Chapitre 17
Indy s'arrêta au milieu d'une
zone rocheuse, à l'abri des regards indiscrets. Lara et Alex descendirent de
la Jeep, jumelles en main. Le camp de base des trois malfaiteurs était
parfaitement déployé autour d'un ensemble funéraire, dans un très bon état
mais visiblement peu, voire pas du tout touristique. Il était composé d'un
mausolée central, accessible par une allée principale bordée de colonnes et
terminée par deux statues assises, ainsi que par quatre bâtiments disposés
autour, eux-mêmes entourés par quatre obélisques. Legg, Smith et Otrianov
avaient entièrement bouclé le site à grands renforts de grillages, de
miradors, de vigiles et d'un poste de garde à l'entrée de l'enceinte
artificielle. Les camions étaient parqués à l'intérieur et les grandes
tentes militaires déjà utilisées en Turquie étaient déployées. La sécurité
était impressionnante pour un coin aussi peu fréquenté.
- La vache ! siffla Alex. C'est pour nous tout ce bordel ?
- Il faut croire, répondit Lara. Ils ont vraiment pas envie qu'on y assiste
!
Lara se redressa et rangea ses jumelles. Elle consulta sa montre.
- Deux heures avant l'éclipse... Indy, tu es bien silencieux ?
- Je suis un peu surpris par ce lieu. Les divinités représentées par les
statues sont très mineures dans la mythologie égyptienne. Comme si cette
Assemblée nécessitait la discrétion absolue... Loin des fastueuses réceptions
de l'époque...
- Et tu en conclus quoi ?
- Que c'est une sorte de sommet politique... Comme le G8 de nos jours. J'ai
vraiment un mauvais pressentiment.
- Faut toujours que tu réfléchisses trop ! s'exclama Alex en donnant une
violente claque sur l'épaule de son ami. T'avais dit qu'on allait
improviser, alors on improvise ! Avant de deviner comment on va mourir dans
ce bordel, trouvons le moyen d'y entrer !
- Ca, je m'en occupe ! intervint Lara. Je prends la Jeep. Je vais faire
diversion.
- Trop risqué, fit Indy. Les gardes ont forcément été prévenus sur la
présence d'une femme dans les environs !
- Deux objections à cette remarque : d'abord, les Pieds Nickelés me croient
morte, m'ayant jetée eux-mêmes de leur avion ; ensuite les gardes
s'attendent à un Rambo au féminin, armé jusqu'aux dents, et pas une faible
femme perdue et à moitié nue... Ce sont des hommes fatigués, et s'ils ont que
Legg pour rêver...
- C'est très limite, comme moralité, Lara...
- La fin justifie les moyens ! Faites entrer le maximum d'armes avec vous,
je vous rejoins à l'intérieur.
Ensemble, ils vidèrent la Jeep. Lara démarra et partit seule. Tout en
s'approchant du camp, elle releva le bas de son chemisier et le noua, afin
de dénuder son ventre et son nombril. En haut, elle défit deux boutons et
écarta les pans. Elle jeta un coup d'oeil : le décolleté était déjà
vertigineux. Mais elle défit un troisième bouton. Cette fois, elle était
quasiment seins nus, et seule sa motivation à contrarier Legg lui fit
oublier sa gêne. Elle s'arrêta devant le poste de gardes, brutalement,
faisant crisser les pneus sur la piste rocailleuse. Elle descendit de la
Jeep et s'approcha. Les gardes se rassemblaient déjà. De petits sourires
gourmands commencèrent à fleurir. Lara les aurait bien effacés un par un à
coups de crosse, mais elle resta dans son rôle. A l'aide d'un mouchoir, elle
épongea la sueur sur sa gorge, dans une attitude provocante.
- Je suis siiiii contente de trouver âmes qui vivent ! s'écria-t-elle d'une
voix aiguë. Je me suis perdue ! Mais quelle idée de faire un safari au Maroc
!
- Vous êtes en Egypte, Miss, répondit le chef des gardes.
- Nooon ? Mais quelle idiote je fais !
Lara partit d'un rire complètement crétin. Les gardes sourirent d'un air
entendu. Comme il fallait s'y attendre, personne ne la regardait dans les
yeux. Le chef se força à quitter la poitrine dénudée des yeux.
- Si je peux vous offrir un rafraîchissement dans ma tente, proposa-t-il.
- Oh !!!! Mais quel homme charmant !!! Attendez, je prends mon sac !
Elle retourna à la Jeep et se pencha exagérément à l'intérieur, tendant ses
fesses au maximum vers le groupe de gardes. Quelques ricanements fusèrent.
