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L'article de Edge

Août 1998
Traduction : Nico


La vie après Lara

Ce que les créateurs de Tomb Raider ont fait par la suite.

« Pousse-toi, chérie »
Créer le jeu vidéo de la décennie, fuir une fortune en royalties,
développer « le jeu du millénaire », et enfin se confier à Edge

Tomb Raider, le phénomène vidéoludique des années 90, a monopolisé tous les magazines spécialisés et toutes les vitrines pendant des mois, et rapporté gros au studio Core Design, basé à Derby, où le jeu est né. La popularité de Lara Croft est telle que Sony a déboursé une somme conséquente pour l'empêcher de figurer sur les consoles Nintendo jusqu'à la fin du siècle. Le visage de Lara est partout, dans des clips vidéo ou en couverture des magazines lifestyle. Mais derrière chaque grande femme se cache un grand homme. Ou en l'occurrence, deux.

En février 1997, après avoir créé Lara, ses pères ont abandonné le navire, quittant Core, ainsi au passage qu'une somme non-négligeable de royalties. Refaisant brièvement surface pour commenter l'apparition de Tomb Raider en couverture de The Face, l'homme à l'origine de la poitrine de Lara, qui défie toutes les lois de la gravité, disparaît ensuite. Son nom est Toby Gard. De concert avec Paul Douglas, programmeur-chef sur Tomb Raider, ils se sont récemment attelés à la fondation d'un nouveau studio de développement, Confounding Factor.

Soutenue par Interplay et basée à Bristol, dans le sud-ouest de l'Angleterre (à quelques kilomètres de Bath, où se situent les locaux de Edge), une toute jeune équipe de six hommes travaille avec acharnement pour créer un jeu dont elle prétend qu'il est « le jeu du millénaire ». Une communication coup-de-poing visant à prouver qu'il ne s'agit pas seulement de la lubie de deux programmeurs trop ambitieux. « Ça ne sert à rien de se lancer dans quelque chose si vous ne croyez pas en votre potentiel, si vous n'avez pas de grandes ambitions » explique Paul Douglas. Gard et lui sont appliqués dans ce qu'ils font, autant qu'on pourrait l'espérer de deux hommes qui ont fui le confort d'une compagnie au sommet de son succès pour fonder une entreprise indépendante. Cependant, ils apprécient clairement la liberté, et sont en passe, avec leur nouveau jeu, Galleon, de faire taire tous les sceptiques quant au potentiel de ce nouveau studio.

Aussi, installés dans les spacieux alentours de l'ancien studio de design qui sert de QG à Confounding Factor (où la seule ombre au tableau est le canapé abimé sur lequel l'équipe joue à la console), Edge a entrepris de révéler l'histoire de Toby, de Paul et d'une fille appelée Lara...

Edge : Pour commencer, il serait bon d'évoquer votre départ de Core Design. Quel a été l'élément déclencheur qui vous a fait partir ?
Toby Gard : C'était simplement pour nous diversifier, pour aller plus loin. Core a vraiment adhéré à l'idée de la franchise Tomb Raider, et nous, on avait envie de partir pour faire quelque chose de différent, je suppose que c'était la raison principale. Peut-être quelques désaccords créatifs, mais rien de bien important. On voulait juste se diversifier de notre côté.

Edge : C'était une décision difficile ?
TG : Ça signifiait renoncer à une importante somme d'argent, mais c'était un mal nécessaire. C'était un choix difficile, de partir et monter notre affaire en solo, mais je pense qu'on a fait le bon.
Paul Douglas : Au bout du compte, on voulait faire des jeux, et non attendre sagement que l'argent nous tombe dessus. On commençait déjà à s'ennuyer de juste rester là, à se tourner les pouces pendant deux mois. Alors évidemment, on avait hâte d'avancer et de commencer un nouveau projet. Ce qui n'était pas le cas chez Core.

Edge : Comment a réagi Core à l'annonce de votre départ ?
TG : Très mal.
PD : En fait, ils ont bloqué notre argent... Mais on ne devrait peut-être pas parler de ça.
TG : Ouais, ils n'étaient pas très contents.
PD : Ils ont payé un mois de royalties mais ont bloqué le chèque à la dernière minute. Il est apparu sur mon compte et il est reparti tout de suite après.

Edge : Vous n'avez donc pas touché de royalties ?
TG : Quand on était encore là-bas, si.
PD : Mais pas celles de février.

