Novembre 1996
Par Thierry Falcoz
Non seulement elle n'est pas en retard (ce qui n'est pas le cas de certains maîtres de donjons),
mais en plus elle comble nos plus secrètes espérances ! L'héroïne de Tomb Raider est incontestablement
la nouvelle ambassadrice du jeu d'aventure/action 3D.
Un corps souple, des jambes fuselées, une poitrine ferme enserrée dans un justaucorps servant
de camisole à nos pulsions, un visage dessiné au fusain, un caractère trempé dans le même acier
que son Uezi, et vous obtenez l'incarnation de la femme fatale pour quelques centaines d'adolescents
(des vrais et des attardés comme moi !) ainsi qu'une dizaine d'infographistes de Core Design.
Ce qui n'était qu'un fantasme pour les premiers est devenu le chef d'ouvre des seconds et par
là même, notre hors-d'ouvre, à nous autres, amateurs de jeux d'aventure/action. Jusque là
rassasiés de personnages bodybuildés au sex-appeal aussi développé que celui d'une meute de
Teckels à poil ras, Lara Croft arrive à point pour nous redonner goût à ce qui fût l'un des
genres les plus prisés su micro. Et avec son ambassadrice de charme, nul doute que Tomb Raider
en soit la référence pour un bon moment ! Ce titre tire son inspiration à la fois de sources
ludiques et cinématographiques. On parlera ainsi de Prince of Persia en 3D et de Fade to Black à
la puissance 1000, tandis que les amateurs de salles obscures se pâmeront devant le niveau Lost
Valley, où toutes les bestioles à sang froid de Jurassic Park ont élu domicile. Le jeu en lui-même
a subi un traitement jusque là réservé aux productions de grand écran. Et là je ne parle pas de scènes
cinématiques tournées dans des studios hollywoodiens avec un casting composé de grabataires sur le retour
(je sais, je suis méchant), mais bien d'une « réalisation » cinématographique. Car les évolutions de
Lara nous sont retransmises par l'intermédiaire d'une caméra virtuelle douée d'un véritable sens du
mouvement et de l'espace. Les angles changeant en fonction de son emplacement dans le décor et selon
ses actions. Si elle ramasse un objet, la caméra zoomera sur ce dernier tandis qu'elle s'en sait
ou si Lara se trouve dos à un mur, la caméra nous la présentera de profil, etc. Malheureusement,
ces mouvements de caméra se révèlent parfois intempestifs et tendent à rendre l'action confuse.
Ou, au contraire, certains plans s'avèrent trop statiques en vous suivant du fond d'un couloir
alors que vous vous engagez à l'aveuglette dans un virage à angle droit. Mais rassurez-vous,
cette caméra virtuelle dynamise le jeu plus qu'elle ne le perturbe. Et pour pallier à la situation
décrite un peu plus haut, une touche vous permet de faire évoluer quelques instants la caméra autour
de Lara et de jeter ainsi un oeil craintif dans une fosse pouvant dissimuler au choix des pieux acérés
ou une trousse de premiers secours.
Pour le plaisir des yeux
Bon, poursuivre plus en avant ce test sans parler de l'animation pourrait me valoir un
blâme pour faute professionnelle grave ; je vais donc m'atteler à la description de ce
qui est incontestablement l'un des points forts de ce soft. Si l'on a comparé Tomb Raider
à un Prince of Persia en 3D ce n'est pas pour rien. Comme le titre de Jordan Mechner le fut
en son temps pour la 2D, celui de Toby Gard et de son équipe est la référence tridimensionnelle
que le jeu d'action attendait. Une sorte de messie en short moulant et justaucorps asphyxiant
(la question étant de savoir qui est asphyxié ?). Contrairement à la plupart des produits
actuels utilisant des personnages modélisés (avec dans le peloton de tête les simulations sportives),
Core Design n'a pas fait appel à la Motion Capture pour animer son héroïne. En effet, elle a été
jugée trop limitée pour satisfaire les ambitions des infographistes. Et à la vue du résultat final,
il nous faut admettre qu'il ne s'agissait pas là de vantardises obtenues sous la pression des bières
anglaises (sic !). A l'aide de quatre touches du clavier et des flèches de direction, Lara se plie
au moindre de vos caprices... Elle peut (attention accrochez-vous) : marcher, courir, nager, sauter,
faire des roulades avant, effectuer des petits pas sur le côté, ou de gigantesques bonds.