En revenant, elle vit ses amis franchir le grillage. Elle suivi le chef des
gardes, qui aboya des ordres pour forcer ses troupes à retourner à leur
tâche. Puis, revenant sur Lara, il la guida à l'intérieur de sa tente, non
sans lui placer une main aux fesses. Il prit une carafe d'eau, mais ce
n'était devenu qu'un prétexte. Maintenant seul avec cette jolie petite
idiote, il allait passer à l'attaque. Lara s'en rendit bien sûr compte, mais
se sentait plus à l'aise qu'à l'extérieur : en un contre un, elle ne
risquait rien. Sans hésiter, l'homme fit tomber son short et son caleçon à
ses chevilles. Maintenant nu, il redressa fièrement la tête. Tout à sa «
victoire », il n'avait pas remarqué le changement d'attitude de la jeune
femme.
- Impressionnant, pas vrai ? dit-il en désignant son entrejambe.
- Oh oui, très, répondit-elle, en s'efforçant de ne pas regarder.
Il fit un pas vers elle. Ce fut le déclencheur : calant confortablement son
pied gauche par terre, offrant ainsi un appui stable, Lara lança sa jambe
droite en un joli arc de cercle. Arrivant à pleine vitesse, son pied,
chaussé d'une lourde ranger, heurta le visage de l'homme avec une telle
violence qu'elle sentit les dégâts avant de les voir. Le regard du chef des
gardes devint vitreux. Sans un cri ni un gémissement, à cause notamment de
la soudaineté du coup, il cracha quelques dents et s'écroula en tas par
terre, les fesses à l'air. Lara se pencha et posa deux doigts sur son cou :
il était vivant, mais en avait pris pour un bon moment d'oubli. Elle se
redressa et jeta un coup d'oeil discret au dehors : la voie était libre.
Lentement, à pas de loups, elle longea les tentes et s'approcha du mausolée.
Elle trouva ses deux amis dans un recoin, non loin de là.
- Bien, une bonne chose de faite ! fit-elle à voix basse. On en est où ? Ils
sont dedans ?
Aucun des deux ne répondit : ils se contentèrent de la regarder avec
surprise.
- Quoi ? Qu'est ce que... Oh, ok... comprit-elle soudain.
En rougissant, elle se rhabilla, ragrafant les boutons de son chemisier.
Elle couvrit ainsi sa poitrine dénudée. Mais ses deux amis restèrent malgré
tout comme bloqués.
- Oui, bon, ça va ! fit-elle avec humeur. Faut vous en remettre ! Vous avez
jamais vu de seins de votre vie ou quoi ?
Lara s'assit et croisa les bras, vexée.
- Bon, il nous reste quatre-vingt dix minutes avant l'éclipse, dit enfin
Indy. Nos employeurs sont entrés à six il y a moins de dix minutes.
En fouillant dans les affaires qu'avaient apportées Indy et Alex, Lara
trouva son Desert Eagle. Elle l'arma bruyamment.
- Alors on les suit ! dit-elle.
Indy acquiesça et ils entrèrent furtivement dans le mausolée.
Le poids des siècles et des légendes semblait écraser les trois aventuriers.
Chacun d'eux était déjà entré des douzaines de fois dans des tombes toutes
plus inquiétantes les unes que les autres. Mais l'atmosphère dans ce temple,
qui allait accueillir l'Assemblée, était différente. Elle n'était pas
effrayante, mais plutôt imposante. Lourde. Des images de malédictions, de
momies, de sacrifices assaillirent l'esprit de Lara. Elle se sentait mal à
l'aise, écrasée par un poids invisible. Ses compagnons ressentaient le même
malaise. Leur moral déclinait au fur et à mesure de leur descente. Car ils
s'étaient mis à descendre. Au bout du couloir principal du mausolée, ils
s'étaient engagés dans des escaliers séculaires qui s'enfonçaient sous
terre. Leurs respirations étaient haletantes. Même Indy semblait très
affecté par l'environnement. Les couloirs devenaient étroits et sinueux. En
plus de leur malaise, les murs de pierre rajoutaient une notion de
claustrophobie. Lara dut puiser dans toutes ses réserves morales et dans
toute sa volonté pour poursuivre. Pour couronner le tout, la température
baissait rapidement. Indy s'arrêta soudain.
- Ca, c'est nouveau ! remarqua-t-il en désignant les murs.
Alex et Lara passèrent leurs torches à l'endroit qu'indiquait leur ami : les
hiéroglyphes s'interrompaient brusquement. Les murs continuaient nus, sans
ornement.
- Chers amis, nous venons de quitter le mausolée de l'Egypte ancienne.
Bienvenue dans l'univers de l'Assemblée... fit Indy.
Lara en frissonna.
- On approche de la conclusion, dit-elle. C'est moi ou il fait beaucoup plus
froid ?
- Tu devrais pas te mettre seins nus, chérie, ricana Alex.