Edge : Avez-vous quelques regrets quant à votre départ, hormis l'argent ?
TG : Oui, je pense. Quelques-uns. On a laissé beaucoup d'amis là-bas, une vie sociale qu'on appréciait.
PD : Surtout l'argent, je pense...
TG : Bon ok, ça, c'est Paul. Mais j'aimais assez les gens, aussi. Derby n'était pas particulièrement stimulant, mais c'était un endroit agréable où travailler, plutôt détendu et il y avait pas mal de gens sympas.

Départ en solo

Comme nous l'évoquions dans notre numéro 48, Confounding Factor fait partie d'une lignée de nouveaux développeurs indépendants. Tout comme les anciens de Rareware (Eighth Wonder), le célèbre gourou vidéoludique Peter Molyneux (Lionhead), et les ex-membres de Bullfrog (Mucky Foot), Gard et Douglas rejoignent un mouvement qui se répand dans toute l'industrie vidéoludique. Des individus créatifs qui commencent à en avoir marre de devoir opérer sous la bannière d'un éditeur, et qui recherchent à la fois la reconnaissance et l'indépendance.

Edge : Après une longue période sous le feu des projecteurs, les grands éditeurs doivent se retirer au profit de nouveaux arrivants plus prometteurs, déterminés à se faire une place sur le marché sans cesse grandissant du jeu vidéo. Une évolution qui suit toujours son cours en ce moment, puisque l'on constate de nouvelles mutations chaque mois. On parle d'ailleurs beaucoup ces temps-ci des coopératives réunissant plusieurs petits développeurs : un mouvement porté par le Gathering of Developers (GoD) aux Etats-Unis, dont nous vous parlions dans notre numéro 60. Mais Gard et Douglas estiment-ils qu'il s'agisse d'une coïncidence si autant d'individus talentueux décident de prendre leur envol en solo au même moment ?
TG : Je sens qu'on se dirige vers ça. Une fragmentation en petits groupes qui se concentrent uniquement sur le fait de créer de bons jeux. Je pense que c'est une évolution très positive pour toute l'industrie. Vous vous libérez de tout le management, qui supervise tout et vous dit que ce que vous faites ne sera pas viable. La seule chose qu'il vous reste à faire ensuite, c'est de vendre le jeu à un éditeur, et les éditeurs vous traitent avec beaucoup plus de respect si vous êtes une petite entreprise plutôt qu'un simple employé.
PD : Je pense qu'on a subi les conséquences de toutes les questions monétaires qu'on a greffées au jeu vidéo. De toute évidence ça n'a pas eu que du bon, ça a mené à la situation « créatifs contre comptables » que l'on constate dans beaucoup de grosses compagnies.

Edge : Avez-vous eu le sentiment de faire partie d'un « mouvement » ?
TG : On ne connait pas vraiment tous les autres. Nous avons délibérément choisi de ne pas nous tenir au courant de ce qui se passait dans l'industrie du jeu vidéo, pour pouvoir faire une pause. Je pense que ça nous a fait du bien de nous éloigner, parce qu'avec le succès de Tomb Raider, tout le monde voulait savoir ce qu'on était devenus, alors on a fait profil bas et mené notre vie tranquillement.

Edge : Quel est selon vous le plus gros avantage à votre prise d'indépendance ?
PD : Tout simplement la liberté, à mon avis.
TG : On est payés beaucoup moins ici, et on doit travailler beaucoup plus...
PD : L'environnement est beaucoup plus créatif. Ici, les gens sont passionnés par ce qu'ils font.
TG : Non pas que ce n'était pas le cas chez Core, comprenez-nous bien [rires]. C'est juste l'impression d'être quelque part où...
PD : ... Où l'on se dirige quelque part.

Edge : Avez-vous eu des difficultés à trouver un soutien financier ?
PD : Pas du tout. On avait un jeu plutôt bon avec nous donc c'était simple. Je pense que pas mal d'autres personnes ont eu des difficultés. On a eu beaucoup de chance.

Edge : Vous avez choisi de commencer cette nouvelle vie indépendante très loin de Derby. Qu'est-ce qui vous a mené jusqu'à Bristol ?
TG : Parce qu'on avait beaucoup de choses à faire, parce qu'il fallait bien aller quelque part...
PD : Et parce qu'on a pensé que Bristol méritait un développeur de premier plan [rires généralisés].