Lara peut aussi exécuter un saut périlleux arrière, se retourner en réalisant un roulé-boulé,
se suspendre au bord d'une plate-forme, se déplacer latéralement dans cette position avant de
s'y hisser. Vous en voulez encore ? Elle peut pousser et tirer des blocs de pierre faisant une
dizaine de fois son poids en frétillant du postérieur ; pénétrer de son corps superbe la surface
de l'eau d'un stupéfiant plongeon ; sauter sur un mur pour y prendre appui et se propulser à
des hauteurs autrement inaccessibles, le tout avec ou sans armes à la main ! Qu'il va être
difficile de succéder à Tomb Raider ! D'autant que le réalisme imprégnant ce jeu ne se cantonne
pas à l'animation de son personnage principal.
Plus bô, t'y meurs !
Le cadre est ici magnifié par la 3D et non plus limité par elle. On est bien loin des
balbutiements d'un Fade to Black. La liberté offerte au joueur est totale et le décor doté
d'un relief n'ayant rien à envier à celui de notre héroïne (ce qui est déjà un exploit en
soi). Ses niveaux vous emmèneront aux quatre coins du monde. De la cité de Vilcabamba
creusée dans le coeur rocailleux d'une montagne rongée par les rivières souterraines et
peuplée de rescapés carnivores (uniquement carnivores) de Jurassic Park, à celle de St-Francis
Folly où chaque salle renferme une énigme inspirée des divinités grecques. Sans oublier le
fameux Colosseum, les fameux tombeaux de Qualopec et Tihocan, le Sanctuaire du Scion, les
Mines de Natla et... Atlantis ! Tous ces niveaux ont visiblement fait l'objet d'un travail
d'orfèvre de la part des infographistes. Chacun possède un style propre et se compose
d'innombrables éléments du décor lui conférant à la fois personnalité et originalité.
Tenez, prenons par exemple Lost Valley (incontestablement mon sous-niveau préféré), avec
sa chute d'eau, son pont suspendu éventré, son lac, son tunnel artificiel susceptible
d'être inondé en détournant une rivière, ses passages aquatiques dérobés, son temple
livré à la jungle... Impossible de ne pas s'étonner à chaque pas de l'opulence des
détails. D'autant que la réalisation graphique est somptueuse, comme vous avez sans
doute pu le constater en regardant les photos. Pour profiter du mode Super VGA, il
faut au minimum un Pentium 120 équipé d'une excellente carte graphique, et encore,
en dessous du P133 il est difficile de ne pas renoncer au plein écran. En VGA, même
si le jeu perd beaucoup de son impact visuel, il reste correct et tourne avec fluidité
sur un 486 DX4-100 en réduisant la fenêtre d'écran. Mais attention, les restrictions
mentionnées peuvent très bien être revues à la baisse en jouant sur le niveau de détails,
chose que l'on ne pouvait pas faire avec la version testée. Un lecteur averti en vaut deux.
Quant aux petits veinards qui auront acquis la carte 3DFX, ils profiteront de graphismes...
euh, comment dire ? Somptueux ? Voilà, c'est le mot : Somptueux avec un « S » majuscule !
Jetez un coup d'oeil sur les photos de l'encadré 3DFX pour vous faire une idée du visu.
(640x480 en 65.000 couleurs semble-t-il)
L'oeil et le son
Mais Tomb Raider ne se contente pas de flatter le regard, il envoûte également les
tympans grâce à ses mélodies en accord avec le thème des niveaux et des bruitages adaptés
au bestiaire modélisé par Core. Pas seulement au bestiaire d'ailleurs, si vous imposez à
Lara un plongeon du haut d'une falaise, elle poussera un petit cri effrayé du plus bel effet,
tandis qu'un recours à la trousse de secours lui arrachera un soupir assez perturbant pour le
joueur masculin. D'autant que la voix française de Lara sera celle de la comédienne française
doublant Sandra Bullock dans Speed et Traque sur Internet. Le niveau Jurassic Park vous permet
également de discourir avec Mister T-Rex, qui se contentera de vous répondre de son tonitruant
vagissement, celui-là même qui lui permit de ranger définitivement Godzilla et King-Kong au rayon
des jouets pour enfants ! Mais le jeu ne serait rien sans énigme digne de ce nom, même s'il faut
admettre que le plaisir de découvrir de nouveaux décors suffirait presque à notre extatique bonheur.