- Imbécile !
Indy les fit taire. D'un geste impérieux, il les fit avancer. Après une
dizaine de minutes de progression angoissante, ils débouchèrent sur une
petite caverne. Elle était parfaitement quelconque, hormis ses trois sorties
percées côte à côte dans la roche. Chacune de ses ouvertures possédait
au-dessus d'elle un symbole particulier : grec pour la porte de droite,
égyptien pour celle du centre, nordique pour celle de gauche.
- Ca confirme qu'on est au bon endroit, non ? avança Alex.
Soudain, Indy leva les bras au ciel et laissa retomber ses mains sur sa
tête.
- Mon dieu, mais c'est tellement évident ! soupira-t-il. Comment j'ai pu
passer à côté de ça !
- Il a l'air à fond, papy ! fit Alex, en faisant un clin d'oeil à Lara.
- Tu nous expliques ? s'enquit la jeune femme, ignorant l'intervention de
West.
Indy se retourna soudain vers eux, les faisant sursauter.
- Ca devient une habitude, grommela Alex.
- Pourquoi trois criminels s'uniraient-ils dans une telle aventure ? Si on
regarde bien, la fortune de l'un ou de l'autre suffirait à couvrir les
dépenses de l'expédition. Non, s'ils se sont liés, c'est qu'il faut être
trois pour provoquer l'Assemblée ! Si une des peuplades manquent à l'appel,
l'Assemblée n'aura pas lieu ! Trois portes, trois peuplades, trois personnes
nécessaires au minimum ! Comment ne l'ai-je pas compris plus tôt !
- Oui, bon, c'est pas grave, fit Lara. Et puis, ça tombe bien, nous sommes
aussi trois !
- Ce n'est peut-être pas le bon moment pour se séparer.
- On va au même endroit, non ? On finira bien par se rejoindre !
Elle dégaina son arme et s'approcha de l'ouverture flanquée du symbole
égyptien. Indy sourit.
- Excellente remarque, Lara, fit-il.
- Ok, intervint Alex, alors pour rester cohérent, je prends la porte
scandinave. Au fait, Lara, prends garde à toi.
- C'est gentil, Alex. Promis !
- Je voulais dire: fais attention à ne pas perdre ton chemisier, cette fois!
Lara lui jeta un regard noir et s'engagea dans son tunnel en grommelant des
amabilités.
Maintenant seule, la jeune femme progressait lentement, guidée par la
lumière de sa torche. Les murs étaient de nouveau recouverts de symboles
égyptiens. Il était donc logique de penser que les autres tunnels étaient,
eux, ornés de symboles grecs et scandinaves. Ce qui aurait dû grandement
étonner les égyptologues qui ont découvert ce tombeau. Comme elle n'avait
jamais entendu parler d'une affaire de ce genre, qui aurait forcément fait
grand bruit, Lara en arriva à deux conclusions : soit les égyptologues
savaient, c'est-à-dire qu'ils connaissaient l'histoire de l'Assemblée, soit,
et c'était là la thèse la plus plausible, les nouveaux couloirs
n'apparaissent que lorsqu'ils sont nécessaires. Ce qui expliquerait alors
l'absence soudain d'ornements muraux. Lara répéta cette vision à voix haute,
et la trouva parfaitement ridicule. Elle en était là de ses réflexions
lorsqu'elle remarqua de la lumière diffuse devant elle : elle avait rattrapé
Legg et son bras droit. Elle se colla au mur et avança lentement, en
silence, franchissant les derniers mètres du tunnel. Elle déboucha sur une
petite plate-forme, flanquée en son extrémité d'un petit escalier descendant
vers une autre plate-forme, sur laquelle se trouvait Legg. Fait angoissant,
sa torche n'éclairait rien d'autre : il y avait du vide tout autour, sur les
côtés comme au-dessous. A droite et à gauche, des lumières dansaient, au
même niveau qu'elle. C'était Smith d'un côté et Otrianov de l'autre,
eux-aussi sur des plate-formes « flottantes ». Aucun des trois milliardaires
ne semblait avoir remarqué la présence des aventuriers derrière eux. Ils
étaient occupés à présenter l'invitation. Devant les plate-formes, suspendu
en l'air, se trouvait le quart de disque trouvé dans la tombe de François de
Salle. Legg tendit alors son propre morceau d'invitation devant elle, à bout
de bras. Le fragment se mit à luire faiblement. Legg le lâcha : il flottait
en l'air. Lentement, le quart de disque s'envola vers la partie déjà en
l'air. Lara constata que c'était également le cas des fragments de Smith et
d'Otrianov. Les quatre morceaux, réunis en l'air, se soudèrent ensemble :
l'invitation était maintenant complète. Lentement, la lueur émise par le
disque d'or devint de plus en plus intense. Soudain, une voix profonde et
puissante résonna de toute part autour des trois plate-formes. Elle était
inhumaine, à la fois neutre et chaleureuse.