Girl Power

Elle a enterré les Spice Girls, et a su rester crédible malgré son objectification par les médias généralistes comme spécialisés. Avec tout l'enthousiasme qui s'est installé et a englouti Lara Croft, on en a presque oublié ce que représentait son personnage dans le monde du jeu vidéo. Les filles bien en chair ont toujours été présentes dans un marché qui se destine presque exclusivement aux hommes, mais aucune n'avait jusqu'alors combiné l'intelligence et la beauté. Avec le recul, il semble que c'était un choix évident, mais Gard assure que Core était réticent à autoriser l'équipe de développement à utiliser un personnage féminin.

Mais de même que Tomb Raider n'aurait jamais pu rencontrer un tel succès sans Lara, de même Lara serait tombée dans l'oubli sans un jeu fort où tenir la vedette. Piliers de ces environnements caverneux, Gard et Douglas nourrissent toujours des sentiments forts à l'égard de la femme qu'ils ont présentée au monde entier.

Edge : Que pensez-vous de la série Tomb Raider aujourd'hui ?
PD : C'est pas mal, mais je pense qu'ils devraient vraiment se demander dans quelle direction ils vont. Je ne pense pas qu'ils puissent éternellement tirer des suites de ce moteur. Ils devraient mener Lara dans des directions différentes - quelles qu'elles soient - je ne veux pas vraiment leur donner des idées. Ils devraient tenter de l'emmener vers différents genres. Tomb Raider 2 était plutôt sympa...
TG : Mais difficile. Trop difficile.
PD : Et trop de fusillades contre des ennemis humains.

Edge : Pensez-vous que Tomb Raider 3 [annoncé à l'E3] est le jeu de trop ?
PD : Je trouve qu'ils en ont parlé trop vite, ils auraient dû attendre. Cette année, on a eu Tomb Raider 2, plus le premier qui est ressorti à petit prix, et maintenant Tomb Raider 3. Ils auraient dû attendre un peu, faire languir les gens, qu'ils en aient vraiment envie. Mais Eidos en a besoin. Quel autre titre AAA ont-ils de prévu pour Noël ?

Edge : Par le passé, vous avez dit qu'un jeu est plus important que son personnage principal. Vous pensez que c'est vrai aussi pour Tomb Raider ?
TG : Eh bien je continue de penser que le personnage ne serait rien si le jeu avait été mauvais. Je le pense sincèrement. Au bout du compte on peut dire qu'elle a une personnalité forte, mais elle se révèle au long du jeu. Elle est plutôt belle, d'une beauté assez bizarrement formée, mais même ça n'aurait pas suffi. Il fallait un bon jeu pour qu'ensuite les gens puissent adhérer au personnage. Tout comme un acteur de cinéma, même si vous l'aimez, il peut quand même faire un film de merde.

Edge : Le marketing autour de Lara et de Tomb Raider vous a-t-il parfois déçu ?
TG : Oui. J'avais imaginé Lara comme un personnage intouchable, discret - c'était là tout le concept, en fait. Donc oui, une part de ce marketing de masse nous décevait quand on était encore là-bas, mais maintenant ils sont libres de faire ce qu'ils veulent, le jeu leur appartient ! Mais au bout du compte ils ont bien fait leur boulot, non ? Je suppose qu'on se fiche que ce genre de marketing soit sexiste ou non dès lors qu'il y a autant d'argent en jeu.

Projets futurs

Hormis la liberté créative dont Gard et Douglas bénéficient depuis qu'ils ont quitté Core Design, et au-delà des nombreuses activités nocturnes que Bristol a à offrir, les bénéfices sur le long terme commencent à se faire sentir. Les deux hommes apprécient leur liberté personnelle (« on ne vient pas t'emmerder si tu arrives à 9h45 au lieu de 9h30 », sourit Douglas), tout comme le fait d'être aux commandes de leur propre destin (bien que Gard admette que « ça fait carrément flipper »). Il y a bien eu quelques imprévus (« les choses ont mis plus de temps que prévu à se mettre en place ») mais dans l'ensemble Confounding Factor baigne dans une atmosphère positive. Il est souvent vain de se projeter dans le futur, mais Edge tenait à savoir dans quelle direction le studio souhaite se diriger, mis à part, sur le court terme, la recherche des derniers membres de l'équipe.

Edge : Est-ce que vous envisagez une situation où Confounding Factor produirait plusieurs produits, ou pensez-vous plutôt rester un studio focalisé sur un jeu à la fois ?
PD : Il est prévu qu'on passe à deux équipes. Sur l'aspect technique j'aimerais qu'on ait un petit groupe purement dédié à la recherche & développement, ce dont très peu de compagnies disposent. On pourrait avoir une équipe qui se chargerait de développer un moteur et une autre qui pourrait l'utiliser. D'un côté une équipe qui travaille purement sur la technologie, de l'autre une équipe qui créé véritablement des jeux.

