshabilla rapidement et enfila un peignoir. Juste à temps : on frappa à
la porte.
- Polizia ! entendit-elle avant d'ouvrir.
Les policiers lui firent un salut formel et commencèrent à lui parler.
- Non parlo italiano, répondit Lara, aux bords des larmes. Sono inglese.
- Tout va bien, Signorina ? demanda l'un des policiers en anglais, avec un
fort accent.
- Comment pouvez-vous me demander ça ? Il y a eu une fusillade !!! Ca tirait
de partout !
Lara ajouta un brin d'hystérie à sa composition, et sa voix commençait à
devenir stridente.
- Calmate, Signorina, dit le policier. Voulez-vous l'aide de médecins ?
- Non merci, ça va aller. Que s'est-il passé ? J'ai eu si peur !
- Un règlement de comptes... Ca arrive assez fréquemment.
L'air de rien, l'autre policier, silencieux, jetait des coups d'oeil à
l'intérieur de l'appartement. Lara se félicita mentalement d'avoir également
caché sa malle.
- Vous avez vu quelque chose ? continua le premier policier.
- Des hommes en costume, répondit Lara.
- Comment le savez-vous ? Vous êtes sortie ?
- Le judas...
Lara décida qu'il était temps de remettre une couche de drame : elle fit
monter une nouvelle série de larmes, et constata avec satisfaction que les
deux policiers y étaient sensibles.
- Reposez-vous bien, vous ne craignez plus rien, reprit-il en saluant
militairement. Buono giorno, Signorina !
Lara les remercia d'un pâle sourire et referma la porte. Elle retira son
peignoir et se rhabilla. Elle entrouvrit la salle de bains pour jeter un
regard à l'intérieur : l'interrogatoire musclé avait déjà débuté. Alex
tourna la tête vers elle en attendant la porte s'ouvrir. Lara sursauta
devant le regard froid et dur de son ami. Indy lui bloqua la vue en se
tenant devant elle, puis la repoussa dans l'appartement. Il referma derrière
lui.
- Inutile que tu regardes, Lara, dit-il. Ca ne va pas te plaire...
- Je me doute, oui. Je n'ai jamais aimé cette facette de West.
- Mais tu aimes les autres facettes. Tu aimes Alex.
Ce n'était pas une question. Lara ne répondit donc pas et alla suivre le
ballet des ambulances et des voitures de police par la fenêtre. Indy
respecta son silence quelques minutes, avant de revenir vers elle.
- Pourquoi tu ne lui dis pas ? demanda-t-il.
- Mêle-toi de ce qui te regarde, Jones ! répliqua-t-elle d'un ton froid.
Elle le regretta aussitôt, mais ne s'excusa pas. Elle retourna s'asseoir,
boudeuse.
Alex sortit de la salle de bains une dizaine de minutes plus tard, détendu.
- Alors ? demanda Indy.
- Nos employeurs sont sur le départ. Faut foncer à l'aérodrome si on veut
les suivre !
Lara se précipita à la fenêtre.
- Les flics sont plus ou moins partis, on va pouvoir y aller !
- Tes victimes marchent encore ? demanda Indy.
- Bien sûr ! s'offusqua Alex.
- Alors laisse-les partir, nous n'avons plus besoin d'eux.
- Mais c'est ce que je comptais faire, docteur !
- Je pars en tête, intervint Lara. J'irais plus vite seule avec ma moto. Si
vous perdez ma trace, demandez à Bryce. J'aurais mon traceur sur moi.
Elle enfila un blouson et sortit précipitamment.
- Elle est pressée, non ? s'étonna Alex. Vous vous êtes disputés ?
- Si tu savais...
Lara descendit de moto à bonne
distance des hangars. Elle s'approcha discrètement à pied, puis s'allongea
dans l'herbe, une paire de jumelles à la main. Elle repéra rapidement Legg
et ses comparses. Ils étaient entourés de leur armée, et semblaient occupés
à charger le Jet privé de son ennemie jurée. Lara poussa un soupir de
soulagement : la piste n'était pas perdue, l'espoir non plus. Elle en était
à se demander comment elle allait agir lorsqu'elle sentit le canon d'une
arme contre l'arrière de sa tête. Lentement, elle écarta les mains pour
montrer qu'elle se rendait.
- A genoux ! fit une voix d'homme. Mains dans le dos.
Lara s'exécuta lentement, sans geste brusque. Promptement, l'homme lui passa
une paire de menottes qu'il serra violemment. Il se pencha alors vers elle
et, lui empoignant les cheveux, tira sa tête en arrière.
- Je dois te ramener vivante à Miss Legg, fit l'homme. Mais j'ai bien envie
de m'amuser avec toi, d'abord...
- T'as pas de couilles, connard, répondit-elle. Détache-moi si t'es un
homme, et on s'amusera tous les deux !
L'homme lui asséna un violent coup de crosse dans la tempe. Lara s'écroula,
à moitié assommée. Elle voyait des flashs lumineux devant les yeux, et
sentit du sang couler le long de sa joue. Malgré son étourdissement, elle
tenta de se relever. L'homme en profita pour lui lancer violemment son pied
dans le ventre. Il la souleva littéralement de terre. Elle s'écrasa un mètre
plus loin, toussant et crachant, cherchant désespérément son souffle.
- Casser la gueule d'une petite pétasse avant de me la faire, c'est génial,
fit la brute. J'espère que t'es dans de meilleures dispositions envers moi ?