Votre objectif principal est de mettre la main sur le Scion... un fameux trésor archéologique.
Certes moins connu que le Diamant Vert, le Saint Graal ou l'Arche d'Alliance, mais néanmoins
fameux. Si, si. Tellement... fameux, d'ailleurs, que plus d'un « collègue » archéologue et
pilleur de tombes par nécessité viendra se mettre en travers de votre chemin pour vous
subtiliser le fruit de vos recherches. Citons entre autres, Pierre Dupont, comme si
l'infâme Belloc (Les Aventuriers de l'Arche Perdue) avait rendu le français
indispensable dans le rôle du salopard opportuniste ! Cette quête évolue au fil du jeu,
ponctuée régulièrement de scènes cinématiques retraçant les voyages de la belle. Vous
découvrirez ainsi que la quête du Scion n'est que l partie immergée de l'iceberg...
Le coin du râleur
Après une telle avalanche de compliments, vous seriez en droit de vous interroger sur
les raisons m'ayant empêché de lui mettre six étoiles, chose qui, je dois bien l'admettre,
m'a un instant traversé l'esprit. En fait, le temps de finir le niveau Jurassic Park (encore
lui, mais vous savez, entre le T-Rex et moi, ce fut quasiment physique) et d'entamer celui de
la tombe de Qualopec. Outre son nom repoussant bien loin les limites du ridicule, ce niveau
fait montre d'un classicisme des plus malvenus. Le joueur se contentant de sauter de
plate-forme en plate-forme pour tirer une manette qui lui permettra d'ouvrir un passage
donnant accès à une autre manette, et ainsi de suite. On se croirait revenu au temps d'un
Prince of Persia, qui avait au moins l'excuse de la 2D pour justifier la relative
simplicité de ses missions. D'autant qu'après avoir traqué le vélociraptor, vous avouerez
que la soudaine baisse de rythme a de quoi décevoir. Les niveaux sont donc inégaux. Premier
reproche. Le second touche les mouvements parfois spasmodiques de la caméra. En dehors de
cela et de quelques menus détails (comme l'absence d'ombre sous les plates-formes suspendues,
utile pour se positionner correctement du premier coup et ne pas s'y prendre à trois fois pour
s'y hisser ; le placement au pixel près pour se saisir d'un objet ou la laideur de certains
éléments du décor en 2D). Tomb Raider est l'un des plus incontournables de cette fin d'année
et peut-être même de l'année prochaine, le temps que les éditeurs tiers se remettent du choc
et que Core Design se décide à nous pondre une suite !
Le contre-avis d'Eric
Bon dieu, Thierry, ce jeu, nous en avons tous rêvé et maintenant qu'il existe,
tu fais ta rosière ! Non mais tu as vu ces décors magnifiques, ces animations réalistes
et cette gestion de caméra exceptionnelle ? Tomb Raider nous a entraîné de surprise en
surprise, d'enchantement en enchantement, de oooh en waouh, et au final, tu ne lui mets
que cinq étoiles ? Mais que t'as fait ce jeu pour que tu le punisses ainsi ? Il constitue
une nouvelle référence dans le domaine du jeu d'action en 3D et mérite donc six étoiles !
Le contre-avis de Cédric
Jamais un jeu d'action ne m'avait autant mis en transe. Vindiou qu'elle est belle ! On
passerait des heures à la voir si bien onduler sur nos écrans, se déhancher lentement
dans son petit short moulé... Rhââ Lovely ! C'est à tel point que les larmes
me montaient aux yeux à chaque fois qu'elle mourait. Hein ? Le jeu en lui-même ? Et bien
il est comme Lara, captivant et sublime. Dommage toutefois que les niveaux soient d'une
inégale intensité. Tomb Raider reste malgré tout le meilleur jeu de ce genre jamais créé.
La note
- Intérêt : or
- Graphisme : 18
- Son : 18
- Animation : 19
- Durée de vie : 17
- Les + : les yeux de Lara, mouvements de Lara, la voix de Lara
- Les - : inégalité ds niveaux, détails insignifiants
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