- Bienvenue aux trois émissaires de l'Empire Nordique. Bienvenue aux
trois émissaires de l'Empire Hellénique. Bienvenue aux trois émissaires de
l'Empire de Pharaon.
Legg sembla se raidir. Elle tourna la tête : son regard tomba sur Lara.
- Eh oui, trois... fit Lara en descendant la volée de marches.
Elle rejoignit sa vieille ennemie. Ignorant son regard de haine, elle rangea
son arme en souriant et se pencha vers elle.
- Je ne voulais pas rater ça, murmura-t-elle à son oreille.
Elle tourna autour de Legg, et se pencha vers son autre oreille.
- Vous vous souvenez de ma promesse, n'est-ce pas ?
Lara sentit la haine et la tension de son ennemie. Elle s'en délectait. Puis
elle s'appuya contre la rambarde de la plate-forme inférieure, constatant
avec satisfaction qu'Indy et Alex avaient eux-aussi rejoints leurs
employeurs.
- Regardez ! s'écria le bras droit de Legg.
Il désignait l'invitation, qui flottait toujours, luisante. L'artefact
s'était mis à tourner sur lui-même, lentement, mais en accélérant. Un
grondement se fit sentir, assez inquiétant.
- Bienvenue aux neufs ambassadeurs ! reprit soudain la voix
spectrale, plus forte que la première fois. Bienvenue... à l'Assemblée !
L'invitation n'était plus qu'une boule de lumière. Soudain, elle sembla
exploser et une lumière aveuglante jaillit de toute part, si intense qu'elle
força tous les présents à détourner le regard. Lara en avait pris plein les
yeux, et n'y voyait plus rien. Lentement, elle recouvrit la vue. Elle
constata d'abord que les torches étaient devenues inutiles : la lumière
avait été « allumée ». Ils se trouvaient dans une caverne dont les
proportions donnaient le vertige. Lara eut immédiatement une comparaison à
l'esprit : Notre-Dame, à Paris, aurait tenu sans problème dans cette salle.
Peut-être même la Tour Eiffel. Et bien entendu, les plate-formes sur
lesquelles ils se trouvaient étaient situées en hauteur. La jeune femme se
pencha par la rambarde et regarda le sol, situé quelques centaines de mètres
plus bas.
- Faut pas avoir le vertige, par ici, constata Lara.
Elle tentait de prendre un ton badin, mais n'en menait pas plus large que
les autres. Elle était dans l'expectative et l'appréhension la plus totale.
Soudain, les trois petites plate-formes se détachèrent. Elles se mirent à
flotter, emmenant les sept hommes et les deux femmes vers le centre de la
caverne.
- Coucou, Lara ! fit Alex en riant, comme sa plate-forme s'approchait de
celle de la jeune femme. T'as vu ? On vole ! Trop cool !
- Oui, c'est...
Elle n'eut pas le temps de finir : les plate-formes tombèrent. Ou plutôt,
elles descendirent, car la vitesse incroyable n'était certainement pas
naturelle. La violence du démarrage et de la chute eut raison de tous les
protagonistes. Comme les autres, Lara finit par perdre conscience.
***
Elle se réveilla allongée par
terre, sur la pierre froide d'un couloir. Elle jeta aussitôt un coup d'oeil à
sa montre : elle était restée évanouie moins de dix minutes. Elle se releva
et dégaina immédiatement son arme. Elle ne voyait plus les autres. Elle
hésitait sur la conduite à tenir lorsque plusieurs coups de feu claquèrent.
L'écho amplifia lugubrement le bruit. Le silence de mort, angoissant,
retomba juste après. Lara, mal à l'aise depuis son entrée dans le temple,
s'inquiétait maintenant pour ses amis. D'un pas mal assuré, elle s'avança
vers l'origine présumée des coups de feu. Des tirs s'entendirent de nouveau.
Lara accéléra le pas, se mettant même à courir. Le couloir s'élargit : elle
s'approchait de la caverne. Elle s'arrêta pour écouter. Soudain, elle
entendit le son caractéristique d'un revolver qu'on arme.
- Lâche ton arme, fit une voix masculine derrière elle. Doucement.
Lara s'accroupit lentement et posa son Desert Eagle par terre. Elle
se redressa en levant les bras, les mains bien en évidence. Elle se retourna
sans mouvement brusque et eut un hoquet de surprise. Abasourdie, elle sentit
ses jambes flageoler.
- Lara ? fit l'homme en face d'elle, tout aussi étonné. C'est bien toi,
Lara?
- Toi... réussit-elle à souffler. Non... C'est... impossible !
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