Il se mit à rire. L'attrapant par une cheville, il la traîna sur quelques
mètres, avant de la laisser suffocante, sur le dos.
- On va faire ça, ici, ça te dit, salope ? fit-il.
Il commença à dégrafer la ceinture de son pantalon, puis sa braguette. Il se
coucha lourdement sur Lara, sans prendre de précaution. La jeune femme en
eut de nouveau le souffle coupé, mais eut la force de se débattre. En vain.
Il l'embrassa de force. En désespoir de cause, Lara tenta de mordre sa
langue, mais échoua également. Elle était presque résignée à être violée
près de l'aérodrome de Rome lorsque l'homme s'écroula, inconscient, avant
d'être rejeté sur le côté. Lara, libérée de ce poids, prit une puissante
inspiration. Elle aurait pleuré de soulagement. Elle s'attendait à voir Alex
ou Indy : c'était Beauchamps. La brute se redressa.
- Eh, connard, t'attends ton tour ! Tu sais pour qui je bosse ? Miss Legg
est aussi puissante que...
Il n'eut pas le temps de finir : le français l'abattit d'une balle entre les
deux yeux. Lara, toujours couchée par terre, sursauta sous la soudaineté de
l'action. Beauchamps ramassa la jeune femme et la porta jusqu'à une jeep.
- Merci, dit-elle simplement, en français.
Il ne répondit pas, la déposant sur le siège passager.
- Les menottes ? demanda-t-elle.
- Désolé, je dois vous les laisser.
- Je vois... Au lieu d'être violée et tuée, je serais juste tuée.
Beauchamps ne répondit pas et démarra en trombe.
Lara se retrouva rapidement assise dans le Jet, les mains maintenant
menottées devant. Elle se sentait encore un peu nauséeuse, mais la vodka qu'Otrianov
lui avait faire boire lui avait redonné un coup de sang. Par le hublot, elle
put observer le chargement de diverses malles dans un autre avion de fret.
Enorme organisation, vraiment. Miss Legg monta alors dans le Jet et s'assit
face à la jeune femme.
- Ma très chère Lara, fit-elle en souriant. Comme je me doutais que vous ne
lâcheriez pas l'affaire facilement !
Lara eut un petit mouvement de mépris.
- Sympa, vos gorilles... lâcha-t-elle.
- Je suis sincèrement désolée que cette brute ait essayé d'abuser de vous...
Oh ! Vous parlez des hommes que j'ai fait envoyer chez vous, n'est-ce pas ?
(elle haussa les épaules) je me doutais qu'ils seraient inefficaces.
Lara ricana, de plus en plus méprisante.
- Ce n'était pas mon idée, se défendit Legg.
- Dois-je comprendre que vous vous opposez à eux pour me garder vivante ?
- N'exagérons rien ! Nous nous envolons pour l'Assemblée, et vous venez avec
nous. Nous allons devenir riches, et vous, morte.
- Réjouissant programme, Legg, bravo. Et où a-t-elle lieu, cette Assemblée ?
Legg sourit et s'éloigna sans répondre. La porte du Jet se ferma, et Lara
entendit les moteurs vrombirent. Le Jet décolla.
Lara était à deux doigts de s'endormir lorsque deux hommes la soulevèrent de
son siège, sans ménagement. Ils la traînèrent jusqu'à la cale de l'appareil
et la firent asseoir sur une caisse métallique. Ils restèrent debout,
immobiles, à la surveiller. Smith ne tarda pas à les rejoindre.
- Smith ! s'écria joyeusement Lara. Comment allez-vous ? Votre main vous
démange ?
Smith lui offrit son plus beau sourire mauvais.
- Ca vous manque, les gifles, Croft ? ironisa-t-il.
- En fait, pas vraiment, mais je suppose que vous n'êtes pas là pour
m'offrir le thé.
- Ni thé, ni gifles.
Il venait d'énoncer cette phrase sur un ton qui glaça aussitôt la jeune
femme. Elle sentit une sueur froide couler le long de son échine. Smith
s'accrocha alors à une poignée, tandis qu'un des hommes ouvrit le sas du
Jet. Le vent extérieur s'engouffra. Les cheveux détachés de Lara volèrent
dans tous les sens. La jeune femme ouvrit de grands yeux : elle venait de
comprendre.
- Vous plaisantez, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'une voix peu assurée.
- Je ne plaisante jamais, Croft. Je pensais que vous l'aviez compris.
Soudain, les deux hommes empoignèrent la jeune femme et l'approchèrent de
force vers l'ouverture. Lara se débattit de toutes ses forces, en vain.
Devant le sas, elle bloqua ses pieds de chaque côté et résista à la poussée.
- Smith, arrêtez ! hurla-t-elle, maintenant en proie à la panique. Je peux
encore vous être utile ! Demandez à Legg !
- Hélas, vous êtes devenue un poids mort pour nous. Adieu, Croft !
Il repartit à l'avant de l'appareil. Lara résista encore à la poussée de
plus en plus intense des deux hommes de main.
- Arrêtez, les gars ! hurla-t-elle. Vous allez pas faire ça !!!
L'un des hommes lui donna une violente bourrade. Elle céda et se retrouva
projeter de l'avion. En hurlant, elle vit l'appareil s'éloigner au-dessus
d'elle. Le sol, au loin, minuscule, se rapprochait à grande vitesse : elle
tombait en chute libre.
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