Edge : Sur le plan personnel, quelles sont vos ambitions pour Confounding Factor ?
PD : Devenir riches et prendre notre retraite. [rires]
TG : Je veux autant de Ferrari que je peux en compter sur mes doigts... Je pense que ce serait génial si tous ceux qui sont venus bosser pour nous pouvaient se faire de l'argent et sentir qu'ils ont tous travaillé sur quelque chose de vraiment cool. Faire de ce studio un endroit super cool où les gens auront envie de venir travailler. Où on peut faire des choses géniales sans aucun compromis sur la qualité, comme le fait Molyneux - c'est pour ça qu'il est à ce point un héros.

Edge : Vous avez dit un jour qu'être concepteur de jeux vidéo, c'est à peu près aussi cool que de travailler dans un abattoir. La situation s'améliore, selon vous ?
TG : Bizarrement, j'en doute.
PD : Comment on définit « cool » ? Cela dit, ça ne l'est pas vraiment, si ?
TG : Je dirais que ça dépend. Avec la PlayStation on arrive à un marché plus large. Je ne pense pas que ça deviendra cool un jour. Mais au moins on peut être accepté, au lieu de se faire tout le temps de regarder de travers par les gens « normaux ». Maintenant la plupart des gens disent « Ah, vraiment ? C'est sympa ».

Edge : Vous pensez que ce sera difficile d'éviter qu'on vous ramène à Tomb Raider, en termes de presse et d'opinion publique ?
TG : Je ne pense pas que ce sera le cas, pas quand on commencera à montrer le jeu. On ne se sent pas dans l'ombre de Tomb Raider en fait, puisque personne ne sait vraiment qui nous sommes - jusqu'à ce que cette interview soit publiée. Je ne pense pas que ça nous pose problème parce que ce qu'on fait maintenant est bien mieux que ce qu'on faisait chez Core.

Edge : Vous ne développez que sur PC pour le moment. Vue la compatibilité supposée entre les deux plateformes, est-ce que vous seriez intéressés par la Dreamcast ?
TG : On en parle en ce moment...
PD : Mais si on développe sur une autre plateforme il nous faudra davantage de monde, et on risque de devoir décaler notre sortie PC.
TG : C'est un peu en suspens, pour être honnête. On n'a parlé qu'à Sega récemment, mais oui, c'est une très bonne machine, évidemment.

Edge : Y a-t-il un aspect particulier de Galleon dont vous pensez qu'il renverse les barrières actuelles ?
TG : Il y a un très grand nombre de choses qu'on développe pour dépasser les limites habituelles. On a beaucoup « d'arguments de vente unique », comme on le dirait en étranges termes marketing. Le combat...
PD : ... L'interface utilisateur, pour qu'un joueur néophyte puisse autant apprécier le jeu que quelqu'un qui y joue depuis des heures. On peut se mettre dedans en quelques minutes, c'est le défi le plus dur à relever. Je pense que c'est un aspect très sous-estimé en termes de programmation dans les jeux 3D. L'interface utilisateur compte bien plus que votre moteur graphique, aussi cool soit-il. Tomb Raider avait un système de contrôle plutôt pas mal, mais on essaie d'aller beaucoup plus loin. C'est mon objectif.

Piraterie vidéoludique

Il n'en est qu'à un stade embryonnaire, avec une sortie prévue bien après Noël, mais Confounding Factor a un jeu. Et il a l'air d'être bon. Très bon, même. Galleon est une aventure de pirates dans laquelle le joueur dirige le protagoniste (mâle) Rhama à travers une série d'îles. Oubliez toute comparaison avec la série Monkey Island de LucasArts : il n'y aura pas de crânes farceurs dans Galleon, seulement des environnements vastes remplis d'énigmes retorses. Lors de notre visite, nous avons pu voir Rhama évoluer dans des paysages à moitié texturés, et constater que les animations, tout du moins, seront excellentes. Mais Confounding Factor a un problème. Que le public s'en rende compte actuellement ou non, l'ensemble de la presse spécialisée ne pourra pas s'empêcher de comparer Galleon à son lointain parent. Lara Croft risque de faire pas mal d'ombre à Rhama, qui devra mettre tous ses muscles à l'oeuvre pour l'éclipser.